Aziz – Ely : LA GUERRE DES COUSINS

27 septembre 2012

Aziz – Ely : LA GUERRE DES COUSINS

Le conflit ouvert entre l’ancien président du Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD), le colonel Ely Ould Mohamed Vall, et l’actuel homme fort de Nouakchott, Mohamed Ould Abdel Aziz est en train de prendre la forme de l’un de ces feuilletons latino très prisé en Mauritanie, avec ses rebondissements, ses suspens, ses révélations, parfois douteuses, et l’exacerbation d’une tension qui vient se greffer à celle, déjà existante, entre le pouvoir et son opposition.

La rivalité entre les deux hommes est connue. Elle ne date pas seulement de la présidentielle de juillet 2009 mais à quoi sert-il de la raviver aujourd’hui ? Le camp du pouvoir joue-t-il la bonne partition quand il tire à boulets rouges sur un ancien président qui, selon ses propres analyses, ne constitue aucune menace sérieuse. Et ceux qui veulent en convaincre les mauritaniens de rappeler son score dérisoire de 3% à la dernière présidentielle, contre les 52% du président Aziz. De rappeler aussi, avec force arguments, qu’Ely est responsable des « dérapages » de la transition militaire 2005 – 2007, sans se rendre compte qu’ils versent dans le paradoxe d’une situation où Ould Abdel Aziz est présenté comme le héros qui refuse le « vote blanc », la prolongation de la transition écourtée de 24 mois à 19, mais laisse faire son cousin, à supposer que l’argent de Woodside ait été détournée, que la licence octroyée à Chinguittel n’est pas suivie le processus normal qui a conduit à la création de Mattel et de Mauritel !

Ce qu’il faut comprendre aujourd’hui c’est que les mauritaniens n’ont pas besoin d’une « guerre entre cousins ». Qui détournerait les regards de l’essentiel. La résolution de la crise multidimensionnelle passe avant tout. Que l’ancien président Ely Ould Mohamed Vall rejoigne avec armes et bagages les rangs de la Coordination de l’opposition démocratique (COD) ne doit pas être vu par les « « zélés » de la Majorité comme une adversité vouée à Aziz. N’a-t-il pas le droit, comme tout mauritanien, de choisir son camp ? Et s’il avait été du « bon côté », allait-on le critiquer de la manière que l’on voit aujourd’hui ? Ce n’est pas sûr. Un peu à l’image de l’ex Premier ministre Yahya Ould Ahmed Waghf, accusé d’avoir attenté à la vie des mauritaniens dans le cadre du marché du « riz avarié », d’avoir provoqué la faillite puis la liquidation d’Air Mauritanie, mais qui est aujourd’hui un dirigeant respectable de la Majorité soutenant le pouvoir du président Aziz.

Les dessous des cartes

Cousins germains Ely Ould Mohamed Vall et Mohamed Ould Abdel Aziz n’en demeurent pas moins farouches adversaires et ne semblent pas pour autant s’estimer. Loin s’en faut. Si le président Ould Abdel Aziz, semble encore respecter son « aîné » en s’interdisant de parler de lui depuis qu’il a triomphé lors de la présidentielle de juillet 2009, et même si les allusions à lui sont de plus en plus claires, l’ex-président du CMJD lui, multiplie les sorties. Depuis qu’il participe aux meetings de la COD et sillonne avec ses leaders l’intérieur du pays pour dénoncer ce qu’il considère comme une dérive du pouvoir. Il ne s’agit plus de déclaration, comme celle par laquelle Ely a ouvertement pris position contre son cousin, en déclarant au journal français « L’Express » que le pouvoir de Ould Abdel Aziz est « illégitime ».

En fait, le colonel Ely semble ne pas pardonner à son ancien compagnon d’armes de l’avoir « roulé » trois fois : d’abord en orientant la Transition militaire de 2005 dans le sens voulu par lui, ensuite en lui brûlant la politesse, quand il a suggéré au président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi de l’élever au grade de Général et puis en l’impliquant dans une élection présidentielle où le pire n’a pas été de perdre mais de réaliser un score qui frise le ridicule. Et c’est peut être cette dernière manœuvre politique qui fait que les chemins des deux cousins ne peuvent plus se rencontrer.

Dans une situation politique qui tourne chaque jour au mélodrame politique, il n’est pas exclu de voir une réorganisation de l’opposition autour du colonel Ely Ould Mohamed Vall, homme de l’ombre durant plus de vingt ans, impliqué, malgré lui, dans la politique de manière ouverte quand les colonels Mohamed Ould Abdel Aziz et Ould Ghazouani avaient décidé de renverser le pouvoir de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya. L’homme qui a dirigé la Transition 2005, œuvré à la mise en place d’un projet de Constitution approuvé par référendum le 25 juin, visant à ancrer le principe de l’alternance démocratique et à baliser le chemin menant à l’élection présidentielle de mars 2007, épilogue de la transition, dit ne pas accepter que son travail soit détourné de sa finalité. Ce serait cela le but de son combat.  Après avoir dit que « Le coup d’Etat ne s’explique pas. Il était possible de trouver une solution politique à la crise. Nous avons travaillé pour que la Mauritanie ne souffre jamais plus de ses leaders », il revient pour asséner qu’il s’agissait plutôt d’une « rébellion » !

Mais pour nombre d’observateurs, Ely est entré trop tard dans la scène politique. L’aurait-il entamé après la chute de Sidioca, que son combat serait davantage compris. L’homme n’a surtout pas manqué d’occasions pour se relancer dans la scène. On lui reproche alors d’avoir tu ses reproches à son cousin Aziz durant la période de « Rectification », préférant laisser le Front national pour la défense de la démocratie (FNDD), rejoint plus tard par le RFD, s’opposer au pouvoir des généraux. On lui reproche aussi son silence de marbre après que, lors de la première campagne présidentielle, le candidat Ould Abdel Aziz, alors en Inchiri, avait déclaré qu’il comptait demander des explications aux hautes autorités de la transition de 2005-2007 sur le sort qui a été réservé à une enveloppe financière de 25 milliards d’ouguiyas, et sur les raisons qui ont conduit à honorer, à l’époque, certaines dettes de l’Etat alors que d’autres étaient restées impayées.

En tout état de cause, le silence observé durant les moments de lutte contre la « Rectification » par l’ancien président du CMJD continue d’expliquer, en partie, la grande prudence observée vis-à-vis du colonel Ely par les Mauritaniens, pensant qu’il ménageait tout simplement Ould Abdel Aziz qui n’est pas seulement un militaire comme lui mais un proche.

Par la force de la contradiction et de la parole, Ely Ould Mohamed Vall est sans doute, en train de gagner du terrain. Dans les faits, le ton a bien changé depuis quelque temps. Nombre de Mauritaniens sont en train de réviser leur position sur Ely Ould Mohamed Vall, malgré la contre-attaque menée par le pouvoir pour resituer son propos dans le cadre d’une rivalité entre cousins, mais surtout, en rapport à ce que l’on pense être son « talon d’Achille » : Sa proximité avec le régime Taya, en tant que DGSN (directeur général de la sûreté nationale) pendant deux décennies, ses liens supposés ou réels avec les lobbies juifs et la gestion controversée de certains dossiers économiques de la Transition.

En tout cas, comme les « vieux » opposants de la COD, qui ne se donnent plus le temps de réfléchir, et de voir si Aziz ne va pas être victime de ses propres erreurs, Ely Ould Mohamed Vall donne l’impression de ne pas vouloir passer en perte et profit toute une expérience militaire et politique à l’issue d’une simple élection présidentielle. Comme Aziz a remis en cause la gouvernance de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, l’ancien président du CMJD cherche, lui aussi, à remettre les pendules de la démocratie à l’heure. Car il relève maintenant de l’Histoire, qu’Ely Ould Mohamed Vall a justifié et endossé le coup d’Etat du 3 août 2005, et qu’il a initié la période de transition démocratique 2005-2007 dans le consensus pour mettre fin aux mauvaises pratiques de prise du pouvoir par la force. A l’époque, l’ensemble des acteurs politiques et de la société civile avaient fait le voyage de Bruxelles pour exposer, dans le cadre des accords de Cotonou, le plan du retour à la légalité constitutionnelle. Ceci avait, d’ailleurs, permis aux différents partenaires au développement de la Mauritanie de soutenir la transition démocratique en cours. Mais surtout, le colonel Ely Ould Mohamed Vall avait fait interdire, par ordonnance, la candidature des membres du CMJD et de son gouvernement aux différentes échéances électorales.

L’ex-chef de l’Etat pensait sans doute avoir préparé les conditions d’un retour triomphal à la ATT (du nom du président malien qui avait quitté le pouvoir avant de le reprendre de manière démocratique et d’en être chassé par un putsch). Mais il avait compté sans les calculs des généraux Aziz et Ghazouani qui, eux aussi, avaient d’autres idées en tête. Aujourd’hui, nul doute que le feuilleton continue.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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