Mohamed SNEIBA

Et les Etats généraux de l’éducation ?

L’année scolaire 2012-2013 est bien entamée. Et personne ne se rappelle plus qu’il y a quelques mois, on avait procédé à l’installation de la Commission chargée de préparer les Etats Généraux de l’Education (EGE). Ces assises qu’on attend pourtant depuis l’époque de Taya !

C’est pour dire que le problème de l’Education nationale est sans doute l’une des questions qui dérangent le plus aujourd’hui en Mauritanie. Pas parce que c’est l’un des secteurs les plus malades, les plus difficiles à réformer mais, y égard, peut-être, à l’embarras que constitue la question de la langue. Déjà, au niveau de l’existant, l’utilisation de deux langues d’enseignement pose problème : les matières scientifiques en français, s’il vous plait, et les matières liées à la culture en arabe.

Les EGE doivent donc trancher en faveur d’un statu quo, qui permet à une partie de la société mauritanienne de jouir doublement de l’avantage de l’ouverture (le français) sur le monde (de la science) et de l’ancrage dans des valeurs culturelles souvent revendiquées comme Identité Nationale ! Et les autres ? Les Négro-Mauritaniens qui ont toujours contesté l’arabisation à outrance du système éducatif. Le choix uniforme – uniformisant – d’une langue que l’on veut « nationale » (et non seulement officielle) a toujours été vu comme une volonté d’exclusion qui est à l’origine d’une telle orientation.

Ici, le politique est fermement lié au pédagogique et au culturel. Le traitement réservé à cette question, au niveau des amendements constitutionnels décidés par le dialogue entre le pouvoir et une partie de l’opposition, en novembre 2011, ne sont que le début d’une solution, pas LA solution, qui ne peut être envisagée que dans le cadre spécifiquement consacré à la question de l’Ecole.

C’est pourquoi, un « plan d’urgence » éducatif est aussi important aujourd’hui que celui que les autorités nationales ont mis en œuvre, l’été dernier, pour faire à la sécheresse. On ne peut pas continuer à attendre quand on sait que l’école est un tout et que la remise à plus tard de ses réformes handicape le présent et l’avenir de dizaines de milliers d’élèves mauritaniens formés dans des conditions loin d’être propices. Certes, l’on peut mettre en avant, toujours et toujours, que le pouvoir actuel n’est pas responsable de ces « accumulations » mais s’il ne fait rien pour redresser la barre à temps, il apporte sa contribution – négative – à la descente aux enfers d’un secteur éducatif qui souffre d’un demi-siècle d’improvisations, de réformes et de contre-réformes.

C’est pour cette raison que les autorités actuelles se trouvent devant un véritable dilemme : organiser ces états généraux ou les remettre aux calendes grecques. Dans un cas comme dans l’autre, les risques sont énormes.

La tenue des EGE va irrémédiablement diviser la classe politique mauritanienne entre ceux qui soutiennent un système éducatif où l’arabe aura une place de choix et les autres qui veulent qu’on laisse la liberté aux Négro-mauritaniens de choisir, comme par le passé, la langue d’apprentissage qu’ils veulent. Mais la remise à plus tard de ces assises risque, aussi, de confirmer la crainte d’être soumis à la situation évoquée plus haut. Un vrai casse-tête.

Sneiba


La raison du plus petit

Ce petit bout d’homme de deux ans et trois mois vint me voir et dit :

– Papa donne-moi 20. Vingt ouguiyas, s’entend.

Je me dis que ça commence bien. La faute à sa maman, je le sais, parce que je l’ai souvent surprise répondant favorablement à cette requête. Mais moi je ne voulais pas. Alors je dis :

– j’n’ai pas 20.

Croyant alors arrêter là le débat. Mais non !

– Tu n’as que 100 ?

Je réponds « oui » sans hésiter.

– Alors donne-moi 100, me dit-il.

Ce que je fis. Qu’allez-vous faire à ma place ?


Chômage : pas de stratégie à court terme

« Kewass hamel chehada » (littéralement : « chômeur porteur de diplôme »), initiative de jeunes qui ont pris l’habitude de crier leur désarroi devant les portes du palais présidentiel, ont suspendu leur mouvement pour raison de maladie du président. Un geste de compassion qui a réussi là où toutes les actions entreprises jusque-là par le gouvernement pour briser cet élan de contestation ont échoué.

Les jeunes diplômés chômeurs déplorent l’absence de stratégie claire dans le domaine de la lutte contre le chômage. Pour bon nombre d’entre eux, l’Agence Nationale pour la Prometion de l’Emploi des Jeunes (ANAPEJ) navigue à vue, depuis sa création, en choisissant l’insertion par le micro-crédit, non généralisé et donné à des conditions drastiques. Devant le chômage, tous les diplômés sont égaux ! Harouna S. qui détient une maîtrise en économie et gestion, attend depuis 2000 de trouver une embauche quelconque. Marié et père de cinq enfants, selon ses dires, il désespère de ne plus pouvoir postuler aux recrutement de la Fonction publique qui fixe la limite d’âge à 40 ans. Même son de cloche chez sa voisine A.L, sortante de l’Université de Nouakchott en 92, qui dit avoir bénéficié d’un stage de formation dans un département mais désespère de se faire embaucher. M.AS (Economie-Planification) et B.A (chimiste) partagent le même sort que tous ces jeunes qui, prenant leur mal en patience, se sont réunis devant la porte du ministère de l’Emploi, sans emplois pour eux, et boivent le thé à longueur de journée.

Malgré les assertions triomphalistes du gouvernement, la croissance économique en Mauritanie n’a permis de créer des emplois susceptibles de répondre aux besoins d’une population jeune qui s’accroît également. De même, les gouvernements successifs n’ont pas toujours compris qu’il était important de s’occuper de ces derniers. Ils avaient toujours cru, jusqu’ici, qu’une politique globale de lutte contre le chômage pouvait aussi valoir pour le chômage des jeunes. Ce n’est pas le cas. Il faut trouver un équilibre entre leurs besoins et ceux du système économique. Il arrive souvent, par exemple, que des jeunes diplômés soient obligés de s’expatrier parce qu’il n’y a pas de structures locales dans lesquelles ils peuvent exercer dans leurs pays. Ils vivent en Europe et les gouvernements qui ont investi dans leurs études sont privés de leurs compétences.

Ce chômage des jeunes qui n’est pas inédit, inquiète pourtant de plus en plus. L’idée selon laquelle la créativité de la jeunesse peut résoudre tous leurs problèmes est ainsi en passe d’être révolue. Il faut trouver des solutions spécifiques au chômage des jeunes qui, chaque année, s’accentue par la venue de nouvelles cohortes lâchées dans la rue par l’Université.

L’éducation, contrairement aux idées reçues, n’est pas toujours la clé du problème. La formation ne constitue en rien une garantie pour trouver un emploi décent. L’éducation est importante, certes, mais il faut avoir une vue d’ensemble du problème. Beaucoup de jeunes diplômés ne se retrouvent-ils pas, par exemple, chauffeurs de taxi ? Pourquoi, comme le suggère le BIT, un pays comme la Mauritanie ne cherche-t-il pas à faire jouer au secteur agricole un rôle important dans les stratégies d’emploi des jeunes et dans les stratégies globales d’éradication de la pauvreté, en dépit d’un exode rural croissant ?

Ce secteur est pourvoyeur de 40% des emplois dans le monde. Et en Afrique sub-saharienne, c’est l’un des principaux employeurs, avec le secteur informel, des jeunes. Le BIT révèle d’ailleurs que « la mesure de l’emploi des jeunes peut aider à celle du poids du secteur informel. » Mais l’échec de cette stratégie au Sénégal, qui a déjà fait sienne cette politique de retour à la terre, en lançant le projet Reva (Retour vers l’Agriculture) à destination de ces jeunes émigrés rapatriés des Canaries, montre que la mesure n’est pas non plus une panacée. Même dans les pays développés comme la France et les USA, cette question détermine les rapports des gouvernements aux citoyens et constitue souvent l’indicateur n°1 de la cote de popularité des présidents.

 

Sneiba

 

 


Silence, on joue !

Crédit photo: ffrim.org

« Ouverture de la saison sportive du football en Mauritanie ». C’est un titre qu’un confrère avait choisi pour un long article destiné à un média international situé à des milliers de kilomètres de chez nous qui a attiré mon attention. Non pas parce que l’article – bien détaillé, bien écrit – ne dit pas admirablement bien ce qui se passe chez nous aujourd’hui au niveau du sport roi mais parce que moi-même qui n’ai jamais eu aucun intérêt pour le sport dans mes écrits de tous les jours, je suis choqué par une telle situation. Le sport en Mauritanie, le football, en particulier, c’est une grande farce, une éternelle mise en scène de quelque chose qui n’aboutit jamais. Certes, on pourra me rétorquer : « c’est le cas de tout le reste », qu’en Mauritanie tout est « cinéma », irréalité, virtualité mais surtout jeu.

Pour dire vrai, il n’y a pas d’ouverture d’une « nouvelle saison de football ». Il y a un éternel recommencement. On sait que, malgré le changement d’équipe dirigeante, le soutien symbolique du président de la République (qui avait reçu le Directoire de la FFRIM au Palais mais n’a pas daigné assister lui-même à la finale de la Coupe ou du Championnat), le foot porte le deuil de la médiocrité et de la négligence. Ce qui compte à la fin d’une saison sportive, c’est de savoir si la Mauritanie a gagné – ou perdu – une place dans le groupe des mal classés de la FIFA ou de la CAF. Ça donne alors matière aux dirigeants du football national pour dire si l’on a réalisé des « performances » ou non. Aux journalistes sportifs et aux pratiquants de ce sport de servir alors la cause, en alimentant à leur tour la polémique autour d’un football malade depuis plusieurs années. Parce qu’on théorise plus et on pratique peu. A quoi sert-il de « respecter le calendrier international », en faisant en sorte que le « démarrage officiel du championnat de D1 se fasse en octobre 2012 » si les résultats ne suivent pas ? Imiter pour imiter ne fera pas de notre football une pratique à la hauteur des espérances.

Si la nouvelle saison footballistique, dont l’ouverture était initialement prévue pour le 1er septembre, doit finir comme elle avait commencé (c’est-à-dire sans avancées notoires), mieux vaut observer une sorte de moratoire qui permettrait aux responsables de la FFRIM de revoir la stratégie avec laquelle ils ont gagné la confiance des ligues régionales et des clubs. Nous n’avons rien à perdre si nous devons nous dépenser, au propre et au figuré, pour de si maigres résultats. A l’image de ce que gagne un club formateur qui ne touche que 50.000 ouguiyas (120 euros) pour le transfert d’un joueur. A l’image aussi de la subvention de 2 millions d’UM que chaque club recevait du ministère de la Culture, de la Jeunesse et des Sports et qui ne seront pas versés cette année. Un souci de plus qui fait dire à certains que le sport chez nous c’est un « machin » qui donne des moyens de survie à ceux qui le gèrent, pas à ceux qui le pratiquent.


Le gouvernement rattrapé par ses promesses

Mauritanie: Conseil des ministres (crédit photo: Alakhbar.info)

Il n’y a pas longtemps, le ministre de l’Habitat, de l’Urbanisme et de l’Aménagement du Territoire a été pris à partie par des populations furieuses (plus de 300 personnes) venues réclamer que la question des « gazra » (squats) soit réglée pour de bon. Il n’a dû son salut qu’aux agents de sécurité qui l’ont aidé à « se barricader » dans son bureau en attendant que passe la colère de ces hommes et femmes qui le traitaient de tous les mots et « maux », n’épargnant pas au passage celui qui l’a « ministré » ! Il est évident alors que le Gouvernement est rattrapé aujourd’hui par ses promesses. L’exemple de l’éradication du phénomène des « gazras » n’est qu’un parmi des dizaines, voire des centaines d’autres projets et programmes dont l’exécution prend du retard si elle ne s’est pas tout simplement arrêtée. On avait promis, il y a trois ans, que le lotissement – la viabilisation, avec tout ce que cela laisse entendre comme routes, écoles, dispensaires, marchés, eau et électricité – allait s’achever avant la fin de 2011. On est déjà à l’orée de 2013 et les gazras continuent toujours à narguer les autorités à Arafat, Bouhdida et Toujounine, zones d’habitation de la capitale Nouakchott  où se concentrent 30 à 40% de la population. Certes, le phénomène a été stoppé net (il n’est plus permis à quiconque de squatter un nouvel espace) mais les problèmes demeurent. Des problèmes que l’administration entretient elle-même en ne parvenant pas à régler, de façon convenable, ceux hérités des pouvoirs antérieurs. Le grand problème donc du Gouvernement actuel est cette propension à l’improvisation. Rien n’est fait suivant une étude sérieuse, à croire que les responsables ont voulu, comme en toutes choses, suivre l’avis du président Ould Abdel Aziz qui aime faire suivre la parole par les actes. Presque sans étude de faisabilité. Il faut équiper les hôpitaux, transformer l’ancienne résidence du Premier ministre en Hôpital de la Mère et de l’Enfant, créer une Ecole Supérieure Polytechnique (même si l’on ne dispose pas de l’encadrement nécessaire), bâtir de nouvelles villes (Rosso, Chami, Nbeiket Lahwach, Tarmesse, Ribat El Bahr, détruire les anciens blocs et ériger à leur place un centre-ville qu’on attend toujours ! Il est certain aussi que d’autres grands projets annoncés comme des « réalisations du siècle » risquent de devenir – aussi – des éléphants blancs. L’usine de Poly-Hondong, la société chinoise qui avait promis de transformer le poisson mauritanien sur place, de créer 2500 opportunités d’emplois et d’opérer un transfert de technologie dans le secteur halieutique, contrairement à ces Européens qui se contentent de « piller » nos ressources moyennant une modique compensation financière, suit le même chemin que tous les grands projets « azizéens ». On peut dire la même chose du nouvel aéroport international de Nouakchott dont on ne parle plus après le rocambolesque deal signé par les autorités avec des hommes d’affaires mauritaniens. Ce qui est sûr, pour bon nombre d’experts, c’est que le délai d’exécution (deux ans) ne peut être respecté sauf miracle.  Tout cela pour dire que le gouvernement est responsable des errements – d’aucuns parlent des mensonges – du pouvoir actuel. Promesses non tenues, c’est pratiquement un discrédit pour le président Aziz à deux ans d’une nouvelle échéance présidentielle à laquelle il sera sans aucun doute candidat. S’il se remet, bien sûr, de la blessure par balle qui le soumet, depuis trois semaines, à un traitement en France.

Sneiba   Mohamed


En attendant…le retour

Le président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz en compagnie de son médecin le français, le général Pons (crédit photo: Alakhbar.info)

Quelqu’un a dit – et bien dit – que s’il n’y a pas vacance du pouvoir (parce qu’il faut que le Conseil constitutionnel le constate), il y a vacances quand même. Presque un mois que le gouvernement ne s’est pas réuni. Des décisions et des dossiers, peut être importants, en suspens. La vie de tout un pays qui roule au ralenti, presque à l’arrêt. Un président de la République qui ne donne plus aucun signe de vie (au propre comme au figuré), même si les mauritaniens ont eu droit quand même à un message de félicitation lit en son nom par un journaliste quelconque de la télévision nationale, et que ses proches (famille et soutiens politiques) ne cessent de faire circuler des informations comme quoi « sa santé s’améliore de jour en jour » et qu’il va rentrer sous peu au pays.

En attendant le retour du président – ce que souhaitent tous les mauritaniens – il faut bien que les hommes politiques pensent à une autre manière de voir et de vivre la crise qui secoue le pays depuis plusieurs années. Il ne s’agit pas de tourner et retourner la question sous l’angle de la légitimité – ou de la légalité – de l’ensemble des mandats (présidentiel, municipaux et parlementaires) mais bien de la possibilité d’un consensus national, seul en mesure de sortir le pays du bourbier politico-institutionnel dans lequel il se trouve aujourd’hui. Pour cela, majorité et oppositions (COD et CAP) n’ont pas le droit de tergiverser encore plus longtemps. Un terrain d’entente, autour de l’initiative du président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir, ou de tout autre montage susceptible de préparer des élections générales libres et transparentes doit être trouvé. Ce qui compte réellement, au niveau actuel, c’est d’éviter à la Mauritanie toutes sortes de soubresauts, tant sur le plan intérieur qu’extérieur. Dans ce dernier cas, les regards sont braqués sur ce qui se passe et se prépare au nord Mali. Si jamais la guerre est déclarée, de manière effective, contre les groupes islamistes armés aux frontières est de la Mauritanie, le risque est grand de voir le pays devenir un champ de bataille tout comme la zone de l’Azawad, comme le souligne un récent rapport américain. C’est d’autant plus vrai que la Mauritanie, déjà une zone de repli pour les populations chassées par la guerre, va le devenir, malgré elle, pour les combattants islamistes cherchant à desserrer l’étreinte des forces de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) qui bénéficieront sans doute d’un fort appui de puissances occidentales comme la France et les USA. Le risque sera plus grand si, entre temps, la Mauritanie continue à vivre sans président, c’est-à-dire sans pouvoir décisionnel capable d’orienter l’action du gouvernement sur des dossiers aussi importants que celui de décider ou non d’entrer dans une guerre, même imposée, ou de prendre des décisions qui ont à court et moyen termes un impact direct sur la vie des populations.

Ces questions essentielles, liées toutes à l’empêchement du président de la République d’exercer la réalité de son pouvoir, sont occultées par des considérations liées à la nature de la crise sur laquelle est venue se greffer celle engendrée par l’incident de « Tweîla ». Et au lieu de mettre à profit la situation née de la nouvelle donne politique pour prendre du recul par rapport à la crise, on s’évertue plutôt à l’entretenir. Quelle importance, en effet, à vouloir prouver aujourd’hui que le Parlement n’a plus d’existence légale ? Une telle approche est-elle faite uniquement pour dire que la recherche d’une issue à la crise politique est une affaire de partis et non des institutions existantes (Assemblée nationale, Sénat, Conseil constitutionnel) qui doivent pourtant être considérées, à l’heure actuelle, comme un moindre mal ?

Gouvernement d’union nationale et élections

Quoi qu’on dise, la solution la mieux indiquée, même en cas de retour du président Aziz au pouvoir comme si sa maladie n’était qu’un mauvais souvenir, passe par la composition d’un gouvernement d’union nationale. L’actuelle équipe est usée par le temps et les problèmes auxquels elle n’a su faire face. La première chose qui doit être considérée par le président, à son retour, c’est de remercier le Premier ministre Moulay Ould Mohamed Laghdaf et son équipe. D’aucuns pensent que cela ne servira pas à grand-chose si le président lui-même n’aura pas changé après l’expérience douloureuse qu’il aura vécue. Cela ramène donc toujours à la personne du président et à la nouvelle mentalité qui sera forcément en lui.

Changer de gouvernement ne doit pas être perçu seulement comme un changement d’hommes. Dans un système immuable de gouvernance par le haut, tous les mauritaniens se valent. Le ministre, le secrétaire général, le directeur ou tout autre responsable sorti du néant pour « être quelque chose » agira suivant un stéréotype qui ne date pas d’aujourd’hui : obéir. Donc fuir ses responsabilités, rapporter tout au Chef, ne pas s’assumer et assumer.

Une attitude qui doit pourtant changer parce que la maladie du président aura fait comprendre, à tout le monde, que tout est relatif. Ramener à leur juste valeur, les responsabilités ne sont qu’une chaîne de solidarités qui doit faire fonctionner l’Etat à tous les niveaux. C’est parce qu’on tarde à comprendre cela que nous sommes actuellement « coincés ». Avec comme seul alternative le retour du rais. Pour que la vie reprend.

Une reprise qui doit avoir en ligne de mire l’organisation d’élections municipales et législatives vraiment en retard et qui était prévue de longue date. Mais l’on sait aussi, à ce niveau, qu’un nouveau dialogue s’impose. Pour que la COD, hors-jeu depuis qu’elle s’est mis dans la tête de « dégager » Aziz par le déclenchement d’un « printemps mauritanien », puisse rattraper le train. Encore une fois, la seule parade qui permet de sauver les apparences, le seul compromis non assimilable à la compromission, se trouve être l’initiative de Messaoud. A méditer sérieusement.

Sneiba Mohamed


Ça va changer, In cha Allah

crédit photo: rar-wallon-garges.ac-versailles.fr

Venu régler un petit problème auprès d’une société privée de la place – que je ne citerai pas ici pour ne pas lui porter préjudice – j’ai été témoin d’une scène qui m’a vraiment fixé sur le véritable sens de la formule : « le temps c’est de l’argent ».

Alors que j’attendais, depuis une trentaine de minute que mon « petit » problème soit réglé, un Français de ceux qu’on appellerait vraiment chez nous un « toubab » (au sens où il n’accepterait pas de se soumettre à un comportement à la mauritanienne) arrive pour un service apparemment pressant. Une discussion s’engage avec un agent de la société et, après avoir reçu toutes les informations requises, notre « toubab » sort un montant et demande à être servi. Et, surprise, l’agent chargé de la transaction n’est pas sur place. En réunion, dit l’un de ses collègues. Non, sorti pour un besoin personnel, rétorque un autre. On demande alors au client de patienter « pendant cinq minutes ». Moi qui attendait depuis une demi-heure fus surpris d’entendre le « toubab » répondre :

« Non, je reviendrai plus tard. Votre collègue peut revenir dans cinq minutes ou au bout de cinq heures, Incha Allah ! »

C’est à ce moment là que j’ai vraiment mesuré l’écart qui sépare  un pays comme la Mauritanie du monde dit développé. Ce client parti, la société a perdu une transaction financière qui est certes insignifiante dans le volume de son chiffre d’affaires mais celui-ci n’est-il pas fait de la somme de toutes les opérations pareilles ? Et si, chaque jour que dieu fait, ce sont dix, vingt ou trente cas similaires qui se répètent ?

Je me mets alors à plaindre le secteur public. Parce que, c’est connu, les performances du secteur privé sont de loin meilleures que ceux du « Makhzen » (administration) où la nonchalance est reine.

S’il faut vraiment que le changement ait lieu en Mauritanie, il faut commencer d’abord par inculquer aux responsables la notion de temps. Une minute de perdu, peut entraîner la perte d’un argent fou. Dans certains cas, elle peut même provoquer un drame. Pensons à ces malades qui attendent que le médecin finisse de boire son verre de thé pour venir les ausculter ou à ces pompiers qui mettent un temps fou pour arriver sur les lieux d’un incendie. Pensons à ces enseignants qui mettent deux jours (deux cours de 2 heures de temps) pour une leçon ne nécessitant en réalité qu’une heure ! Pensons à cette semaine que prend le wali ou le hakem (préfet) pour signer un papier qui ne lui demandera, en réalité, que le temps de le parcourir des yeux et d’apposer sa signature sur le document. Pensons à toutes ces années perdues par nos hommes politiques qui ont tendance à faire un pas en avant et dix en arrière. N’est-ce pas ce qui explique que, à la chute de Taya, en 2005, tout le monde a cru que la Mauritanie a fini avec le Système. Mais l’on découvre aujourd’hui que le temps s’est arrêté et que la pause continue encore.

Sneiba


Obama réélu : Un exemple à méditer en Mauritanie

Barack Obama, président des USA (crédit photo: africapresse.com)

Le candidat démocrate à l’élection présidentielle de 2012 a réussi son pari, énorme, de conserver son fauteuil. Ce qui pousse à dire, avec le président du Niger, Mouhamedou Youssiffou, que, finalement, l’élection d’Obama, en 2008, comme 44ème président américain et le premier Noir à présider aux destinées de la première puissance au monde, « n’était pas un accident » ! J’avais écris, à l’époque, que, « plus que la victoire de ce métis, né d’un père Kényan et d’une Américaine blanche, c’est le pays de l’Oncle Sam qui, pour une fois, crée la sensation dans le sens positif, en préférant un candidat noir à un vétéran de la guerre du Viêt-Nam, authentique fils du Nouveau Monde. »

Cette histoire digne d’un feuilleton a émerveillé le monde entier mais elle gagnerait à être méditée dans un pays comme la Mauritanie où les rapports intercommunautaires présentent à peu près la même configuration que ceux qui existent aux USA : une communauté blanche qui, jusque-là, considère que la présidence de la République est sa chasse gardée, avançant comme argument le seul fait de la supériorité numérique jamais prouvée par des statistiques fiables, et des Noirs qui développent un complexe envers le pouvoir qui leur fait accepter un système de quota consacré par tous les régimes qui se sont succédé en Mauritanie. Plus que dans tout autre pays, nous avons besoin de nous inspirer de la « leçon américaine », – ce pays que l’on accuse de tous les maux – mais qui vient de prouver que l’Idéal démocratique qu’il veut importer n’est pas un vain mot. Ce qui est exceptionnel dans ce qui vient de se passer en Amérique, c’est que, pour une première fois, les Noirs peuvent être taxés de racistes en votant massivement pour Barak Obama, eux qui ne constituent que 12 à 15% de la population américaine ! Une volonté affichée de longue date mais qui, heureusement, n’a pas provoqué la réaction inverse chez les Américains blancs. Le sacre d’Obama est donc un idéal d’humanité, de démocratie et d’unité dont un pays comme la Mauritanie a plus que besoin. Toutes les réformes du monde, toutes les volontés ne peuvent aboutir au « miracle » qui vient de se passer, pour la seconde fois, aux USA que si les Mauritaniens apprennent à juger l’homme en fonction de ses compétences et du rôle qu’il peut jouer dans le développement économique, social et politique du pays. Après tout, les Américains étaient, il y a un demi siècle, à un stade de racisme aussi rébarbatif que celui que l’on dénonce souvent chez nous, quand ils refusaient à des Noirs d’inscrire leurs enfants dans des écoles pour petits Blancs ou quand ils obligeaient un nègre à céder sa place dans le bus à celui qui fut son maître durant plusieurs siècles. Une attitude à l’américaine, comme celle qui a ouvert grandes les portes de la Maison Blanche à Barak Obama, en 2008, et qui lui permet aujourd’hui de rempiler pour quatre ans, nous éviterait de recourir, à chaque coup, à nos mesquines considérations de majorité et de minorité qui fixent à chaque communauté nationale sa quote-part dans le partage du pouvoir à tous les niveaux de l’Etat, avec des postes « réservés » au groupe qui considère qu’il a des privilèges sacrés à défendre. Un pays aussi puissant que les USA qui décide de porter à sa tête un président issu d’une minorité qui ne représente même pas 20% de sa population et qui, hier encore, était marginalisée à l’extrême, donne une admirable leçon de tolérance, de patriotisme, d’amour de la liberté et de la justice à tous ceux qui continuent encore à penser qu’il y a sur cette Terre des hommes et des sous-hommes. En 2008, l’ancien président français, Jacques Chirac avait estimé que l’élection de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis suscitait « dans le monde émotion et espoir ». Puissent ces deux derniers mots être médités, ici, chez nous, pour que le « complexe-du-Noir-qui-ne-peut-pas-devenir-président » soit dépassé.

 


Le Japon qu’on ne connait pas

Jardins du « The New Otani Hotel » de Tokyo.

En Mauritanie, l’idée qu’on se fait du Japon, « le pays du soleil levant » est celle qu’on a de ces bolides (Toyota, Nissan) qui encombrent les rues étroites de Nouakchott, et non celles de Tokyo où les petits modèles sont rois. C’est aussi cette occupation verticale de l’espace qui, loin d’être une mode, répond à un souci de rationalisation du sol (la superficie du Japon étant  à peine d’un peu plus de 300 mille m2).

Mais arrivé dans ce pays, après 18 heures de vol, à partir de Nouakchott, passant par Paris, je découvre un tout autre monde. Un peuple qui a réussi à dompter la nature, même si les séismes et les tsunamis continuent encore à troubler la tranquillité de ses habitants. Un pays qui ne dispose pas de ressources naturelles mais qui, grâce à la Science et à la Technologie, est parvenu quand même à se frayer une place dans le trio de tête des plus puissantes économies mondiales. Un exemple à méditer en Afrique où la valeur de l’éducation n’est pas encore comprise comme le meilleur moyen de rattraper « le temps perdu » et de gagner la bataille contre le sous-développement.

Le Japon c’est aussi cette impression de tranquillité et de quiétude qui fait oublier au visiteur que c’est ce pays qui a donné du fil à retordre aux Américains au cours de la Grande Guerre. L’impression qui se dégage aux premiers contacts des habitants de ce pays est qu’ils sont « enfermés » sur eux-mêmes, mais ce n’est qu’une impression. Ils vous saluent autant de fois qu’ils vous rencontrent dans la journée, le sourire toujours aux lèvres. Une attitude de civilité particulière qui dénote d’un savoir-vivre qui fait sans doute la renommée des hôtels de ce pays où le tourisme, malgré les distances, bat son plein.

Autre chose pour nous mauritaniens : Le Japon est un pays qui constitue l’un de nos plus grands marchés en matière d’exportation du poisson, alors qu’il nous vend ces bolides qui font la fierté de nos riches. Paradoxalement, dans les rues de Tokyo, de Yokohama et de Sendai (les plus grandes agglomérations urbaines du Japon), les petites voitures sont reines. Question d’espace (il faut d’abord s’assurer un parking avant de penser à la voiture) et de mobilité. On a donc tout intérêt  à suivre l’exemple japonais dans le domaine pour apprendre à nos chauffards les bonnes manières. La circulation est tellement fluide qu’on a l’impression que tout se fait de manière « mécanique » : pas de dépassements comme on en voit dans les avenues de Nouakchott, pas d’excès de vitesse et, l’impression, que la régulation se fait d’elle-même. Pas de policiers ? C’est aussi une impression seulement ! Ils sont là, quelque part, efficaces mais discrets. On ferait bien d’envoyer, à l’apprentissage de la civilité nippone une bonne partie de ceux qui gèrent les affaires courantes du pays. C’est peut-être cher mais forcément plus efficace que les séminaires et autres ateliers de formation que les institutions de la République financent à coups de dizaines de millions d’ouguiyas.

Sneiba

 

 


Le parlement populaire

Jeunes désœuvrés lisant les « unes » des journaux avant d’entamer les débats

A première vue, il s’agit d’un regroupement tout à  fait ordinaire. Les gestes que l’on voit de loin ne sont pas, a  priori, ceux d’un bagarreur qui s’apprête à  en venir aux mains avec un adversaire. Quand, enfin, on fait corps avec cette foule compacte d’hommes, souvent jeunes, l’on s’aperçoit alors qu’il s’agit d’une survivance de l’une de ses nombreuses agoras qui, en période de haute tension politique, tiennent lieu de parlement populaire où toutes les questions d’intérêt national sont abordées.

Ces places publiques transformées en arbre à  palabre existent un peu partout : abords du ministère de l’Education et de l’immeuble BMCI (première banque privée du pays), espace des anciens Blocs A, en face du Grand Marché de la capitale et la « bourse du soleil » (vente et achat de voitures d’occasion), de l’autre côté du souk.

Toujours est-il que ces groupes de jeunes désœuvrés, dans lesquels on observe quelquefois la présence d’hommes mûrs, et plus rarement du troisième âge, se forment spontanément aux environs de 09 heures autour des étalages de journaux destinés à  alimenter les discussions sur des sujets à caractère politique, social ou économique. Dans ce parlement du peuple où l’on s’érige élu de la majorité ou de l’opposition, selon les positions que l’on a sur les questions de l’heure, les débats manquent cependant à la discipline et à l’ordre qu’impose le caractère officiel et « engageant » des interventions dans le vrai parlement de la République. Chacun ne parlent qu’en fonction de sa conviction propre, à l’image de ce « vieux nègre » sans médaille qui prend la défense de Biram Ould Abeid, jeté en prison, il y a quelques mois, parce qu’il a, tout simplement dénoncé l’esclavage en Mauritanie et sa consécration « abusive », selon lui, par les livres du rite malékite dominant dans le pays. Pour ce vieil homme en bute aux arguments contradictoires d’un jeune « maure blanc » enturbanné, réfutant l’idée que l’affaire du leader de l’Initiative pour la Résurgence d’un Mouvement Abolitionniste (IRA) puisse relever d’un racisme avéré, l’Etat a failli à sa mission de protecteur de tous les citoyens. « Quel esclavage voulez-vous de plus que celui de faire travailler des mineures sans salaires ? », demande-t-il à son vis-à-vis qu’il ne laisse plus placer deux mots de suite. Et celui-ci de rétorquer : « une affaire comme celle-ci doit être porter devant le cadi (il ne dit pas le juge), ce qui laisse clairement entrevoir dans ses propos l’idée que l’esclavage est permis par la religion et que celui qui n’est pas d’accord peut être frappé d’apostasie. Une manière fort habile de déplacer la question vers un terrain fort glissant où dans un pays comme la Mauritanie, certains ont encore du mal à concilier entre ce que dit l’Islam et ce que font les hommes.

Sneiba