Mohamed SNEIBA

Mauritanie : l’opposition oups

Ahmed Ould Daddah, président du RFD (opposition)
Ahmed Ould Daddah, président du RFD (opposition)

Aujourd’hui c’est le 3 août 2015, une date passée inaperçue en Mauritanie pour la plupart des citoyens.  Pris à la gorge par les difficultés de la vie et pataugeant dans la boue à Nouakchott où les rues ne supportent pas une pluie de 20 mm, les Mauritaniens ont d’autres chats à fouetter.

Dix ans déjà qu’Aziz est au pouvoir ! Oui, oui, ce n’est pas une méprise. J’ai toujours dit que le tombeur de Taya, en 2005, était, depuis cette date, le vrai maître du pays. ELy (le comité militaire pour la justice et la démocratie) et Sidi (le président qui rassure), n’étaient que des parenthèses. Dix-neuf et quinze mois. Deux étapes qui étaient nécessaires pour qu’Aziz assure sa prise. Car il ne s’agissait pas pour lui de venir, de voir et de quitter. L’homme du « changement constructif » a sans doute envisagé de rester aussi longtemps que le président qu’il venait de destituer. Cela est d’autant plus vraisemblable qu’il vient d’accomplir, mine de rien, la moitié du parcours (Taya a régné sur la Mauritanie de 1984 à 2005) et envisagerait, selon plusieurs observateurs, de prolonger son pouvoir par un troisième mandat, voire plus.

Ce topo, qui plairait actuellement à la majorité présidentielle, notamment à l’Union pour la République (UPR), laisse de marbre une opposition qui a perdu tous ses repères. Je n’exagère pas en parlant ainsi. L’échec du dialogue (qui n’a d’ailleurs jamais commencé), la multiplication des crises qui secouent le pays et les errements d’un gouvernement navigant à vue depuis la chute des cours des matières premières exportées par la Mauritanie (fer, or, poisson, cuivre) sont des « opportunités » que l’opposition n’a pas pu – ou su – saisir pour marquer son territoire. Elle fait exactement comme le pouvoir à ses débuts: réagir au lieu d’agir. Sans disposer des mêmes armes que lui.

L’opposition ne constitue plus un contre-pouvoir.

Actuellement, l’opposition perd du terrain parce qu’elle laisse l’initiative au pouvoir. Même sur le terrain des droits de l’homme où l’Initiative pour la Résurgence d’un mouvement abolitionniste (IRA) a ouvert une brèche, l’opposition refuse de s’engouffrer. Elle fait comme si elle voulait que les jeunes (touchés de plein fouet par le chômage), les descendants d’esclaves (IRA) et les M’almin (forgerons) ainsi que les mouvements négro-mauritaniens appelant à un partage équitable du pouvoir, ébranlent les assises du régime et lui ouvrent les portes du palais. La politique du moindre effort, en fait. Comme si, paradoxalement, l’union ne fait plus la force. Le Forum national pour l’unité et la démocratie (FNDU) ne se présente pas aujourd’hui comme un « front » de l’opposition mais un club (ou salon) où l’on vient passer le temps… et discuter de la météo, comme l’écrit fort justement L’Authentique qui titre, dans sa livraison d’aujourd’hui : IRA dans la rue, l’opposition discute de la météo !

Ce n’est pas là un appel à l’insurrection populaire, mais la description de la triste réalité d’un pays où l’opposition ne constitue plus un contre-pouvoir. Même le retour sur scène de Messaoud Ould Boulkheir, président de l’Alliance populaire progressiste (APP), qui tire, à nouveau, à boulets rouges sur le pouvoir, n’augure pas d’un changement des rapports de force de nature à pousser Ould Abdel Aziz à revoir sa gestion du pouvoir. Lui qui a vu de près comment Taya a amorcé lentement, mais sûrement sa descente aux enfers, doit savoir que même en l’absence d’une opposition crédible, le fauteuil de président reste soumis à toutes sortes d’aléas. La crise économique insoutenable qui préparé le coup d’Etat du 3 août 2005 est déjà là mais, entre-temps, l’ancien commandant du Bataillon pour la sécurité présidentielle (BASEP) a fait le vide autour de lui. Ce qui fait que son entourage civil (conseillers, hommes d’affaires, proches, etc.) reste à la fois son atout et son pire ennemi. Pas une opposition qui est oups.


Mauritanie : boudez le dialogue, on agira à la Nkurunziza

Le président Aziz (crédit photo: Tawary.com)
Le président Aziz (crédit photo: Tawary.com)

J’ai lu à la loupe le discours prononcé par Me Sidi Mohamed Ould Maham, président de l’Union pour la République (UPR) devant des centaines de cadres et de militants de la formation au pouvoir en Mauritanie, à l’occasion de l’ultime « iftar » (rupture du jeûne) dans une moughataa de la périphérie de Nouakchott.

Comme il sait si bien le faire, Ould Maham a encore démonté l’opposition. Ou plutôt les oppositions. Car cette fois, celle qu’on appelle communément « l’opposition dialoguiste » ou « modérée » (la Coalition pour l’unité et l’alternance démocratique) n’a pas été épargnée. Elle a été rangée dans le même sac des « vêtements usagés » que le FNDU (Front national pour la démocratie et l’unité) par un Ould Maham très en verve, mâcha Allah, malgré une fin de ramadan harassante et préoccupante, même pour les « pauvres » de l’UPR.

Pour Ould Maham donc, c’est l’opposition qui refuse le dialogue, car elle craint de se faire « massacrer ». Ce n’est pas là une nouveauté. C’est un refrain qu’on entend depuis 2009. Aller une énième fois aux élections. Un autre refrain.

Ould Maham a peut-être raison. L’opposition d’aujourd’hui n’est plus celle de 2006. Ou de 2009. Ou, pour remonter le temps, de 2003, 2001, 1997 ou 1992. Des dates qui correspondent à autant d’élections ou l’opposition a toujours joué et perdu contre un pouvoir qui a tous les atouts en main. Comme aujourd’hui.

La principale force du président Aziz est d’avoir toujours misé sur le temps. Il sait que l’ennemi numéro un de toute opposition est l’usure. La force d’un Messaoud Ould Boulkheir, d’un Ahmed Ould Daddah ou d’un Mohamed Ould Maouloud était en 2007 ou en 2009. Comme en 92 face à Maawiya. A l’époque, ce trio de choc symbolisait,réellement, le changement. Quand l’opposition était encore l’opposition. Une question de principe non de positionnement dicté par des considérations bassement matérielles.

Aziz qui a cotoyé Taya deux décennies durant sait très bien que l’élite intellectuelle de ce pays est au service de celui qui gouverne. Et qui a le soutien de l’armée. Le peuple lui n’est qu’un instrument entre les mains de cette élite qui le vend (ou le loue) au plus offrant.

C’est pourquoi l’opposition se trompe encore, une nouvelle fois, en misant sur un changement des mentalités qui s’opérera par « sauts » réguliers, mais pas de manière brusque. Fort de cette constante, le pouvoir a le temps qu’il faut pour peaufiner sa stratégie et se maintenir au-delà de 2019. L’appel à la tenue d’élections pour le renouvellement des deux tiers du Sénat n’est qu’un premier pas sur cette voie.

Le seul risque pour lui est de voir la crise économique, réelle celle-là, accentuer les difficultés financières qui font que l’Etat ne vit (survit) qu’en accentuant la pression fiscale sur les principaux opérateurs économiques nationaux du secteur des banques, de l’import-export, de la distribution alimentaire et du transport. Le ralentissement de la marche des affaires et le manque criant de liquidités (manque d’argent, dit le Mauritanien lambda) est le pire ennemi pour le troisième mandat d’Aziz. S’il arrive à trouver la solution à ce problème et aux difficultés économiques qui commencent à surgir de toutes parts, le rais peut se permettre de refuser un dialogue dont la finalité n’est pas de trouver un consensus national sur les questions qui fâchent, mais de permettre à l’opposition de revenir dans le jeu. A moindre frais.

 


Mauritanie : le dialogue de cour

Représentants du pouvoir et de l'opposition en discussion (Photo : AMI)
Représentants du pouvoir et de l’opposition en discussion (Photo : AMI)

J’ai toujours dit que le dialogue politique n’aura pas lieu. Pour une raison simple: personne n’en veut vraiment ! Il y a de la « résistance » partout.

Au sein de la majorité – de l’Union pour la République, pour être juste – tout le monde ne veut pas d’un dialogue susceptible d’aboutir à une solution de la crise. Car si l’opposition ne s’oppose pas avec force, ne tire pas à boulets rouges sur le président et le gouvernement, la majorité irait au chômage. C’est connu, la cote des défenseurs zélés du pouvoir ne monte que quand il y a une opposition « en activité ». Comme le volcan. Alors le président apprécie qu’un député, un ministre ou un ancien responsable « au garage » prenne sa défense pour répondre à une opposition qui, perdant du terrain, déplace la confrontation vers la « guerre des mots ». C’est d’ailleurs ce que l’on constate avec la multiplication des questions orales au Parlement. Sur la vente des abords du Stade olympique de Nouakchott et de l’Ecole nationale de police, après celle des anciens Blocs A. L’opposition pense qu’il s’agit de « donations » à des proches du rais, le ministre des Finances parle de 7 milliards d’ouguiyas (23 millions d’euros) versés dans les comptes du Trésor public. Sur la sécurité avec une vision différente. L’opposition parle de l’insécurité galopante dans les grandes villes, notamment à Nouakchott, alors que la majorité brandit comme un trophée les succès incontestables de l’armée mauritanienne contre les groupes terroristes au Nord-Mali et sur la frontière avec l’Algérie. En fait, le vrai dialogue est là. C’est ce genre de réparties qui donne d’ailleurs un sens à la politique en Mauritanie : dire ce que l’on ne pense pas et faire le contraire de ce qu’on dit. Ou ne rien faire du tout.

C’est pourquoi quand tout le monde dit être prêt pour le dialogue, moi je vous dis que tout le monde joue. Le temps est cependant essentiel dans les calculs des uns et des autres. On veut voir l’adversaire s’essouffler et commettre des fautes qui ne pardonnent pas. L’opposition a commis l’erreur de trop en boycottant les dernières élections; la majorité pourrait être victime de son trop d’assurance. Le peuple peut dire « oui » quand il pense « non ». Maaouiya en sait quelque chose. Jusqu’à sa chute, il pensait que le PRDS, le parti-Etat de l’époque, était derrière lui. Alors qu’il était avec le pouvoir qu’il incarnait. L’UPR n’est pas différent et le président Aziz, en homme du sérail, le sait très bien. Il regarde avec amusement le cinéma qu’on joue devant lui depuis 2008, sans trop lui accorder d’importance. Il tire ainsi sa force de son pragmatisme. Il fait avec, comme on dit, mais agit quand il le faut. Au bon moment. Il en sera ainsi du dialogue, quand il jugera que la situation extérieure l’exige. Car, sur le plan intérieur, il continue à maîtriser la situation en l’absence d’une opposition digne de ce nom.


Esclavage en Mauritanie : Une question (de) complexe

Hratin, vers 1936 (Photo d'archives)
Hratin, vers 1936 (Photo d’archives)

Jamais une question n’a été aussi polémique, aussi équivoque et aussi mitigée que celle de l’esclavage en Mauritanie. C’est une histoire de complexes qui s’enchevêtrent au point qu’en parler suscite souvent un tapage assourdissant qui la confine dans un océan de considérations aussi subjectives les unes que les autres.

A ce jour, le traitement de la question n’a jamais, que je sache, englobé tous ses aspects et se limite essentiellement à la réduire à une histoire de traitements dégradants qu’auraient subi une importante communauté nationale d’anciens esclaves redevenus Harratines et dont les corollaires (pauvreté, ignorance, exclusion, marginalisation, stigmatisation et autres) maintiennent beaucoup d’entre eux dans une situation d’existence particulièrement difficile.

Or, il est évident que malgré l’importance de l’aspect économique, la réhabilitation psychologique et morale reste un substitut important dans la refondation générale de la personnalité de l’ancien esclave dont le principal problème est l’inexistence dans sa communauté d’un modèle auquel il pourrait le cas échéant s’identifier. L’affaire est dans la tête.

La déconstruction des clichés et des perceptions aussi bien chez l’ancien esclave que chez son maître est une opération nécessaire sans laquelle la liberté recherchée ne serait que de façade. La liberté physique, dans le sens de la séparation avec le maître et l’indépendance économique, ne suffisent pas. La preuve. Combien d’esclaves roulent aujourd’hui en V8 et habitent les villas les plus cossues des grandes villes du pays.

Combien occupent ou ont occupé les plus hautes responsabilités nationales? Combien enseignent dans les plus illustres universités nationales et mêmes internationales? Sont-ils véritablement libres ? Libérés, voudrai-je dire, de leurs complexes et de leur perception d’eux-mêmes et de leurs cousins ? Seule la lutte libère. L’opulence permet de se cacher dans la société.

De faire comme l’ancien maître. Mais elle ne permet pas de faire taire le bruit infernal qui fulmine dans la tête. C’est pour cette raison que certains anciens esclaves sont soit dans le déni de l’esclavage soit dans une tentative désespérée de s’éloigner au maximum de tout ce qui leur rappelle leur ancien statut. Pour cela, c’est inéluctable, c’est toujours la volonté de s’identifier aux maîtres en essayant de paraître exactement comme eux…en tout.

A tous ces complexes grégaires et ataviques, à cette inconscience préjudiciable, à cette démission grave de ce qu’on peut appeler pompeusement l’élite Harratine, l’Etat est dans une confusion totale. D’une question sociale qui devrait interpeller toute la nation, la problématique de l’esclavage qui soit dit en passant a constitué un véritable handicap économique pour le pays a été politisée à outrance. Par tout le monde. Fond de commerce. Programme politique. Thème de surenchère. Galvaudage. Manipulation internationale.

Bref, de fil en aiguille la problématique n’a servi que d’un terrain de discorde sur l’aire duquel les « politicards » de tout acabit échafaudent leurs discours selon les circonstances. Jamais depuis les indépendances à nos jours, l’Etat mauritanien n’a jamais reconnu l’existence de l’esclavage. Pourtant, un arsenal juridique impressionnant est mis en place pour le combattre. La Constitution de 1959 le fustige. L’ordonnance de 1981 l’abolit. La loi de 2007 en voie d’être améliorée le criminalise. Les amendements constitutionnels issus du dialogue de novembre 2011 l’élève au grade de crime contre l’humanité. Une feuille de route déclinée en 29 points devrait permettre de l’éradiquer définitivement. Des programmes et des institutions ont été mis en place pour le combattre.

Commissariat des droits de l’homme. Programme pour l’Eradication des Séquelles de l’Esclavage. Agence Tadamoun avec ses treize milliards et poussière. Puis le dernier né : Le Centre National de Documentation et de Recherches sur les Droits de l’Homme. Théoriquement. Ça va. Même si chaque fois qu’il a l’occasion, le président Mohamed Ould Abdel Aziz nie l’existence de l’esclavage et traite ceux qui en parlent de gens de mauvaise foi qui cherchent à nuire au pays.

Sur le terrain, les choses sont totalement différentes. D’abord, les milliards (vers la trentaine) de toutes les institutions chargées de combattre le phénomène ne profitent pas beaucoup ou même pas à ceux qu’ils sont censés être destinés (esclaves des villes et des campements et anciens esclaves des villes et des adwabas). Quasiment tout l’argent va dans les frais de mission, location de luxueuses maisons pour abriter les sièges de ces institutions, achat de voitures et de gros bureaux, organisations de rencontres inutiles pour permettre à des Harratines du pouvoir de proférer des insanités et des contrevérités, organisation de caravanes afin que des « fabrications » gagnent de l’argent à raison de deux cents cinquante mille par wilaya contre la profération de mensonges et de calomnies à l’encontre des véritables défenseurs des droits humains.

Sur le plan légal, les tribunaux font preuve d’une réticence notoire dans l’application des lois. Les magistrats se complaisent ou à requalifier les faits avérés d’esclavage en travail de mineur ou non rémunéré quand la victime est majeure. Et quand la situation d’esclavage est impossible à dissimuler, les magistrats n’éprouvent aucune gêne à mettre le criminel en contrôle judiciaire ou de le faire bénéficier d’une liberté provisoire ou conditionnelle.

Ce n’est pas un hasard si depuis son adoption il y a huit ans, la loi criminalisant l’esclavage n’a été appliquée qu’une seule fois dans l’affaire Yarg et Saïd dont le maître Ahmedou Ould Hassine n’a écopé que de deux ans avant d’être libéré quelques mois après. Et que des centaines de dossiers sont pendants depuis plusieurs années devant les juridictions nationales. Administrativement et sécuritairement, seules quelques rares autorités sentent la responsabilité de traiter valablement les cas d’esclavage qui leur sont signalés. Finalement, l’esclavage est devenu un complexe pour tout le monde : Pour les anciens esclaves, pour les anciens maîtres et pour l’Etat. Une véritable affaire de complexes. Visiblement.

 

Sneiba El Kory (Le Calame)


Autour d’un thé : La Mauritanie va comme elle peut

Le président Aziz à Boutilimit (Photo AMI)
Le président Aziz à Boutilimit (Photo AMI)

La Mauritanie va comme elle peut. Les chameaux de la visite de 1985 que le putschiste de l’époque, Maouiya Ould Sid’Ahmed Taya, fit à Néma ressemblent, étrangement, aux chameaux que les gens de Cheggar ont mobilisés pour la visite que le rectificateur Mohamed Ould Abdel Aziz vient d’achever au Brakna.

Trente ans plus tard, on en est encore aux visitations. De quoi allons-nous parler ? Tout autour, c’est rien que de la visitation. Visitation ici. Visitation là-bas. Visitation encore. La mort parmi les dix est une sinécure. Pas de hors sujet. Faisons donc comme tout le monde.

Allons là où va le pays. Et le pays va là où va son président. C’est toute la présidence, avec ses ministres-secrétaires, ses conseillers, ses chargés de mission, sous les hangars de fortune de Bouratt, sous les arbres de Wothie ou quelque part entre deux hameaux, vers Dar El Khadra ou Waboundé. C’est tout le monde.

C’est le Messie. La Mauritanie tourne et retourne au gré des visitations. Tantôt, elle est à l’Est. Tantôt, elle est au Nord. Ou au Sud, vers le Trarza. C’est toute la Mauritanie. C’est, en tout cas, quatre-vingt-dix virgule quatre-vingt-dix pour cent de la Mauritanie.

Reste plus que les huit pour cent et poussière de Birame (1). Et là, ils ont été à Aleg. Pour y accomplir leurs coutumières turpitudes. Ils ont même failli fâcher le Président. C’était de justesse. Allez, « volez d’ici (2)! ». Vous savez, la Mauritanie est dans un cycle.

Au tout début, vers la fin des années cinquante, c’est-à-dire, juste après que les colons français soient partis de chez nous, c’était encore la tribu des Oulad (3) ceci ou des Oulad cela. C’était encore les grosses cases. Comme ça. Les campements. Ah oui, impossible, quand même, d’un coup de baguette magique de tout défaire ! Comme cela. Sans préalables.

Exactement comme ce que réclame maintenant l’opposition. Une certaine opposition. Les premiers gouvernements nationaux, c’était quoi ? Y avait pas n’importe qui, dé ! Nous sortions encore à peine la tête de l’eau ; ou du sable, plus exactement. Puis, hop, les années soixante-dix ! Tentative de tout mélanger. Malaxage sociétal. Tribus, classes, émirs et autres, tous dans le même sac !

C’est tout le monde avec tout le monde. C’est la révolution. C’est la contestation contre les préjugés, les pesanteurs et les anachronismes. Tout le monde danse. Tout le monde chante. Tout le monde conteste. Dix-huit ans de tout. De hauts. De bas. D’atermoiements. Mais pas de tribus.

Les lycéens des années quatre-vingt n’en connaissaient pas. Les habitants des Médina 3, des Médina R et des îlots de Nouakchott n’en connaissaient pas. Ni de couleurs, ni de tribus, ni de régions. Ould Taya ne connaissait pas sa tribu. Pour lui, les tribus constituaient le pire ennemi, avant de devenir le meilleur allié, pour régenter, réguler et sévir.

La grande tente militaire. La plus grande tribu. Les dosages ethnico-socio-régionaux. Plus rien ne marche sans ça. Adieu les parchemins ! C’est le fils de quelle tente ? De quelle case ? C’est quelle région là-bas ? Plus équilibriste que le Président, tu meurs.

Ça pèse. Ça sous-pèse. C’est les ministres des tant. C’est les membres du bureau national des tant. C’est la banque des tant. C’est les assurances des tant. C’est les hommes d’affaires… C’est les généraux….c’est la radio… c’est la télé…

Comme au temps où les bêtes étaient marquées au fer rouge, pour ne pas les perdre. Il faut poser le feu de la tribu sur ses biens, pour ne pas les confondre avec les biens des autres tribus. Marquer au feu les cadres de chaque tribu. Comme ça, ses cousins le reconnaîtront d’office. Pas la peine alors de demander de qui il est : sa marque est claire.

Apposer le feu sur le front. Un Oulad ceci reconnaîtra facilement son parent. Un non-Oulad cela reconnaîtra son cousin. Exactement, comme nous enseignaient nos maîtres d’école, à mettre les unités sous les unités, les dizaines sous les dizaines et les centaines sous les centaines…

Pour ne pas se tromper. A voir les visitations comme elles se passent aujourd’hui, il est clair que le cycle a repris. En-deçà des indépendances. Nous en sommes presqu’aux années 20. Du temps de la « Seïba » et de la loi de…

Salut.

Sneiba El Kory (Le Calame)

1.Militant anti-esclavagiste condamné à 2 ans de prison ferme. Il avait obtenu 8% des voix lors de la présidentielle de 2014.

2. Traduction littérale de l’expression hassaniya « thirou min hown » (qui signifie « dégagez ».

3. Fils de. Expression précédent les noms des tribus guerrières en Mauritanie.


Mauritanie : Combien de « mandha » pour Aziz ?

Visite du président Aziz à l'intérieur du pays (Photo : AMI)
Visite du président Aziz à l’intérieur du pays (Photo : AMI)

Avant l’avènement de notre « démo-gâchis », en 1992, suite à l’historique Discours de la Baule, un « mandha » sonnait, en Mauritanie, comme synonyme d’argent. Recevoir un « mandha » (le mot se prononce ainsi en hassaniya) était toujours une heureuse nouvelle.

Mais depuis que les mauritaniens vont aux urnes, ils ont utilisé ce terme plus pour parler élections que pour évoquer cet ancien usage. D’ailleurs, la poste, par laquelle arrivaient les « mandha », souvent de l’étranger, ou de Nouakchott vers l’intérieur du pays, a quasiment disparu aujourd’hui à cause des banques et autres moyens de transferts beaucoup plus rapides. Mais revenons au sujet qui préoccupe actuellement en Mauritanie : les tournées du président Aziz dans les différentes wilayas du pays et cette quête, supposée ou réelle, d’un troisième « mandha » !

Alors que le rais ne rate aucune occasion pour dire qu’il respectera la constitution (qui limite les mandats présidentiels à deux), certains de ses soutiens commencent à lui demander, lors des incontournables « réunions des cadres », de se représenter pour un troisième, un quatrième et même autant de fois qu’il le veut, pour « parachever ce qu’il a déjà commencé ». Un son de cloche qui inquiète. Une brèche qui s’ouvre devant le président Aziz pour prolonger son pouvoir qui dure maintenant depuis dix ans ! Et oui, ça on a tendance à l’oublier.

 

Aziz, tel le sphinx…

 

Aziz a bénéficié d’un demi-mandat entre 2005 et 2007. Certes, le président de la transition militaire de l’époque était bien le colonel Ely Ould Mohamed Vall, porté à la tête du Comité militaire pour la justice et la démocratie (CMJD) mais Aziz, qui continuait à commander le Basep (garde présidentielle) avait son mot à dire dans la gestion de cette période transitoire. Son légendaire « véto » à la prolongation de la présidence d’Ely, par un « vote blanc » renvoyant dos à dos les candidats Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi et Ahmed Ould Daddah, est évoqué encore aujourd’hui par ses partisans comme une attitude de refus d’une possible « déviation ». Un autre demi-mandat, entre mars 2007 et août 2008, quand Aziz jouait en quelque sorte le rôle de copilote aux côtés de Sidi, « premier président démocratiquement élu ». Un étrange attelage entre un général et un civil qui allait prendre fin, au bout de quinze mois, quand Sidioca a voulu « se libérer » de l’étreinte des généraux en les limogeant d’un seul coup. Et puis, un retour à la normale, avec l’élection de juillet 2009. Un mandat plein et entier pour Aziz devenu « le président des pauvres ». Sa réélection en 2014 n’a été qu’une simple formalité. En principe, son mandat court jusqu’à 2019 mais on a comme l’impression que lui et ses soutiens veulent déjà préparer l’avenir.

 

Dialogue à mi-temps

 

Ce qui est ingénieux de la part d’Aziz c’est d’avoir réinventé cette histoire de dialogue et de probable troisième « mandha ». Alors que lui pense à « l’après », l’opposition reste fixé sur l’avant. Un avant qui date de dix ans ! Une sorte de « Aziz nous a trompé ». En 2005, en 2007, en 2009 et en 2014. Il est certainement aussi entrain de le faire en proposant à l’opposition ce dialogue qui l’immobilise, lui fait adopter une attitude d’attente et surtout de prudence. Après l’annonce du dialogue, l’opposition a attendu deux mois pour entamer les premières négociations. Puis, il a fallu également attendre la première réponse, la première réunion avec le groupe de la majorité. Et, aujourd’hui, il faut probablement attendre que le président ait fini ses visitations à l’intérieur du pays parce qu’il prend toujours soin de se faire accompagner par le négociateur en chef de la majorité, le très discret ministre secrétaire général de la présidence, Moulaye Ould Mohamed Laghdaf. Ainsi, le temps passe. Et celui des visites pourrait bien être mis à profit pour trouver la parade. Car la situation difficile que traverse aujourd’hui le pays, sur le plan économique et social, oblige le pouvoir à « contenir », par tous les moyens, une opposition qui ne tire sa force que des faiblesses (disons les erreurs) du régime en place.

 

 

 


FIFA : après avoir évité le carton rouge, Blatter sort sur « blessure »

Sepp Blatter, président démissionnaire de la Fifa (Photo: google)
Sepp Blatter, président démissionnaire de la Fifa (Photo: google)

L’annonce de la démission surprise de Sepp Blatter, m’oblige à reconsidérer un papier que je voulais publier sous le titre : Blatter « l’Africain ». En voici l’entame :

« Je réagis sur le tard à la réélection, pour un cinquième mandat, de Blatter « l’Africain ». Je n’ai rien contre l’homme qui préside aux destinées de la FIFA depuis 1998 mais je trouve que le « montage » que lui et son compère Issa Hayatou, à la tête de la CAF depuis des lustres, ont mis en place pour finir leurs jours en capos de la planète foot, n’est différent en rien aux subterfuges politiques de nos dictateurs africains. Pierre Nkurinziza, notre Aziz national, Kabila et autres chefs de villages, ne réclament qu’un troisième mandat en s’engouffrant dans les brèches de Constitutions très souvent mal ficelées, Blatter et Hayatou courent derrière une présidence à vie !

Je m’étonne que ce pourrissement du monde du sport soit passé par les grandes puissances en pertes et profits. Pourtant, il n’a rien de différent de ces crimes économiques, de ces bouleversements politiques fustigés jour et nuit. La preuve qu’il y a corruption à grande échelle ne doit pas être cherchée trop loin. Le vote des pays africains et asiatiques pour Blatter, l’homme qui dit n’être impliqué ni de loin ni de près à la série de scandales qui ont éclaboussé la FIFA, est une preuve en lui-même. Ces régions ont toujours refusé la démocratie et elles doivent avoir des raisons suffisantes pour tenir tête aux puissances qui régulent le monde. Et quelles raisons « suffisantes » que celles d’être grassement rémunérés. Une place ou deux de plus, lors d’une Coupe du monde, la construction de stades ou l’organisation de sessions de formation sont certes des acquis, mais il est difficile de penser que cela suffit pour que les présidents des fédérations des pays soutenant Blatter consentent à lui accorder un cinquième mandat pour « rien ».

Et puis voilà, la démission, après la nouvelle révélation de haute probabilité de corruption, concernant l’organisation de la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud, ne fait qu’enfoncer encore plus Blatter. Sa démission est un aveu et, disons-le clairement, une porte ouverte vers une possible inculpation de l’homme. Le scandale au sein de la FIFA et ses conséquences désastreuses pour le monde du foot ne fait que commencer.


Mauritanie : les « ministrés » d’Aziz tournent et retournent

Sid'Ahmed Ould Rayess, ancien gouverneur de la BCM, nouveau MAED (photo: saharamédias.net)
Sid’Ahmed Ould Rayess, ancien gouverneur de la BCM, nouveau MAED (photo: saharamédias.net)

Le remaniement attendu a bien eu lieu. Deux ministres sont sortis deux sont rentrés. Deux ? Pas tout à fait. Il y a un « revenant » ; inattendu, vraiment. Sid’Ahmed Ould Rayess, l’homme qui, en janvier dernier, était au cœur de l’actualité. Il venait alors d’être « dégagé » du juteux poste de gouverneur de la Banque centrale de Mauritanie (BCM) suite au scandale de la Maurisbank dont le patron, l’homme d’affaires Ahmed Ould Mogueya, croupit depuis en prison.

En retrouvant le poste de ministre des Affaires économiques et du développement, Ould Rayess prouve à l’opinion publique nationale qu’il reste toujours un proche du raïs. Très proche même. Pour quelques dizaines ou centaines de millions d’ouguiyas détournés, plusieurs responsables du Trésor public et de la Somelec (Société mauritanienne d’électricité) ont été jetés dans le gnouf, loin des lieux du crime, à Bir Mogrein, localité à jet de pierres de la frontière algérienne. Ould Rayess dont la disgrâce n’aura duré que cinq mois, revient par la grande porte. Oublié la Maurisbank, qu’il aurait agréée dans des conditions peu orthodoxes causant ainsi la perte de milliards à l’Etat et à des particuliers. Oublié surtout l’état déplorable dans lequel il aurait laissé la BCM, dont les réserves en devises ont fondu comme neige et qui ferait fasse aujourd’hui à des difficultés nécessitant un remède de cheval.  Une situation qui justifie, selon des observateurs, le dernier voyage d’Ould Abdel Aziz en Arabie saoudite pour solliciter l’aide financière du nouveau roi Selmane. Alors ?

Les proches du président restent des proches, quoi qu’ils fassent. Ould Tah qui vient d’être nommé (par les Saoudiens, premiers bailleurs du fonds) à la tête de la Banque arabe pour le développement en Afrique (BADEA), dont le siège est à Khartoum, laisse à la Mauritanie une lourde, très lourde ardoise. En cinq ans, il a fait passer la dette extérieure de la Mauritanie de 2 milliards de dollars US à 4 milliards et quelques ! Pourtant, c’est bien lui, en tant que ministre des Affaires économiques, qui se targuait de dire que la plupart des grands projets du gouvernement étaient financés sur « fonds propres ». Un « mensonge rouge », pour lequel il a été récompensé en étant le seul « ministré » resté au gouvernement sans discontinuer, depuis 2008. L’homme des fonds arabes était au centre du dispositif mis en place à l’époque pour lancer de grands projets. A n’importe quel prix. Alors, avec ces deux exemples, les cadres de l’Union pour rien (UPR), parti (théoriquement) au pouvoir, mis au « garage » doivent reprendre de l’espoir : les postes, au gouvernement ou ailleurs, tournent et retournent. Gaffez messieurs !


Autour d’un thé : les Mauritaniens sont des génies

En période de pluies à Nouakchott, la charrette remplace la voiture (photo : facebook)
En période de pluies à Nouakchott, la charrette remplace la voiture (photo : Facebook)

Les Mauritaniens sont des génies. Pas en herbe. Ni en paille. Des génies. C’est tout. En tout. Partout où ils passent, ils font parler d’eux. Les Mauritaniens sont interchangeables. C’est ça, leur génie. Sans rien. En un clin d’œil. Ils peuvent se transformer. Histoire de s’adapter. Une capacité d’adaptation extraordinaire. S’adapter avec les mots. Avec les attitudes.

Ce n’est pas de l’hypocrisie. C’est le chameau que le temps a fait courber, il faut le monter. Et la main que tu ne peux couper, il faut faire avec ; l’embrasser, même. En Mauritanie, les civils peuvent jouer le rôle des militaires. Les militaires, prendre la place des civils.

Les journalistes, devenir experts en armement, en stratégie, en Basep. Et les présidents, se transformer, le temps d’une conférence de presse, en animateur. Oui, un président qui joue au journaliste, en donnant la parole, en la reprenant, en la redonnant et en posant des questions genre : qu’est-ce qu’ont ces gens-là contre le Basep ?

Hein, tu penses, toi journaliste, qu’il faille dissoudre une aussi belle unité militaire d’élite ? Ah non, non, ça, jamais ! Le Basep n’est pas à dissoudre, c’est une fierté nationale. Maintiens-le, « Président-Fondateur » ! N’écoute pas ces ennemis de la Nation. Je donne la parole à X Ould Y. Merci, monsieur le Président.

Voici ma question : La Mauritanie, c’est le pays des Almoravides. Des Hommes bleus. Le turban est important contre le vent. La stratégie qui a permis de voir plus clair, dans cette histoire de terrorisme. Et vous, monsieur le Président, c’est-à-dire que moi, ce que je veux comprendre, c’est que c’est-à-dire que, vous, votre mandat passé, plein de réalisations concrètes…

Le système politique que vous avez instauré… 2019, c’est dans moins de quatre ans. Vous avez déjà passé un mandat et vous venez de commencer votre second. Est-ce qu’il fait chaud, ce soir, à Nouakchott ? Merci, monsieur le Président. Sacré Président-Fondateur ! Nous savions que Président-Fondateur était courageux. Officier, citoyen et putschiste.

Ce n’est pas rien. Ennemi du bulletin blanc (1). Cinquante millions de dollars (2). Ce n’est pas rien non plus, comme dit mon ami. Un Africain de très loin, vers le Ghana, Accra, a voulu arnaquer Président-Fondateur. Mais il a appris, à ses dépens, que ce n’est pas facile.

Ghanagate ou Irangate ? Pour sortir l’argent de Président-Fondateur, il faut plus qu’une imposture et se réveiller de bon matin. La preuve. Nicolas Beau ou Nicolas Vilain. Le Monde. Le site de Moussa Ould Samba Sy. Tout ça, c’est quoi ? C’est l’étranger et ses hommes d’affaires, Dé. Pas de commentaires sur les cinquante pages de ce Nicolas à la solde de l’ennemi, de l’opposition, des aigris. Rien de caché. Tout est clair.

Les tribus sont là. Les gens de Zouérate sont sortis m’accueillir. A part cinq. Juste cinq. Venus de Nouadhibou. Là, Moussa a failli fâcher Samba. Attention, Dé. Ça me rappelle l’histoire d’un vieux garde de Boghé, recyclé de l’armée française, avec un ami turbulent qui avait violemment terrassé son fils.

Accouru, le vieux attrapa la main de mon ami agresseur et lui posa cette question : « Toi kaspré ou toi pa kaspré ? » (Soit, en français hexagonal : « L’as fait exprès ou pas ? »). Mon ami lui répondit : Moi paf et kaspré. Allé, dégage ! » Exactement comme le dirait Briga, dans le feuilleton burkinabè « Commissariat de Tampy ». Les biens de Président-Fondateur sont dans l’enveloppe remise à l’ancien président de la Cour suprême.

Certainement il nous entend. Quelques voitures. Quelques terrains. Quelques fermes. Quelques gilets pare-balles… Comme tout le monde. Pour ce mandat, c’est l’actuel président de la Cour suprême qui a dit au Président-Fondateur, que ce n’est pas la peine de dire ce qu’il a.

Qui disait qu’en Mauritanie, chacun peut devenir quelque chose ? Voilà un magistrat qui dit au Président (président du Conseil de la magistrature) de ne pas respecter la loi. L’adage populaire nous enseigne qu’il est, en effet, préférable, pour être rapide, de courir en pente descendante. A vos marques ? Prêts ? Partez !

 

Salut.

1. Opposition d’Aziz, durant la transition 2005-2007, à la volonté du président Ely de rester en appelant les électeurs à voter « blanc », pour dire qu’ils refusent les deux candidats.

2. Cinquante millions donnés par l’Arabie saoudite et dépensés par Aziz, sans en référer au parlement, pour équiper l’armée.

Sneiba El Kory (Le Calame)


Mandats : un, deux….trois, j’y suis, j’y reste !

Le président Nkurunziza du Burundi (Photo google)
Le président Nkurunziza du Burundi (Photo google)

A l’heure où j’écris ces lignes, je ne sais pas comment les choses vont finir au Burundi. Mais une certitude s’impose à nous : le président Pierre Nkurunziza continuera à régner dans l’inconfort total, au milieu des manifestations de rue et dans la peur d’une fin dramatique.

Il y a comme une malédiction du troisième mandat. Les peuples africains commencent à exiger le respect des règles du jeu démocratique. Ils n’acceptent plus de se soumettre à cette folle volonté de rester, dont font preuve certains de leurs dirigeants.

Ce refus d’accepter le jeu de poker menteur a commencé au Sénégal en 2011. Le président Wade avait réussi, en 2011, à tripoter la Constitution pour prolonger son règne, après avoir échoué à faire de son fils Karim son dauphin désigné. Peu enclins à recourir à la force, les Sénégalais ont tout de même réussi à « dégager » Gorgui (1) par la voie des urnes. Avec seulement 35% des voix, Wade a fini par comprendre qu’on ne peut pas forcer son destin à tous les coups. Après les épisodes Ben Ali et Moubarak, c’était son tour de dire : « je vous ai compris ». Avec quand même cette particularité africaine : le seul opposant à tous les présidents qui ont gouverné son pays (Senghor et Diouf, avant lui, Macky Sall, son tombeur).

La leçon sénégalaise n’a pas servi à ouvrir les yeux à Blaise Compaoré. Lui aussi, après 27 ans passés au pouvoir, a voulu pousser encore plus loin sa gestion des affaires. Il pensait sans doute que les Burkinabés étaient moins déterminés que les Sénégalais, les Tunisiens et autres Égyptiens à dire « non » à la dictature.

Pierre Nkurunziza est-il tombé dans le même piège, la même erreur ? S’il ne part pas aujourd’hui, il partira demain dans des conditions encore plus dramatiques pour lui et pour son pays.

Il fait partie de ces présidents africains qui n’ont pas encore compris que les temps ont changé. On prête au président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz l’intention de vouloir rester au-delà de 2019. C’est à dire, plus de 14 ans au pouvoir!  Eh oui, lui au moins, il a eu l’intelligence de placer son mandat « bonus » au début. D’abord, il y a cette cogérance du pouvoir avec le colonel Ely Ould Mohamed Vall, d’août 2005 à mars 2007, puis une présidence derrière les coulisses de Sidioca (2), jusqu’au 6 août 2008, où il refuse d’être limogé et décide de passer devant. Mais l’inspirateur des coups d’États des capitaines bouffons, comme Dadis Camara en Guinée et Sanogo au Mali, selon leurs propres aveux, déclare à qui veut l’entendre qu’il respectera le serment prêté, en août 2014, de ne pas toucher à la Constitution. Et ce, malgré les manœuvres montrant le contraire et les appels lancés par des inconditionnels du président le suppliant de rester.

En tout cas, ceux qui disent que la Mauritanie n’est ni la Tunisie ni le Burkina doivent tirer la leçon de ce qui se passe au Burundi. L’Afrique est en marche. Le refus du troisième mandat, le mandat de trop, est entré de plain-pied dans les mœurs du continent. Il peut échouer au Togo ou au Gabon mais ce ne sera que partie remise. «Être ou ne pas être», tel est le nouveau crédo des peuples africains.

1. « Gorgui », le surnom de Wade, signifie, en Wolof, l’homme.

2. Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi