Mohamed SNEIBA

Le parler français Hassaniya

De l’usage de quelques expressions et mots français dans le dialecte hassaniya de Mauritanie

B

 

20. Bac (baccalauréat)

 

21. Bāche (bâche) : forte toile, souvent rendu imperméable et imputrescible, destinée à protéger des voitures, des chargements, des récoltes, etc.

 

22. Bāg (bac) : 1. bateau large et plat assurant la traversée d’un cours d’eau (Les Mauritaniens ne connaissent que le légendaire « bāg Rosso » (Bac de Rosso). 2. Bac à glace.

 

23. Balā-ye (Balai)

 

24. Bal’ye (balayage). On dit aussi quelquefois «M’balīt’».

 

25. Ballonh’ (ballon) : grosse balle à jouer, généralement formée d’une vessie de caoutchouc gonflée d’air et recouverte de cuir. Désigne également le football. « mche yel’ab ballonh » (Il est parti jouer au foot).

 

26. Bancu (banco).

 

27. Band (bande) : 1. Lanière de linge pour faire un pansement. 2. Bande magnétique.

 

28. Banh’ (banc) : siège avec ou sans dossier.

 

29. Bandi (bandit)

 

30. (el) Banque : La banque.

 

31. Banqueut’ (banquette) : siège, banc.

 

32. Baqāt (paquet) : Objet enveloppé, attaché pour être transporté plus facilement. «Mezal v’baqtu» (Encore dans son paquet).

 

33. Barāge (barrage) : Ouvrage servant à l’irrigation des cultures.

 

34. Baramīle (barre à mine) : pièce de métal dont l’une des extrémités est pointue et dont on se sert pour creuser le sol.

 

35.  Bar’yère (barrière)

 

36. (el) Bāse (la base) : Lieu de stationnement et d’entretien du personnel et du matériel (militaire plus particulièrement).

 

37. Bātri (Batterie) : 1. pile. 2. Accumulateur, condensateur.

 

38. Bat’rūn (Patron) : Tout individu qui mène un train de vie relativement au-dessus de la normale. On utilise ce mot souvent pour taquiner un ami qui, occasionnellement, fait des dépenses que sa situation habituelle ne permet pas. (Met’batreun’ : Agir, vivre comme un patron).

39. Begāge (bagages) : sac, valise que l’on emporte avec soi en voyage. L’expression « en’te manak  begāge » (littéralement, tu n’es pas un bagage), signifie : on ne peut pas compter sur toi.

 

40. Be-gne (beignet)

 

41. Beïdūn (bidon): 1.Récipient que l’on peut fermer pour le transport d’un liquide. 2. Gros ventre. «Beïdūnou kbīr» (c’est avoir du ventre).

 

42. Beleut’ (belote)

 

43. Be-nā-ne (banane).

 

44. A la banane : coiffure de jeunes branchés.

 

45. Be-ne-fīce (bénéfice)

 

46. Ber’gine (aubergine)

 

47. Be-rīgue (barrique)

 

48. Betonh (béton). Dans certains localités, le gros couscous (n’guemou) est appelé ainsi, par opposition au couscous léger (bassi).

 

49. Beul’ge (Budget) : Spécialement, argent que possède un individu (andu yasser men el bel’ge (avoir beaucoup d’argent).

 

50. Beul’tin (bulletin). Bulletin de salaire, de notes.

 

51. Beur’me-guenat (Permanganate)

 

52. Beurre (beurre)

 

53. Beur’te (Perte)

 

54. Beur’weut’ (brouette).

 

55. Beseuc’leut’ (Bicyclette).

 

56. Beut’rāve (Betterave) : Betterave sucrière.

 

57. Bey–ce (Baisser): 1.Abattre, étaler d’un seul coup toutes ses cartes. 2. Courber l’échine, se rendre.

 

58. Bībronh’ (Biberon).

 

59. Bineut’ (Binette).

 

60. Birgue-dieu (Brigadier).

 

61. Birōh (Bureau).

 

62. Bīs (Bus) : Véhicule de transport en commun.

 

63. Bis (Bis).

 

64. Bit’ (But) : Dans certains sports, espace délimité que doit franchir le ballon pour qu’un point soit marqué. 2. Ce point.

 

65. Bī-ve (Buffet).

 

66. Biveut’ (Buvette).

 

67. Bi-ye (Billet) : 1. Billet de transport, de spectacle. 2. Billet de banque69. Blanchisseur (Blanchisseur).

 

68. Blin-de (Blindé).

 

69. Bloc (Bloc).

 

70. Blūse (Blouse).

 

71. Bobīne (Bobine);

 

72. Bō-he (Bon): Petit bout de papier adressé par un client à un boutiquier pour la fourniture de quelques produits.

 

73. Bolletīgue (Politique) : tromperie, ruse, machiavélisme. Etre « mlān’ min belletīgue (plein de politique), c’est avoir plus d’un tour dans son sac.

 

74. Brinh (Brin) : petite partie d’une chose mince et allongée. Brin d’allumette.

 

75. Būche’ (Bouteille).

 

76. Buchonh (Bouchon).

 

77. Buġs (Boxe).

 

78. Bugi (Bougie): 1.Bâtonnet de cire muni d’une mèche pour l’éclairage. 2. pièce d’allumage électrique d’une voiture.

 

79. Bul’ (Boule).

 

80. Bulan-ge (Boulanger.

 

81. Bulange-ri (Boulangerie).

 

82. Bū-le (Bleu) : Matière colorante.

 

84. Bur’se (Bourse d’étude).

85. Būsta (Poste): 1. Service public pour le transport et la distribution du courrier. 2. Poste de contrôle (de police ou de gendarmerie). 3. Poste de travail. « Būsta kbi-re » (avoir un grand poste).

 

86. But’ (Pot).

 

87. Butīgue (boutique) : Commerce de détail.

 

88. Butonh’ (Bouton) : 1.Petite pièce dure servant à orner ou à fermer un vêtement. 2. Petite papule, pustule ou vésicule sur la peau.

 

89. But’ron’ (Pétrole).

 

90. Bōy (Boy).

 

91. Brā-ce-le (Bracelet).

 

92. Brāg (Baraque).

 

93. Branchi ! (De brancher). « Branchi etel’ve-ze ! » (Branche la télé!), “branchi effīl ! » (Branche le fil).

 

94. Bravō (Bravo).

 

95. Breï-ve (Brevet) : Diplôme sanctionnant les études du premier cycle de l’enseignement secondaire.

 

96. Brigāde (Brigade de gendarmerie).

 

97. Brīque (Brique) : Matériau de construction.

 

98. Briqueut’ (Briquet).

 

99. Brōsse (Brosse).

 

100. Bul’ (Boule).

 


HUMOUR BIEN DE CHEZ NOUS : « ET TOI AUSSI »

ON RACONTE :

Au temps de Daddah – le père de la Nation, bien sûr, puisque l’autre attend toujours son heure – un ministre de la Première République, à la tête du Département de la Femme, assistait à une réunion où tous « ses collègues » étaient de ce qu’on appelle communément le sexe faible. Arrive le moment où Monsieur le Ministre de la Femme (!!!) devait prendre la parole à son tour, dans une sorte de tour de table où chacun dit tout le bien de son pays et de ce qui a été fait pour rehausser le statut de la chère moitié de l’homme (pas de l’Homme, qui doit désigner les deux à la fois).

La ministre d’un Etat africain (le Zaïre, je crois) l’écoute parler puis, subitement, lui dit :

–          Heh, que fais-tu là toi ? C’est une assemblée de femmes, non, et toi tu es un homme (toujours avec petit « h »).

Notre brave ministre de la Femme observe longuement celle qui a osé l’interrompre. Son regard va de haut en bas, puis de bas en haut, et remarque (pardonnez-moi) qu’elle n’a rien d’une femme, avec son crane rasé, ses membres inférieurs et supérieurs à la Semenya, l’athlète sud-africaine dont des doutes sur le sexe auraient pu priver de finale du 800 mètres, en 2009. Sûr de lui donc, comme elle était sûr d’elle, quand elle l’avait apostrophait, il lui rétorque :

–          « Mbii-be ! » (quelque chose comme : « et toi aussi ! »

Mais je ne suis pas sûr qu’elle ait compris. Sinon l’histoire aurait rapporté que les deux Hommes (oui, c’est pas des animaux, quand même) en seraient venus aux mains.

 


« Cultures » sur les deux rives

Culture de cannes à sucre, à la sortie de Rosso-Sénégal

Le mauritanien qui traverse le fleuve Sénégal n’a pas à aller très loin pour constater la différence notoire qui existe entre ici et là-bas.  A cinq cents mètres du débarcadère, les champs de canne à sucre s’étalent à perte de vue, donnant la preuve que le fleuve qui constitue pourtant la frontière naturelle entre la Mauritanie et le Sénégal porte bien son nom. Et ce sera ainsi tout le long de la route qui vous amène jusqu’à Dakar. La terre et l’eau offrent bien leurs richesses à des populations qui mettent à profit ces dons de la nature pour améliorer leurs conditions de vie : des « montagnes » de melons attendent sur les abords de la route à être chargées dans des camions, à destination de la Mauritanie, justement, et peut être aussi des marchés d’Europe. Des vendeuses de fruits traquent les voyageurs et les « forcent » à acheter arachides, bananes, mangues et autres fruits « made in Sénégal », alors que sur l’axe Nouakchott – Rosso c’est la désolation totale. On me dira que les conditions naturelles ne sont pas les mêmes ! Oui, peut être, mais pas aux abords du fleuve où la Mauritanie dispose des mêmes conditions que son voisin sénégalais mais manque de stratégie – et de  volonté de ses populations – pour en tirer le même profit.

C’est vraiment dommage que l’on n’accepte pas encore d’ôter notre habit de « pays au million de poètes » pour porter celui du « million d’agriculteurs ». Ça rapporte infiniment plus que cette notoriété qui ne nourrit pas son homme et qui exaspère, de plus en plus, des pouvoirs publics qui veulent changer la donne sans savoir comment.

En attendant de repenser l’ensemble du système éducatif national, pour passer d’un enseignement théorique – et plutôt humaniste – vers un enseignement pratique (technique), l’Etat doit orienter tous ses efforts vers la valorisation des ressources agricoles et animales du pays. Comment comprendre que la Mauritanie qui dispose de près de 20 millions de têtes de bétail, toutes espèces confondues, continuent encore à importer une bonne partie du lait que consomment ses habitants, tout comme elle le fait encore pour le riz, le blé et le sucre ? On comprend que l’on ne soit pas en mesure de produire des machines-outils mais pas que l’on puisse passer à un élevage de qualité (intensif et non extensif), aménager des terres pour y cultiver ce dont on a besoin pour notre consommation de tous les jours et transformer notre poisson sur place. On n’en demande pas plus à ceux qui nous gouvernent et à ceux qui ont eu la chance – ou la malchance – d’accaparer une bonne partie des richesses de ce pays. Et qui sont aujourd’hui les premiers visés par toutes les critiques qui dénoncent le mal-développement de la Mauritanie.

Sneiba

 

 


Les charrettes de Nouakchott : Un spectacle archaïque, une utilité certaine

On les  voit tous les jours aller et revenir, bloquer la circulation et être à l’origine d’embouteillages aux heures de pointe. Ils sont courageux, pas très calmes et travaillent toute la journée. Ils font partie de notre quotidien….de notre futur proche aussi peut-être. Malgré leur présence imposante et le bruit qu’il y a autour d’eux, allant des chansons des enfants au coup de gueules des automobilistes, qui, pour la plupart, estiment qu’ils n’ont pas leur place sur les rues bitumées. Surtout maintenant qu’elles ont été refaites pour donner à Nouakchott un visage digne de celui d’une capitale.

Les conducteurs de charrettes et leurs ânes participent à l’activité socioéconomique de notre pays comme tout bon Mauritanien. Ils livrent de la marchandise à nos boutiquiers, chez qui nous achetons notre riz, notre sucre… Ils nous aident à acheminer nos matériaux de construction comme les briques, le ciment, les fers ronds, les carreaux et autres. Ils sont utiles aussi, dans la mesure où, ils sont les seuls, dans la situation actuelle de la faiblesse du réseau de distribution d’eau, à acheminer cette denrée indispensable jusqu’aux endroits les plus reculés de la capitale. Avant l’arrivée de Pizzorno, la société française qui s’occupe de la propreté de la capitale, ils nous aidaient à faire ce que nous pouvons dans le ramassage de nos ordures. Mais comprenez bien que le service n’est jamais gratuit et coûte même très cher, à en croire les usagers !

Pour comprendre le travail des charretiers, nous-nous sommes rendus au marché de la Socogim, du nom de la société pour la construction et la gestion immobilière.

 

A première vue, on a l’impression que ce marché est le seul de la Capitale. Il est si vaste que ses activités occupent les rues adjacentes ! Les produits alimentaires frais, généralement fruits et légumes importés du Maroc, du Sénégal ou du Mali y sont vendus à des grossistes et à des détaillants. Selon les saisons, les habitants de la capitale viennent se ravitailler en mangues, pommes, oranges, bananes, carottes. Tous les fruits et légumes disponibles à Nouakchott passent par le marché de la Socogim. Fréquenté par les habitants de la capitale qui désirent consommer du frais, ce marché est devenu le carrefour des charretiers. Rassemblés dans leur coin, racontant des blagues et les dernières anecdotes vécues, les charretiers dont le nombre est impressionnant, ne laissent pas indifférent. Les automobilistes klaxonnent, crient, les piétons esquivent avec la plus grande finesse, pour ne pas être heurtés. Les commerçants eux, les comprennent bien, business oblige.

 

Le mirage de la ville

 

La plupart des charretiers viennent de l’intérieur du pays et ont posé leurs valises dans la Capitale avec une idée bien fixe : faire ce travail. Même si, la majeure partie ne dispose pas des moyens financiers pour s’acheter âne et charrette, il y en a qui sont venus argent en poche et projet de vie bien ficelé. Contrairement à ce que l’on pense, exercer le métier de charretier demande un investissement comme toute autre activité.

C’est donc, à l’entrée Ouest du marché de la Socogim, en face des étalages de fruits que nous entrons en discussion avec les « as » de la livraison.

Dans cette cacophonie inhabituelle, allongé sur sa charrette pendant que son âne bien attaché et, lui-même, bien déguisé, regarde les passants, Dah, la vingtaine au compteur, si l’on croit ses dires, n’a pas accepté facilement de se livrer à nous. Son bâton à usages multiples (forcer l’âne à avancer mais aussi moyen de défense) bien saisi par un bout, fait montre de signes de méfiance à notre égard. Il nous surprend quand même quand il dit que les journalistes « racontent souvent des choses qui n’existent pas ». Après moults tentatives, Dah accepte de nous parler. Attirés par la scène inédite dans leur micro cosmos, les charretiers s’approchent et nous entourent, histoire de savoir ce qui se passe. Dah explique à ses collègues qu’il s’agit d’un entretien avec un journaliste. Là, nos charretiers s’excitent et s’approchent dans un tohu-bohu digne d’une scène de marché. Finalement, c’est tout le groupe qui participera à l’entretien.

Toujours « debouss » à la main comme le chef d’un orchestre philharmonique, Dah dit avoir mis les pieds à Nouakchott en 1999 pour la première fois. Son premier voyage !

« Je suis venu à Nouakchott en 1999. Je ne me rappelle plus du mois. Je vivais à M’bout avec mes parents. Je suis le deuxième fils d’une famille de sept enfants. Chez moi, on est deux garçons et le reste c’est des filles. Avant Nouakchott, je ne suis jamais sorti de M’bout. Je ne suis pas venu à Nouakchott pour perdre le temps. Je suis travailleur comme tous les jeunes Mauritaniens. J’ai entendu des gens dire que les jeunes Mauritaniens n’aiment pas le travail. A mon avis, ce n’est pas vrai. A titre d’exemple, regardez ces charretiers devant vous, ils sont tous des jeunes, tous travaillent et ne veulent que travailler ». Pour avoir plaidé la cause des jeunes et surtout  de ses camarades, Dah a droit à des applaudissements de la part des charretiers qui nous entourent. Dopé par le tonnerre d’applaudissements, notre charretier se positionne et trouve équilibre sur sa charrette, sort sa pipe locale (chrouth) et commence à fumer. Apparemment, la scène lui plaît et, pour la première fois peut-être, il intéresse autant de monde à la fois.

Pour Dah, le départ pour Nouakchott s’est fait après une concertation familiale. Son père, nous dit-il, travaillait dans le charbon de bois. Il avait un petit commerce dans ce secteur. La mère de Dah était femme au foyer. C’est après le mariage de sa sœur aînée que Dah a été invité à la réunion de famille, pour aller à Nouakchott, ce qui allait changer sa vie. Après lui avoir expliqué la situation familiale et sa position de responsable de famille, ses parents lui ont remis la somme de 60.000 UM qui va lui permettre, une fois dans la Capitale, à monter son affaire. « Lorsque je suis venu à Nouakchott, j’étais dépaysé. C’était normal. Mais avec le temps, je me suis adapté. Je suis venu avec mon argent en poche, donc je n’avais pas de problème. Je ne connaissais personne qui exerçât ce métier. A mon départ de M’bout, mes parents m’avaient laissé le choix de faire ce que je voulais avec cet argent à condition de bien le gérer. Après m’être informé, j’ai acheté une charrette et un âne. Il m’est resté un peu d’argent de poche. Au début, j’assurais la livraison pour des particuliers à partir de grands magasins qui se situent près de la Mosquée marocaine. Du matériel de construction principalement. Je restais des journées entières sans faire trois livraisons. C’est alors que j’ai décidé de changer et de prendre place ici au marché de la Socogim. Ce marché est toujours en activité et les camions viennent plusieurs fois par semaine. Ici, je suis bien. Tous les jours, je travaille jusqu’à 20 heures. Je m’en sors avec 3000 UM, en moyenne selon les journées.» Dah nous révèle ses tarifs qui se situent entre 100 et 300 UM, donc des tarifs aussi chers que ceux des taxis ! Mais l’avantage, selon lui, c’est qu’ils peuvent transporter des poids que les taxis ne peuvent pas supporter. – Au grand dam des pauvres bêtes de somme ! – Les usagers, quant à eux, trouvent le travail des charretiers, comme tout autre, très pratiques même si, en termes de vitesse, ça laisse à désirer.

Le travail de charretier, comme tout autre, est organisé et demande une certaine entente entre les acteurs du domaine. Personne n’a le droit de détourner le client de son voisin ou de modifier les prix. Les tarifs n’étant pas fixes, des arrangements sont trouvés mais toujours dans l’esprit d’éviter de dévaloriser l’activité. Mais même si un charretier prend le risque de franchir la limite, il n’y a aucune sanction prévue.

 

Rude concurrence avec les taxis

 

Mais le travail des charretiers est rendu compliqué par les automobilistes qui ne veulent plus partager les rues bitumées avec eux. Il l’est encore plus depuis que la Communauté urbaine de Nouakchott tente de leur interdire un centre-ville dont les avenues viennent tout juste d’être réhabilitées. Une décision qui n’est que passablement respectées puisqu’il n’est pas rare de rencontrer une de ces rustiques charrettes se faufilant dans la circulation au niveau de l’Avenue Gamal Abdel Nasser ou même passant devant le somptueux Palais des Congrès. Souvent pris à partie, ils savent bien gérer ces situations difficiles.

Pour Dah, le «goudron» est une propriété publique. Les routes appartiennent à tout le monde, donc personne n’a le droit de les pousser du côté des piétons, car ils ne sont pas des piétons. «Tout comme les automobilistes, nous avons des « véhicules » et qui dit véhicule dit forcément routes. Nous ne voulons pas faire des routes «goudronnées» notre propriété, mais il est normal que nous y roulions parce que nous en avons besoin. C’est indispensable pour faire notre travail. L’Etat n’a pas dit que les routes goudronnées sont une exclusivité des véhicules à quatre roues. Pensez-vous que nous pouvons rouler sur le bas-côté avec les piétons? Et bien non, ce n’est pas possible ! A chaque fois qu’il y a des embouteillages, on nous fait porter la responsabilité. Ce sont les camions qui sont à l’origine des embouteillages, pas les charrettes. Il faut nous laisser travailler c’est tout ce que nous demandons ! Comme les taximen, nous sommes entrain de travailler et les charrettes sont indispensables comme vous le savez ».

Les charretiers n’ont pas tous le même statut. Certains, comme Dah sont propriétaires de leurs charrettes et travaillent pour leurs propres comptes. D’autres travaillent pour le compte de grands propriétaires et bénéficient d’une rémunération mensuelle ou journalière. Parmi eux, on compte aussi des étrangers, Maliens surtout qui ont choisi le créneau de la vente de l’eau.

Finalement, les charretiers sont comme tout le monde et sont organisés avec les moyens du bord pour vivre. Pour finir, ils demandent aux automobilistes de baisser le ton et de bien vouloir partager les routes aménagées avec eux… Mais, le malheur, c’est qu’ils ne sont pas astreints au code de la route !!!

 


Le Parler français Hassaniya

De l’usage de quelques expressions et mots français dans le dialecte Hassaniya de Mauritanie

 

 

A

 

1. Abranti (apprenti) : C’est le nom générique que l’on donne à des individus, plus ou moins jeunes, qui offrent leurs services dans des véhicules de transport, dans l’espoir de devenir, un jour, chauffeur. Cet « abrantissage » se pratique dans tous les métiers mais, bizarrement, cette étiquette « d’abranti » – on dit aussi tout simplement « apprenti » – désigne uniquement l’apprenti-chauffeur.

 

2. Accidenh (accident) : Choc entre voitures, chute d’une voiture avec ou sans dégâts.

 

3. Acteur : terme utilisé par les jeunes cinéphiles. Le sens habituel de ce mot « artiste qui joue dans une pièce de théâtre ou dans un film », « personnage qui prend une part déterminante dans une action » est réduit ici à celui de « héros ». Dans  un film, il y a ainsi pour les jeunes cinéphiles mauritaniens,  « lacteur » (l’acteur) et les « bandi » (pluriel : « bandiyāt »).

 

4.  Affīche (affiche) :

 

5.  Agenh (agent de police).

 

6. Aidecanh (aide de camp) : Officier attaché à la personne d’un chef d’Etat, d’un général, etc. En  Hassaniya, ce mot désigne aussi une personne qui s’attache à une autre d’un état socio-économique plus élevé, dans l’espoir de profiter de ses largesses. C’est un parasite en quelque sorte.

 

7.   Aïrepōr (aéroport)

 

8. Ambassād (ambassade) : Dans des expressions comme « Ambassād vrans », « Ambassād essīn » (ambassade de France, ambassade de Chine).

 

9.   Ambassādeur (ambassadeur).

 

10. Ambilās (ambulance)

 

11. Ampūle (ampoule)

 

12.  Ậnqueut’ (enquête)

 

13. Ậnteïn’ (antenne) : Elément du dispositif d’émission de radio ou de télévision.

 

14.  Apparay’ (appareil) : appareil photographique.

 

15.  Ardwāz (ardoise) : Tablette sur laquelle on peut écrire avec la craie.

 

16.  Armwār’ (armoire).

 

17.  Arrangmenh’ (arrangement) : convention amiable, service rendu.

 

18. Arrêt bīs (arrêt de bus). Et pas n’importe quel arrêt. Dans la bouche d’un Nouakchottois qui se respecte, « Arrêt bīs » désigne uniquement le terminal, le dernier arrêt (au 5ème Arrondissement) de l’ancienne compagnie de transport public, STPN.

 

19. Axe (axe) : support du bracelet d’une montre.

 


« TOUCHE PAS A MON PAIN »

Question à mille balles : Est-ce que le temps n’est pas venu pour que les citoyens disent non à cette situation désolante de flambée des prix ? Un sac de riz qui ne « s’enlève » aujourd’hui dans la boutique du coin qu’à quelque 12.000 UM, soit pratiquement le double du prix d’il y a trois ans ! Idem pour le sucre, le blé et les autres denrées de première nécessité. Après « touche pas à ma nationalité », mouvement qui se dressait contre les dérapages possibles d’un enrôlement fait dans la précipitation et qui prend sur lui de dénoncer maintenant les injustices faites aux Négro-mauritaniens, il y a lieu sans doute, à ce que les citoyens pressent le gouvernement de se remuer pour qu’ils ne se battent pas uniquement pour leur survie. « Touche pas à mon pain », voilà la préoccupation essentielle qui doit passer aujourd’hui avant toutes celles qui concernent une crise politique qui fait le jeu d’hommes et de femmes dont le « métier » est d’être avec le pouvoir ou de s’opposer à lui mais également des questions non essentielles qui n’apportent rien à la gestion quotidienne des affaires publiques. Des élections municipales et législatives qui placeront des hommes et femmes à la place d’autres, cela ne résout aucunement les problèmes de subsistance de l’éleveur et de l’agriculteur, encore moins ceux du diplômé chômeur.

C’est dire que la protection du consommateur mauritanien ne doit plus être l’affaire d’une association, qui n’a de force de persuasion que des communiqués adressés à la presse, mais du citoyen capable de dire « non » à des mesures gouvernementales prises sans concertation aucune avec les partenaires sociaux et jamais en connaissance de  cause. A titre d’exemple, le président de la République, avait déclaré, lors de son « direct avec le peuple », que les prix du carburant sont appelés à augmenter encore. D’accord, mais pourquoi ? N’est-il pas possible que ces mêmes prix, justifiés par une conjoncture internationale fluctuante, puissent amorcer l’effet inverse ? Ou bien s’agit-il, comme toujours, d’appliquer à la lettre, « les recommandations du président de la République » ? Même quand ces mesures sont de nature à porter préjudice à la politique d’un gouvernement qui n’a pas besoin « d’accumulations » d’erreurs qui risquent de lui être fatales.

On oublie peut-être un peu trop vite que le pain a toujours été à l’origine de révolution. La première qui a éclaté en Tunisie, sous l’ère Ben Ali, a justement pour origine une augmentation de cette denrée qu’il faut savoir garantir à tout prix. L’on oublie également que c’est la question des prix qui a été l’un des principaux éléments de propagande entre les mains de la « fronde » contre le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi et que, même si les parlementaires qui l’avaient brandie au nom du peuple font aujourd’hui profil bas, la question revient quand même au devant de la scène de manière récurrente.

Sneiba 


Rentrée scolaire 2012-2013 : La même rengaine ou presque

Un lycée privé submergé par les eaux de pluie à Nouakchott

Les élèves et étudiants mauritaniens devaient prendre la route des classes hier lundi 01 octobre 2012. Je dis « devaient » parce que tout le monde sait que la première semaine, voire les quinze premiers jours de cette « rentrée officielle » sont un prolongement naturel des vacances d’été. On les passera à inscrire les nouveaux – les bleus – à réorienter les « anciens », à confectionner les emplois de temps des professeurs, à vérifier que les salles sont prêtes pour accueillir les élèves. Disons à voir si la logistique est prête, ce qui est rarement le cas dans les écoles publiques. Au privé, on démarre toujours sur les chapeaux de roue, histoire de montrer aux parents d’élèves qu’ils ne payent pas leur argent pour rien.

Mais il faut dire, pour une fois, que l’on a vraiment raison de demander le report de l’ouverture des classes. Les dernières pluies ont causé des dégâts énormes, même à Nouakchott, où l’on n’a pas l’habitude de voir tomber près de 50 mm sur une ville sans assainissement, sans moyens d’évacuation des eaux et encore pleines de défauts.

J’ai été vraiment peiné en constant cela au niveau d’un Groupe Scolaire Privé qui, il faut le dire, est l’un des rares établissements qui ressemble à quelque chose à Nouakchott. La cour était pleine d’eau, les bâtiments assiégés de part et d’autre. L’administration qui a tout fait contre ce « déluge » est restée impuissante face à l’énormité du défi. Je suis sûr que ça doit être pire ailleurs, notamment à l’intérieur du pays (à Rosso, Kaédi et Boghé, par exemples, villes bâties au bord du Fleuve, en pleine Chemama).

Pour le reste, tout est comme avant. A l’occasion, le ministre d’Etat chargé de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Ahmed Ould Bahiya, a déclaré que pour les besoins de la nouvelle rentrée, l’Etat a construit 15 lycées, 20 écoles primaires, bâti plus de 1000 salles de classes supplémentaires et réhabilité 68 écoles à Nouakchott.

Sneiba


Le Parler français Hassaniya

 

De l’usage de quelques expressions et mots français dans le dialecte Hassaniya de Mauritanie

 

 Introduction

 

     Combien sont-ils? C’est la question que je n’ai cessée de me poser depuis le moment où l’idée de ce travail m’est venue en tête. « Ils », ce sont tous ces mots de la langue française que le Hassaniya (1) a, au fil du temps, incorporés dans son expression populaire. Populaire seulement, la précision a son importance. Car le Hassaniya « relevé » – si je peux appeler ainsi celui des poètes et des gens « sérieux » – n’utilise que très rarement ces mots « impurs » qui ont fini pourtant par avoir une certaine audience grâce aux effets plaisants qu’ils donnent au parler hassanniya  de tous les jours.

Le recensement de ces mots a constitué pour moi un jeu passionnant. Au début, ils venaient par dizaines, se bousculaient dans ma tête. Je les enregistrais n’importe où, n’importe comment : Sur le chemin du lycée, au cours d’une partie  de jeu de dames, sur mes fiches de préparation, ma main, mon chéquier… Puis la source s’est tarie. Je les rappelais à la mémoire, ils ne venaient pas, je les cherchais dans les objets, ils surgissaient par groupe de deux, de trois, jamais plus. Enfin, quand l’un de ces mots daignait se présenter, j’étais tenté, le plus souvent aussi, de le refuser. Ce mot a-t-il vraiment une origine française? Son emploi est-il fréquent? A-t-il une solide assise populaire? Ces questions auxquelles je soumettais ce mot étaient un préalable  à son intégration dans la liste établie. Mais que pouvais-je faire au juste de ces matériaux?

Un premier travail s’imposait : Donner forme à ce qui n’était encore qu’un vague recensement de mots, en commençant par confronter le sens du mot en Hassanniya avec le(s) sens en français. Ces mots et expressions français qui ont réussi à « percer » dans le Hassanniya populaire sont dits. Ils ne sont pas arrivés jusqu’à nous inchangés.  Leur prononciation s’est modifiée et certains s’emploient même dans notre parler de tous les jours avec un sens nouveau. Comment alors les transcrire? Comment attester leur filiation quand on sait qu’ils n’ont, parfois, qu’une lointaine ressemblance phonique avec le mot français? Certains phonèmes arabes n’ont pas d’équivalents en français : Le son [ط], par exemple, n’a qu’une lointaine parenté phonique avec le son [t]. On essaie de le rendre par [ţ] (th emphatique). Le son [] par [d]. Inversement, l’arabe compte lui aussi ses absents. Le son [y] y est inconnu, le son [i] lui supplée. Devant tant de difficultés – j’ai cité seulement les difficultés de transcription – j’ai adopté un certain nombre de « mesures » susceptibles de rendre « lisibles» certaines graphies.

1. J’ai adopté, pour l’ensemble de ce travail et dans un souci d’uniformisation, la transcription, avec signes et valeurs approximatives, que donne Le Petit Larousse illustré et le Dictionnaire Universel (Larousse-Edicef.)

2. En Hassanniya, il existe, à côté des sons traditionnels que le français rend convenablement, d’autres sons-doublures, pourrait-on dire, plus longs que les premiers; et que nous distinguons des autres en leur mettant une barre dessus : pōche, lī-ce, cāsse.

3. Nous détacherons les syllabes de certains mots pour indiquer leur prononciation convenable en Hassanniya : bra-ce-le (bracelet), cu-man-de (commandant).

4. Les entrées de certains mots conservant leur prononciation originelle seront transcrites telles quelles.

5. Enfin, et pour ne pas s’arrêter à un simple recensement de mots, j’ai décidé de donner le sens du mot français «hassanisé» avec les variations et les flottements inhérents à la langue parlée, tout en indiquant les usagers (élèves, militaires, commerçants, agriculteurs, galants, etc). A ce sujet, une remarque s’impose : «Le parler français hassanniya» n’est pas un parler général. Les mots français «hassanisés» ne sont pas indifféremment produits par les locuteurs «hassān2». Ce parler est, le plus souvent, des groupes de mots appartenant à des domaines bien déterminés. C’est un parler corporatiste. Il y a ainsi un parler militaire, un parler galant, commercial, etc. Dans le domaine de la mécanique, par exemple, les différents organes de la voiture ainsi que les outils utilisés pour les réparations ne sont désignés que par leurs appellations françaises : «cle-ru» (clé roue), «joinh» (joint), «vīs-pla-tini» (vis platinée), «capu» (capot). Soulignons tout de même qu’il arrive que le mot «hassanisé» entre de façon définitive et complète dans le parler général, mais l’usage corporatiste est presque toujours un passage obligé.

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Ces emprunts doivent cependant être situés dans un contexte bien déterminé, celui d’un pays économiquement faible (la Mauritanie) dont les «marchés» sont envahis par les matières et produits consommables en provenance d’un ailleurs jusque-là insoupçonné. Les emprunts de mots accompagnent «l’arrivée» – l’arrivage, disent les hassanophones – des choses (fruits et légumes, vêtements, sport, etc) et, plus rarement, des idées. Ils décèlent les influences des peuples les uns sur les autres : influence du colonisateur sur le colonisé, influence du pays industrialisé sur le pays pauvre, influence du producteur sur le consommateur, etc. C’est pourquoi, il convient, pensons-nous, de ne regarder ces emprunts que d’un point de vue socio-économique, non linguistique. Par ces emprunts, les locuteurs «Hassān», ne cherchent pas, de façon consciente, à enrichir leur langue. Ces mots concernent le plus souvent des réalités nouvelles qui, le plus souvent, n’ont pas de nom dans la langue hassanniya. Plus rarement, à cause de l’avancée technologique de l’Occident, le hassanniya donne à ces objets nouveaux des noms-doublures crées après-coup. Ainsi des mots comme «cāre» (carré, terrain d’habitation), «si-gna-tīre» (signature), «marsandīs» (marchandise) sont passablement concurrencés par leurs équivalents arabes.

II y a également ce qu’il convient d’appeler «les mots d’époque». L’entrée  de ces mots et expressions français dans le hassanniya s’est faite d’une manière très variable selon les époques (époque coloniale et époque moderne3). Ainsi, certains ont une existence circonscrite dans le temps, comme les mots «gum-ye» (goumier), « partisāne » (partisan), «cung-re»  (congrès). Ce sont des «maux» d’époque qui évoquent, aujourd’hui encore, des histoires de colons, de colonisés et de gardes chiourmes.

 
1. Dialecte arabe de Mauritanie

2. Nous adjectivons ce mot au même titre que «hassanisé». «Hassān» désignera ainsi, comme en hassanniya, «ce qui est relatif à cette langue ou à ses locuteurs».

3. l’après indépendance, il va s’en dire.

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Il reste à évoquer enfin le degré de parallélisme sémantique entre le mot français et son répondant en Hassanniya.

Ces emprunts sont le plus souvent, au-delà de toutes variations phoniques, les répliques d’une même entité signifiante4. Le sens en Hassanniiya peut demeurer le même que celui qu’a le mot en français mais parfois le mot français «hassanisé» ne rend que quelques-uns des aspects de ce mot et en ignore les autres. C’est dans ce dernier cas que nous le faisons suivre d’une explication succincte, nécessaire à l’appréhension de son nouveau sens dans la langue hôte. Il est rare d’assister, après l’intégration du mot français, à une désintégration du sens mais cela arrive quelque fois. Deux étapes sont alors suivies par ce processus d’intégration:

1.Le locuteur «hassān» prend le mot avec l’objet ou la réalité qu’il représente.

Les montres envahissent le marché et cessent d’être cet «objet rare» que ne possèdent, à son arrivée en Mauritanie, que quelques rares privilégiés. Le nom français est dans toutes les bouches. Progressivement, il intègre le parler populaire. Il est adapté5. Parfois il est tout simplement adopté.

2.Cet objet ou cette réalité génère par la suite un autre sens, à partir d’un usage local que la langue d’accueil confère au mot français. «Jericān» (jerrican», récipient d’une contenance de vingt litres environ, est devenu – aussi – le nom d’une danse folklorique des haratines6 du Brakna7. L’intérêt linguistique donc, si nous nous obstinons à le rechercher, réside dans ces écarts d’emplois populaires.

 

SNEIBA Mohamed

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

4. Il s’agit d’un parler au sens strict du mot, nous le rappelons.

5 .la prononciation du mot français «hassanisé» est très souvent soumise aux règles qui régissent le    hassanniya. Certains mots, par exemple, seront précédés d’un «el» déterminatif équivalent à l’article défini «le», «la» : «el baqaf» (le paquet), «el bâz» (la base).

6. Maures noirs, descendants d’anciens esclaves.

7. Région du sud-oust mauritanien.

 


Les Etats généraux de l’Education : Après la rentrée des classes

Un think tank mauritanien discutant des problèmes de l’éducation

Selon une source proche de la Commission chargée de l’organisation des Etats généraux de l’Education, les assises sur l’enseignement mauritanien devraient se tenir dans la seconde moitié du mois d’octobre 2012. Soit deux semaines après l’ouverture de la nouvelle année scolaire. Autant dire que les résultats de cette importante réflexion pourraient ne pas être d’un grand secours pour mettre en œuvre les réformes proposées avant la prochaine ouverture des classes ! En attendant, et en vue d’aider à bien caler les débats, l’ONG Mauritanie Perspectives (qui se veut un Observatoire du Suivi Citoyen du CSLP III) a consacré son deuxième « Mercredi de MP » (26 septembre 2012) à cette délicate problématique de l’éducation en Mauritanie.

Ouvrant les débats de ce Think Tank mauritanien, le président de Mauritanie Perspectives, Abdel Aziz Ould Dahi, a d’abord évoqué la nécessité du débat en tant que diagnostic qui traduit le fait qu’il y a aujourd’hui « une quasi-unanimité autour du fait que notre système éducatif ne va pas au mieux ». Et de le président de MP de souligner que la mise en place récente d’une Commission nationale chargée des Etats généraux de l’Education et de la Formation « est une nouvelle tentative des autorités visant à améliorer la performance du secteur. Mais comme toujours, la question qui est posée n’est pas « quel est le problème ? » mais celle du « comment faire ? »

Plusieurs réformes ont déjà été menées en Mauritanie mais elles ne sont jamais allées à l’essentiel, c’est-à-dire à la recherche de la qualité (donc de la lutte contre la baisse des niveaux) ou à ce que le nouveau pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz appelle l’adaptation de la formation aux besoins du marché. Toutes les réformes passées – et peut être celle qu’on s’apprête à lancer – se sont focalisées sur la question des langues, avec en filigrane, la prédominance de l’arabe sur le français ou la recherche d’un compromis pour leur « cohabitation ». Une question que beaucoup des participants au débat de MP ont trouvé sans réelle importance puisque ce qui compte, après tout, c’est le résultat et ce qui va être fait dans la pratique. Surtout quand on sait que les défenseurs de l’arabisation du système sont les premiers à envoyer leurs progénitures à l’école française ou, à défaut, au Petit centre ou dans un établissement tenu par un étranger ! Une manière comme une autre de contribuer à la baisse de qualité de l’enseignement public où seuls les enfants des pauvres sont obligés d’y aller. L’ancienne ministre de l’Education nationale, Nebghouha Mint Mohamed Vall, dont l’action au cours de la  Transition militaire 2005-2007 a été saluée par tous les présents, a même souligné un risque de troubles sociaux, à moyen et long termes, avec cette école à deux vitesses : le privé pour certains, et le public pour d’autres (essentiellement les Haratines).

Pour elle, tout le mal de l’éducation vient de l’éparpillement des efforts, traduit par celui de l’existence de milliers de localités qui veulent toutes avoir leurs écoles, leurs centres de santé et leurs services d’eau et d’électricité. Pour cette ancienne ministre, c’est donc un problème de mauvaise gestion des ressources financières et humaines, avec des ramifications politiques évidentes, qui explique tout le mal-être du système éducatif mauritanien.

Tenir compte de la  spécificité de l’éducation

Tous les participants ont tenu également à souligner la spécificité de l’éducation par rapport aux autres secteurs. Mint Mohamed Vall dira que l’erreur du médecin, bien que pouvant entraîner la mort du patient, n’a rien à voir avec les défauts et manque de scrupules d’un enseignant qui mettent en péril l’avenir de 50 enfants.

Cette caractéristique propre, qui fait que l’éducation agit positivement ou négativement sur tous les autres secteurs, rend la responsabilité encore plus grande quant à la gestion, dans tous ses aspects, des ressources (financières et humaines), qui lui sont allouées. Surtout que l’Education  accapare le presque le quart du budget de l’Etat et les deux tiers des fonctionnaires et agents de l’Etat. On se  mettrait donc dans de bonnes prédispositions si on arrive, lors des prochains Etats généraux de l’éducation, à en place un projet de (bonne) gestion pour tendre vers la qualité.

Pour le Dr Hawba, ancien doyen de la  faculté des Sciences et Techniques de l’Université de Nouakchott, les EGE ne doivent pas privilégier la production de documents (car le système éducatif mauritanien est déjà le mieux et le plus étudié dans le monde) mais donner une vision à long terme pour atteindre la qualité. C’est donc bien une question de pertinence des choix dans la conduite de ces programmes, donc de stabilité.  Mais aussi d’adaptation de la formation aux besoins du marché.

Plus de moyens et plus d’équité

L’Etat doit mettre les moyens qu’il faut mais aussi faire preuve d’équité pour motiver les enseignants. Le parallèle a été fait, dans ce domaine, entre ce que gagne un professeur, assurant 6 heures de cours par semaine dans un établissement privé, pour 100.000 UM, et un autre trainant une ancienneté de 25 ans et ne gagnant que 120.000 UM pour 18 heures de cours assuré dans un établissement public. L’injustice des promotions au sein de l’éducation, souvent liées au clientélisme politique a aussi été vue comme l’une des causes du mal-être des enseignants. Une plus grande attention doit être accordée aux cycles primaire et secondaire, au détriment du Supérieur qui, sous d’autres cieux, est passé sous la coupe du privé. Le classement des 500 grandes écoles au monde place la France à la 80ème place parce que son système se heurte encore, comme en Mauritanie, à ce problème de financements de l’enseignement supérieur qui empêche l’Etat de dégager plus de fonds pour l’enseignement à la base. Enfin, comparant l’éducation hier et aujourd’hui, une participante aux débats, Tourkiya Daddah, est arrivée à cette belle conclusion : « Les Anciens ne sont pas des gens particulièrement compétents, mais particulièrement « passionnés ».  A méditer.

Sneiba Mohamed

 

 


Aziz – Ely : LA GUERRE DES COUSINS

Le conflit ouvert entre l’ancien président du Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD), le colonel Ely Ould Mohamed Vall, et l’actuel homme fort de Nouakchott, Mohamed Ould Abdel Aziz est en train de prendre la forme de l’un de ces feuilletons latino très prisé en Mauritanie, avec ses rebondissements, ses suspens, ses révélations, parfois douteuses, et l’exacerbation d’une tension qui vient se greffer à celle, déjà existante, entre le pouvoir et son opposition.

La rivalité entre les deux hommes est connue. Elle ne date pas seulement de la présidentielle de juillet 2009 mais à quoi sert-il de la raviver aujourd’hui ? Le camp du pouvoir joue-t-il la bonne partition quand il tire à boulets rouges sur un ancien président qui, selon ses propres analyses, ne constitue aucune menace sérieuse. Et ceux qui veulent en convaincre les mauritaniens de rappeler son score dérisoire de 3% à la dernière présidentielle, contre les 52% du président Aziz. De rappeler aussi, avec force arguments, qu’Ely est responsable des « dérapages » de la transition militaire 2005 – 2007, sans se rendre compte qu’ils versent dans le paradoxe d’une situation où Ould Abdel Aziz est présenté comme le héros qui refuse le « vote blanc », la prolongation de la transition écourtée de 24 mois à 19, mais laisse faire son cousin, à supposer que l’argent de Woodside ait été détournée, que la licence octroyée à Chinguittel n’est pas suivie le processus normal qui a conduit à la création de Mattel et de Mauritel !

Ce qu’il faut comprendre aujourd’hui c’est que les mauritaniens n’ont pas besoin d’une « guerre entre cousins ». Qui détournerait les regards de l’essentiel. La résolution de la crise multidimensionnelle passe avant tout. Que l’ancien président Ely Ould Mohamed Vall rejoigne avec armes et bagages les rangs de la Coordination de l’opposition démocratique (COD) ne doit pas être vu par les « « zélés » de la Majorité comme une adversité vouée à Aziz. N’a-t-il pas le droit, comme tout mauritanien, de choisir son camp ? Et s’il avait été du « bon côté », allait-on le critiquer de la manière que l’on voit aujourd’hui ? Ce n’est pas sûr. Un peu à l’image de l’ex Premier ministre Yahya Ould Ahmed Waghf, accusé d’avoir attenté à la vie des mauritaniens dans le cadre du marché du « riz avarié », d’avoir provoqué la faillite puis la liquidation d’Air Mauritanie, mais qui est aujourd’hui un dirigeant respectable de la Majorité soutenant le pouvoir du président Aziz.

Les dessous des cartes

Cousins germains Ely Ould Mohamed Vall et Mohamed Ould Abdel Aziz n’en demeurent pas moins farouches adversaires et ne semblent pas pour autant s’estimer. Loin s’en faut. Si le président Ould Abdel Aziz, semble encore respecter son « aîné » en s’interdisant de parler de lui depuis qu’il a triomphé lors de la présidentielle de juillet 2009, et même si les allusions à lui sont de plus en plus claires, l’ex-président du CMJD lui, multiplie les sorties. Depuis qu’il participe aux meetings de la COD et sillonne avec ses leaders l’intérieur du pays pour dénoncer ce qu’il considère comme une dérive du pouvoir. Il ne s’agit plus de déclaration, comme celle par laquelle Ely a ouvertement pris position contre son cousin, en déclarant au journal français « L’Express » que le pouvoir de Ould Abdel Aziz est « illégitime ».

En fait, le colonel Ely semble ne pas pardonner à son ancien compagnon d’armes de l’avoir « roulé » trois fois : d’abord en orientant la Transition militaire de 2005 dans le sens voulu par lui, ensuite en lui brûlant la politesse, quand il a suggéré au président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi de l’élever au grade de Général et puis en l’impliquant dans une élection présidentielle où le pire n’a pas été de perdre mais de réaliser un score qui frise le ridicule. Et c’est peut être cette dernière manœuvre politique qui fait que les chemins des deux cousins ne peuvent plus se rencontrer.

Dans une situation politique qui tourne chaque jour au mélodrame politique, il n’est pas exclu de voir une réorganisation de l’opposition autour du colonel Ely Ould Mohamed Vall, homme de l’ombre durant plus de vingt ans, impliqué, malgré lui, dans la politique de manière ouverte quand les colonels Mohamed Ould Abdel Aziz et Ould Ghazouani avaient décidé de renverser le pouvoir de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya. L’homme qui a dirigé la Transition 2005, œuvré à la mise en place d’un projet de Constitution approuvé par référendum le 25 juin, visant à ancrer le principe de l’alternance démocratique et à baliser le chemin menant à l’élection présidentielle de mars 2007, épilogue de la transition, dit ne pas accepter que son travail soit détourné de sa finalité. Ce serait cela le but de son combat.  Après avoir dit que « Le coup d’Etat ne s’explique pas. Il était possible de trouver une solution politique à la crise. Nous avons travaillé pour que la Mauritanie ne souffre jamais plus de ses leaders », il revient pour asséner qu’il s’agissait plutôt d’une « rébellion » !

Mais pour nombre d’observateurs, Ely est entré trop tard dans la scène politique. L’aurait-il entamé après la chute de Sidioca, que son combat serait davantage compris. L’homme n’a surtout pas manqué d’occasions pour se relancer dans la scène. On lui reproche alors d’avoir tu ses reproches à son cousin Aziz durant la période de « Rectification », préférant laisser le Front national pour la défense de la démocratie (FNDD), rejoint plus tard par le RFD, s’opposer au pouvoir des généraux. On lui reproche aussi son silence de marbre après que, lors de la première campagne présidentielle, le candidat Ould Abdel Aziz, alors en Inchiri, avait déclaré qu’il comptait demander des explications aux hautes autorités de la transition de 2005-2007 sur le sort qui a été réservé à une enveloppe financière de 25 milliards d’ouguiyas, et sur les raisons qui ont conduit à honorer, à l’époque, certaines dettes de l’Etat alors que d’autres étaient restées impayées.

En tout état de cause, le silence observé durant les moments de lutte contre la « Rectification » par l’ancien président du CMJD continue d’expliquer, en partie, la grande prudence observée vis-à-vis du colonel Ely par les Mauritaniens, pensant qu’il ménageait tout simplement Ould Abdel Aziz qui n’est pas seulement un militaire comme lui mais un proche.

Par la force de la contradiction et de la parole, Ely Ould Mohamed Vall est sans doute, en train de gagner du terrain. Dans les faits, le ton a bien changé depuis quelque temps. Nombre de Mauritaniens sont en train de réviser leur position sur Ely Ould Mohamed Vall, malgré la contre-attaque menée par le pouvoir pour resituer son propos dans le cadre d’une rivalité entre cousins, mais surtout, en rapport à ce que l’on pense être son « talon d’Achille » : Sa proximité avec le régime Taya, en tant que DGSN (directeur général de la sûreté nationale) pendant deux décennies, ses liens supposés ou réels avec les lobbies juifs et la gestion controversée de certains dossiers économiques de la Transition.

En tout cas, comme les « vieux » opposants de la COD, qui ne se donnent plus le temps de réfléchir, et de voir si Aziz ne va pas être victime de ses propres erreurs, Ely Ould Mohamed Vall donne l’impression de ne pas vouloir passer en perte et profit toute une expérience militaire et politique à l’issue d’une simple élection présidentielle. Comme Aziz a remis en cause la gouvernance de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, l’ancien président du CMJD cherche, lui aussi, à remettre les pendules de la démocratie à l’heure. Car il relève maintenant de l’Histoire, qu’Ely Ould Mohamed Vall a justifié et endossé le coup d’Etat du 3 août 2005, et qu’il a initié la période de transition démocratique 2005-2007 dans le consensus pour mettre fin aux mauvaises pratiques de prise du pouvoir par la force. A l’époque, l’ensemble des acteurs politiques et de la société civile avaient fait le voyage de Bruxelles pour exposer, dans le cadre des accords de Cotonou, le plan du retour à la légalité constitutionnelle. Ceci avait, d’ailleurs, permis aux différents partenaires au développement de la Mauritanie de soutenir la transition démocratique en cours. Mais surtout, le colonel Ely Ould Mohamed Vall avait fait interdire, par ordonnance, la candidature des membres du CMJD et de son gouvernement aux différentes échéances électorales.

L’ex-chef de l’Etat pensait sans doute avoir préparé les conditions d’un retour triomphal à la ATT (du nom du président malien qui avait quitté le pouvoir avant de le reprendre de manière démocratique et d’en être chassé par un putsch). Mais il avait compté sans les calculs des généraux Aziz et Ghazouani qui, eux aussi, avaient d’autres idées en tête. Aujourd’hui, nul doute que le feuilleton continue.