Mohamed SNEIBA


Autour d’un thé : « Ô, vous là-bas, ne désespérez pas de la Miséricorde d’Allah ! Y a qu’ici où l’on peut faire des études de vétérinaire et devenir banquier ! »

Mauritanie: conseil des ministres (photo : AMI)
Mauritanie: conseil des ministres (photo : AMI)

C’est inédit ! Que, trois longues semaines durant, un Président puisse ne pas organiser un Conseil des ministres. Complètement désœuvrés nous étions. Comment ça, pas de conseil ? Au fond, au fond, c’est quoi, un conseil ? Normalement, chaque ministre vient avec ses cahiers d’écolier qu’il dépose, soigneusement, devant lui, en attendant son tour de caméra.
Bien assis, avec cravate ou melehfa¹ bien ajustés. Le cameraman passe et repasse. A vos marques ! Chaque ministre fait semblant de regarder son parapheur, lourdement rempli d’on ne sait quoi. Bien alignés, les ministres. Les grands à côté du grand. Les petits calfeutrés les uns contre les autres.
Depuis que les conseils ordinaires et extraordinaires des ministres se passent dans ce pays, jamais un Président n’a osé autant les reporter. Mais que vaut la République, sans le Conseil des ministres ? La veille, c’est la peur au ventre pour les uns. C’est l’espoir pour les autres. N’importe qui peut devenir n’importe quoi.
Il suffit d’un Conseil des ministres. Tout peut arriver. Les ministres conseillent le Président de monter ou de descendre un tel ou une telle. Ça dépend. Ça se passe comme au loto. Les nominations, c’est un long processus. Un chemin de croix. Un parcours de combattant. Toute une technique. Rien à voir avec les parchemins.
Certes, il y a le mot chemin. Bien connaître le chemin de la maison du ministre chez qui tu veux être nommé. Bien connaître le chemin de l’école de ses enfants. Sait-on jamais. A toutes fins utiles. L’homme, c’est celui qui sait tout faire. Il faut aussi être prêt.
A tout. Savoir rire au bon moment. Pleurer au bon moment. Ô, vous là-bas, ne désespérez pas de la Miséricorde d’Allah ! Y a qu’ici où l’on peut faire des études de vétérinaire et devenir banquier. Poursuivre des recherches en mathématiques, pour se retrouver directeur des mahadras², au ministère des Affaires islamiques.
Y a qu’ici qu’on peut être un brillant inspecteur de l’enseignement, à deux ans de la retraite, et être adjoint d’un fonctionnaire de cycle B, déserteur de plusieurs années. Nommé au Conseil des ministres. La fameuse formule, la fonction qui supprime le grade.
Les Conseils des ministres suppriment les diplômes, annihilent les consciences, promeuvent l’allégeance et la médiocrité. Je te conseille de nommer X à ce poste. Port ? Somagaz ? Somelec ? SNDE³ ? Affaires économiques ? Ou n’importe quel autre poste. Il faut le faire.
C’est normal. Regardez bien. Ah oui, c’est vrai, au Conseil passé, il y a un hartani qui a été enlevé. Hé, il est du Trarza ! Ils n’ont pas un DG, ces gens-là. Oui, oui, on a enlevé un gars de Boutilimit. Il nous en faut bien un. Hé, attention, celui-ci, c’est pas un hartani ! Il ne veut même pas qu’on le lui dise.

Gare à toi ! Pourtant, il est « compté sur eux ». Mais sa maman est une Mauresque, blanche comme neige. Yaweylou, c’est donc pas un hartani. Eywe « guetlak » (je te dis), l’autre, pourquoi il est nommé ? C’est un Soninké, non ? N’est ce pas que son cousin qui était là-bas est allé à la retraite ? Et l’autre, comment il a été nommé ?
Il paraît qu’il connait une femme qui connaît un homme qui connaît un homosexuel chez qui se retrouvent le ministre X et le directeur général Y, pour boire le thé. Et puis, qu’est-ce que tu as contre lui ? Il est gentil. Tu sais que c’est mon parent par sa mère. Nous sommes ses oncles. Hagalah (A bon?) ? Wallahi ! D’ailleurs, j’irais le voir pour qu’il me prenne quelqu’un avec lui. C’est une chèvre dans un grand désert.
Pour toi. Pour ton frère et pour le loup. L’essentiel que chaque ministère ait son secrétaire général. Un professeur d’arabe aux Affaires économiques. Un journaliste retraité à l’Éducation. Un philosophe à la Défense. Un comptable aux Affaires islamiques. Un agent de tourisme aux Affaires étrangères.
Un diplômé des pêches à l’Intérieur. L’essentiel, c’est la forme, pas le fond. Autrefois, c’était que les hommes soient des malles fermées. Maintenant, ce sont les hommes et les femmes qui sont des malles hermétiquement fermées. Impossible de savoir ce qu’il y a dedans. Le dedans ne compte pas. Seul le dehors et, parfois, le derrière comptent. Salut.

Sneiba El kory (Le Calame)

 

1. voile

2. Ecoles coraniques

3. Sociétés d’Etat


Réseaux sociaux : le pouvoir perd la bataille de la communication

 

La bataille fait rage sur les réseaux sociaux entre les soutiens du pouvoir mauritanien et ceux de son opposition. Tous les coups sont permis. Et si les médias officiels (télévision, radio et agence) consacrent l’essentiel de leur temps à la propagande du gouvernement, aidés en cela par une presse « indépendante » dépendante, de jeunes blogueurs révoltés par la situation générale du pays, tentent vaillamment de rendre coup pour coup sur les réseaux sociaux. On peut même dire que, sur ce terrain-là, les soutiens du président Aziz manquent d’inspiration. Il arrive même qu’ils commettent de grosses bourdes. Et là, les blogueurs de l’opposition, engagés et non pas embarqués, ne les ratent pas.

La bataille qui fait rage actuellement sur Facebook est provoquée par la sortie malheureuse d’un jeune cadre du parti au pouvoir, l’Union pour la République (UPR) qui, dans un moment de manque de lucidité, compare la Mauritanie d’Aziz à la Suisse ! Rien de moins! Sans savoir qu’en voulant servir le pouvoir, il le dessert. Le jeune conseiller au ministère du Pétrole et beau-frère du président du parti au pouvoir a attiré contre le régime en place à Nouakchott un flux ininterrompu de dérisions. Photos.

image Dans cette photo-montage, le blogueur Mohamed Ould N’Dioubnane attire l’attention sur la « Suisse d’Afrique » par une mise en parallèle entre le plus grand marché de Nouakchott, aux couleurs et odeurs africaines, et celui de Lausanne.

Et parce que le gouvernement a promis depuis 2009 de doter la capitale d’un réseau d’assainissement digne de ce nom, et que le projet annoncé pour 100 millions de dollars US est resté à l’état de projet, le blogueur Ahmed Ould Abdawa s’en va le rappeler par cette image.

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La santé, autre secteur où le gouvernement dit avoir réalisé des miracles depuis l’arrivée d’Aziz au pouvoir, n’est pas épargnée. Alors que les réalisations sont déclinées en termes d’hôpitaux, d’équipements et de formations plus adaptée à notre contexte, la photo ci-dessous montre des malades assis à même le sol.

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Dans la série des images qui font mal, cette autre photo qui montre que le phénomène de « l’accueillite »  a survécu au président Taya, l’homme fort en Mauritanie du 12/12/84 au 05/07/2005. Des citoyens qui ne comprennent rien à la politique sont mobilisés par des (ir)responsables sans foi ni loi pour montrer leur allégeance aveugle au pouvoir. À tous les pouvoirs, de l’indépendance de la Mauritanie (1960) à nos jours.

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La réhabilitation des quartiers précaires de Nouakchott, avec le relogement de quelque 100000 familles, selon le ministère de l’Habitat, de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire, est tournée en dérision par cette photo qu’un blogueur qualifie de « Davos » mauritanien.

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La sécurité n’est pas en reste. Domaine où le pouvoir a assis sa notoriété à l’extérieur grâce à ses victoires contre Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) qui n’a plus réussi d’opérations terroristes en Mauritanie depuis 2011, rappelle le pouvoir), elle fait défaut à l’intérieur raille l’opposition. Celle-ci dénonce les meurtres, viols et vols qui font les choux gras de la presse locale. L’image ci-dessous est celle d’un blogueur qui dit être à côté des « batteries antiaériennes » de l’armée mauritanienne.

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Pour faire face à toutes ces critiques, les pro-Aziz réagissent timidement mais surtout maladroitement. On déplore même que ceux qui profitent le plus de son pouvoir, y compris de grands journalistes présents sur les réseaux sociaux, ne parviennent pas à « résister » aux attaques d’une opposition plus engagée que jamais dans la bataille médiatique.

La réponse « culte de la personnalité » est un signe qui ne trompe pas : la com du président est défaillante et, pour préparer un troisième mandat, après 2019, malgré les verrous de la Constitution, il faut dégager la route dès à présent.

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Mondoblog : De la qualité à la quantité ?

Bijou de l’artisanat mauritanien.

Les pépites 2015. J’avais écrit, sur notre espace de discussion, et à la suite de la publication de la dernière sélection (rétro 2015), cette boutade : « un seul regard peut-il voir toutes les « pépites » ? Loin de moi l’idée de remettre en cause les choix de l’excellent « orfèvre » René Jackson, ou du principe qui a conduit à cette bonne initiative. Je soulignais seulement l’ampleur de la tâche et cherchais à provoquer le débat autour des criteres de sélection de ces « pépites » extraites de notre « Minoblog ». Le débat n’étant pas venu sur notre agora, je le relance ici : Une « pépite » c’est quoi, quand on ne parle pas le langage des chercheurs d’or ?

Dans mon entendement de journaliste et de blogueur, je pense à un article qui doit être trop général, pour nous réunir autour de valeurs communes, ou trop singulier, pour permettre à chacun de se juger (se situer) par rapport aux autres. Imaginer l’ampleur de la tâche quand il s’agit de parcourir une centaine d’articles ! Un exercice de style qui doit tenir compte, en plus des qualités intrinsèques (de fond) évoquées plus haut, de critères de forme. La valeur de l’analyse à elle seule ne suffit pas pour faire un bon article. Il manquera toujours cette touche humoristique, cette architecture de mots aux couleurs différentes et cette vie qui s’en dégage pour être partagée, aimée et ressentie par le plus grand nombre. Le Beau devient alors une affaire de consensus.

Je ne serais pas étonné, pour fonder les choix du Panda et la valeur des pépites de Mondoblog, de voir s’organiser une séance d’évaluation « boursière » de ces articles qui ont tendance à cacher la lumière pour qu’elle n’éclaire plus les autres. On revient alors à la question de la multitude. De la qualité et de la quantité. Des saisons Mondoblog. Et à cette question existentielle : faut-il arrêter la sélection ? Quel intérêt à avoir une plateforme de 600 bonhommes dont quelques dizaines seulement jouent les maîtres de cérémonie ?

C’est aussi, je pense, une explication parmi d’autres du retard pris par la dernière formation. Un surplus de candidats pour une rencontre « informelle » (je pense aux aspects financiers) et une sélection qui semble n’avoir pas prêter attention  au cuivre et au fer qui collent souvent à ses « extractions » d’or. Ces pépites et à ces articles de premier choix qui font aujourd’hui la fierté de Mondoblog.


Déclaration de politique générale : du réchauffé, pas plus

Le Premier ministre Yahya Ould Hademine (crédit photo : la page Facebook du chef du gouvernement
Le Premier ministre Yahya Ould Hademine (crédit photo : la page Facebook du chef du gouvernement

Le Premier ministre était – encore – en ce début d’année devant le parlement pour présenter sa DPG (Déclaration de politique générale). Un discours fleuve avec une ossature connue d’avance (la même que celle que son prédécesseur prononçait depuis 2009) avec des chiffres qui varient peu ou prou. Cette année, l’impression qui se dégage de cette DPG est que le gouvernement tourne en rond. Preuves.

Le dialogue est un mot phare depuis la présidentielle de 2009. Dans chaque DPG, il revient en bonne place :  » sur un autre plan, le renforcement de notre système démocratique sera renforcé (…) par la promotion de la culture du dialogue et du pluralisme politique. »

Mais ce sont les « choses » de l’économie qui constituent cette année le plus grand amalgame. Des projets dont la fin des travaux était annoncée pour 2015 reviennent à l’état de projet. C’est comme si les 109 milliards d’ouguiyas (3 milliards de dollars) mobilisés, dont 60% de dons, ont été utilisés à d’autres fins. Le port de Tanit financé à hauteur de 14 milliards d’ouguiyas est à seulement 30% de son exécution ! L’achèvement du nouvel aéroport international de Nouakchott annoncé en 2015 dans la DPG du nouveau Premier ministre Yahya Ould Hademine, est toujours attendue. Car malgré les visites organisées par la société Najah et le ministère de l’Equipement pour constater de visu l’achèvement des grands travaux, le fonctionnement d’Oum Tounsy (nom controversé du nouvel aéroport) n’est pas pour demain. Le financement faramineux qu’il a coûté au contribuable mauritanien devrait encore s’allonger pour l’équiper.

La production de l’énergie à partir du gaz est une histoire qui ne finit pas. En 2015, le Premier ministre annonçait 300 MW mais paradoxalement le retrait de l’un des principaux partenaires, la société Tullow, ne semble avoir perturbé en rien ce programme censé servir aussi nos voisins du Sénégal et du Mali. Pourtant, le projet reste à l’état de projet.

Tout comme la construction d’une salle omnisports de 3000 place annoncée en 2015 et qui revient encore en 2016. Le Premier ministre a ajouté même que le gouvernement prévoit la construction d’un nouveau stade de 30000 places, ce qui ramène dans les mémoires : « Ribat El Bahr », la ville touristique de 50000 habitants, la Grande mosquée de Nouakchott d’une capacité de 15000 prieurs, l’usine de production de sucre, le projet Aftout Echargui  destiné à approvisionner en eau potable plus de 300 villages dans le triangle de pauvreté (dénommé « triangle de l’espoir » pour des raisons de propagande) et, enfin, le projet « D’har » qui doit mettre fin à la soif des habitants des deux Hodh, le réservoir électoral de l Mauritanie.

C’est dire que l’étalage des chiffres est une chose mais la réalisation des promesses en est une autre.

 


Mauritanie : 2005-2015 : coup d’état, « Rectification » et mises à mort politique (retrospective)

Le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz (Photo : AMI)
Le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz (Photo : AMI)

Le pouvoir était et reste un rapport de forces. Il faut savoir actionner tous les leviers (militaire, économique, politique) pour assurer sa victoire mais également se maintenir le plus longtemps possible dans un pays où la démocratie n’est qu’un jeu. En 2005, le colonel Mohamed Ould Abdel Aziz, alors commandant de la Garde présidentielle et principal instigateur du coup d’état contre Taya, est le seul à avoir compris cette donne essentielle de la « démocratie » mauritanienne. Le moyen d’être aux commandes importe peu : co-gouvernance avec le colonel Ely Ould Mohamed Vall, « pilotage automatique » avec Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi et gestion personnelle du pouvoir à partir d’août 2008.

 

La chute de Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya avait provoqué un branle-bas de combat, un « weilemak yel warrani », au sein de la majorité hétéroclite qui l’avait soutenu deux décennies durant. Par crainte ou par intérêt. A ce sujet, il faut reconnaître une chose: malgré l’ampleur de la fraude à chaque élection, Maaouiya gagnait haut la main, l’administration, les tribus, l’argent et le savoir ayant pris le parti de se ranger dans son camp parce que ceux qui s’adonnaient à la politique comme profession n’acceptaient pas d’être du côté des perdants. Le Parti républicain démocratique et social (PRDS) n’avait aucun effort à faire (donc aucun mérite) pour que les cadres de l’administration, les hauts gradés des forces armées et de sécurité, les hommes d’affaires, les chefs de tribus et les « intellectuels alimentaires » (à l’image des humanitaires) lui prêtent allégeance pour servir et se servir. Une mécanique électorale que le pouvoir issu du coup d’état du 03 août 2005 allait utiliser en usant de moyens aussi ingénieux les uns que les autres.

Le phénomène des « indépendants »

Le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, élu en mars 2007, déposé en août 2008
Le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, élu en mars 2007, déposé en août 2008

La chute de Taya devait aussi consacrer, théoriquement, la mort du PRDS. Personne n’allait comprendre qu’on puisse aller à la conquête du pouvoir avec un parti aussi décrié que l’homme qui l’a incarné près de quinze ans. Cela allait correspondre au diction qui dit chez nous « je ne mange pas la charogne mais j’en bois la sauce » (ma newkel ejive yaghayr nechreb maha). La tactique était alors de créer une sorte de big bang politique qui a donné naissance au phénomène des « indépendants » qui n’était rien d’autre que des barons du PRDS recyclés. Au profit de qui ?

On pensait alors, dans l’immédiat, à Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi mais les évènements montreront plus tard que les « indépendants » dépendaient des colonels futurs généraux Aziz et Ghazouani. Sidioca, « le président qui rassure », n’était qu’un intermède dans la réalisation de la pièce de théâtre qui se jouait avec un jeu d’ombre et de lumière devant une communauté internationale loin d’être rompue aux rouages de notre « bolletig ».

Cheval de Troie

Ahmed Ould Daddah, président du RFD (opposition)
Ahmed Ould Daddah, président du RFD (opposition)

Contrairement à ce que pensent certains, la mise à mort politique d’Ahmed Ould Daddah et de son grand parti, le Rassemblement des forces démocratiques (Rfd) a commencé bien avant la « Rectification » de 2008. Si le futur candidat Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi a bénéficié du soutien « empoisonné » des « indépendants », Ahmed Ould Daddah a vu son parti renforcé par l’arrivée massive de nouveaux cadres-anciens du PRDS, qui se révéleront plus tard être des taupes. Cela deviendra plus évident lorsque ces « agents doubles », pour la plupart anciens ministres de Taya passés au service de Mohamed Ould Abdel Aziz, quitteront le navire Rfd quand Ould Daddah, comprenant trop tard le véritable dessein du tombeur de Maaouiya, décide de retirer son soutien à la « Rectification ». L’objectif de cette stratégie bien pensée était de faire croire à l’opinion publique nationale et internationale qu’Ould Daddah était désavoué y compris à l’intérieur même de son parti.

Donc, la « fronde » contre Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi s’était accompagnée, on le sait maintenant, d’une mise à mort politique d’Ahmed Ould Daddah. Le terrain était alors dégagé pour le général Mohamed Ould Abdel Aziz pour achever un plan de conquête du pouvoir savamment élaboré en 2005. Le seul hic était un ancien colonel nommé Ely Ould Mohamed Vall dont l’aura de la transition militaire 2005-2007 devait disparaître. A n’importe quel prix.

Détruire le mythe de 2007

Colonel Ely, président de la transition militaire 2005-2007
Colonel Ely, président de la transition militaire 2005-2007

La stratégie du général Aziz était également d’effacer de l’esprit des mauritaniens le passage éclair d’Ely Ould Mohamed à la présidence, en les convaincant que la crise politique d’août 2008 portait en elle les germes d’un mauvais passage de témoin en 2007. En effet, le discours itératif de la « fronde » des parlementaires conduite par le sénateur Mohcen Ould El Haj et le député Sidi Mohamed Ould Maham était que Sidioca, soutenu par les généraux Aziz et Ghazouani, a fini par tourner le dos à ses « bienfaiteurs » pour s’appuyer sur des « revenants » de l’Ancien Régime ! Pour renforcer cette thèse, le président Sidi a été obligé de désavouer son Premier ministre Zein Ould Zeidane, de nommer Yahya Ould Ahmed Waghef et de s’ouvrir sur les islamistes de « Tawassoul » et les anciens kadihines de l’Ufp. Une « charge » de plus contre lui puisque ce nouveau gouvernement n’a pas tenu deux mois « l’armée parlementaire » du général Aziz refusant de collaborer avec des partis politiques à l’idéologie « orthodoxe ».

Pour sortir Ely de la donne politique de façon définitive, le pouvoir l’a « tué » par le score inattendu de 3% à la présidentielle de 2009. Un résultat qui peut avoir été « travaillé » en amont et en aval mais, en réalité, il y a ceux qui pensent que l’ancien président du Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD) aurait dû patienter un peu. Vouloir revenir au pouvoir, deux ans seulement après l’avoir quitté « volontairement », est une avidité politique que les mauritaniens ont reproché à l’ancien président. Il est presque sûr que cette mise à mort politique d’Ely Ould Mohamed Vall est le meilleur « coup » que son cousin Aziz a porté à un adversaire politique. En fait, dès 2005, la bataille était engagée entre ces deux hommes et non pas entre Sidioca et Daddah qui appartenaient déjà à une époque révolue. Celle de l’avant coup d’état du 10 juillet 1978.

 


2015

  1. 2015 (photo : google)
    2015 (photo : google)

    Cela pouvait être le titre d’un film de science fiction. Si on était encore en 1984. L’année de mon bac. Avant d’avoir lu le livre devenu une référence dans la littérature de science fiction, cette date était déjà pour moi l’année du rêve. De l’espérance. Je m’imaginais alors, il y a trente ans, devenir « quelque chose ». Oui, c’est comme ça qu’on dit chez nous: « ad chi » pour dire « devenir quelqu’un ». Pourquoi la chose à la place de la personne ? Je ne sais. La réponse dans 84.

Ce qui est sûr, c’est que ce « devenir » n’a pu muer en réalité. Moi je suis resté moi. Pas grave. La Mauritanie est restée la Mauritanie. Bah, pas grave aussi. Mon pays n’a pas changé. Oui, oui, vous avez raison, j’exagère un peu. Je reconnais que la Mauritanie a fait un grand bond en avant.

Économiquement.

Les cultures vivrières ont cédé le pas à l’agro-business dans la Vallée du fleuve Sénégal. Une activité qui a enrichi une minorité et appauvri une majorité. Une situation de rapport de forces qui existait bien avant. Et qui continue donc en 2015. Des compagnies minières et pétrolières (Kinross, MCM, Petronas) ont débarqué en Mauritanie pour vendre le rêve aux populations. Les revenus sur 5 ans, estimés à des milliards de dollars, ont alimenté les comptes de ces sociétés à l’étranger (Canada, Australie, Malaisie) et contribué à l’émergence d’une classe de nouveaux riches qui tente aujourd’hui de bousculer une économie de rente bien installée. Cela arrive en 2015 mais c’est une répétition de 1978, 1984, 2005 et 2008. A chaque fois que le pouvoir changé de main.

Socialement.

Le mode de vie n’est plus le même. Des pratiques ont changé en bien, d’autres en mal. La scolarité n’est plus considérée comme une « pression » de l’extérieur, mais un « mal nécessaire ». L’école étrangère, dans une optique proche de celle de L’Aventure ambigüe, n’est plus combattue par les milieux conservateurs mais elle reste « en conflit » avec les mahadras (écoles coraniques). Pour une question de préséance de la langue et « d’occupation » du marché du travail. Comme en 1966 et en 1979. La question divise encore aujourd’hui en 2015.

Politiquement.

La Mauritanie de Taya (1984-2005) n’est différente en rien de celle d’Aziz au pouvoir depuis 2005. Oui, oui, ne vous étonnez pas. Il y avait bien, durant la transition militaire, un fauteuil pour deux, malgré les dénégations d’Ely. On parle de démocratie alors qu’on est en pleine « démogachis ». On tourne en rond. Notre modèle politique est continuellement remis en cause. Ça marche un temps, tout le monde applaudit. Jusqu’au prochain coup d’Etat. On « rebelote ». On passe plusieurs années en perte et non profits. Gouvernants, gouvernés et opposants s’en tiennent à un scénario où les rôles peuvent changer à tout moment. Ce qui sous-tend leur action, dans son ensemble, c’est l’espoir. Le temps devient alors de la valeur. « Ne soyons pas pressés, ça changera un jour », entend-on souvent. On le disait en 1984, quand Taya avait « putsché » Ould Haidalla pour remplacer le « redressement national » par le « salut ». On le dit aujourd’hui, en 2015, les dix ans de pouvoir d’Aziz n’ont pas mis fin à la controverse politico-économique. L’armée est toujours au centre des débats. Si elle n’est plus au pouvoir, ce dernier lui doit tout. En 2015, les « ébats » politiques continuent encore sur la démocratie et le rôle de l’armée. C’est le nouveau business de la classe politique. Il y a ceux qui défendent des privilèges et ceux qui réclament leur suppression.

On pensait pourtant, en 2005, que la question ne se posait plus. On nous avait dit que c’était le dernier coup d’Etat. La dernière « Rectification ». On avait même juré, la main posée sur le cœur. Pourtant, il y a eu 2008 et, si la « démogachis » ambiante ne cesse pas, rien ne nous prémunit contre le retour effectif de l’armée. La seule énigme : « quand » ?

Je sais que les derniers événements survenus au Burkina Faso ont redonné l’espoir de voir les hommes en uniformes en finir avec leur exercice favori. Le peuple burkinabé a pris conscience de sa force. Il a dit « non » ! Pour la première fois, je crois, la volonté a triomphé de la force. Mais rien ne garantit que ce sera pareil en Mauritanie, en Algérie ou en Guinée Bissau. Je cite trois exemples, il y en a au moins vingt. Les contre-exemples du « cas » Burkinabé sont là : l’Égypte, le Burundi et le Congo. Il y a toujours une « solution africaine » aux exigences démocratiques de l’Occident: le troisième mandat…ou le péril « islamiste ». Si un pays comme la France, notre « modèle », a réglé la question de l’alternance par le verrouillage des textes, nous réussirons, nous, à faire sauter ce verrou. En Mauritanie, certains avancent déjà dans cette direction en disant, à raison, que la Constitution, œuvre humaine, n’est pas le Coran. Lors de la Querelle des Anciens et des Modernes, l’un des frères Perrault disait, parlant des classiques, « ils sont grands, il est vrai, mais hommes comme nous » ! Autrement : ils peuvent se tromper comme nous pouvons réaliser de grandes choses. La démocratie à l’occidentale est adaptable à l’Afrique. Elle ne doit pas être adoptée. Le contexte français est différent, en lui-même, du contexte américain ou allemand. Mais ils restent comparables dans leurs dispositions générales. Dans leur essence de protection des libertés et de recherche du bien-être général. Si nous Africains et Arabes comprenons cela, nous pourrons agir sur notre devenir en fonction de notre passé et de notre présent. En fait, une démocratie à la carte qui respecte les critères essentiels de liberté, d’égalité, de bonne gouvernance mais surtout d’acceptation du principe de l’alternance pacifique au pouvoir. C’est le pari de l’après 2015 pour qu’une communauté africaine confuse et sans moyens (UA), singeant mal une Onu « occidentalisée » à outrance, sorte de sa léthargie et dit “non” à ce qui se trame au Congo, au Rwanda, en RDC et, probablement, en Mauritanie.

 


Pour la mémoire d’Ahmed que doit faire le rais ?

Ahmed Ould Abdel Aziz, fils du président mauritanien, décédé dans un accident
Ahmed Ould Abdel Aziz, fils du président mauritanien, décédé dans un accident

Cette fête de Maouloud est un mélange de joie et de tristesse et pas seulement à la Présidence. Le drame qui a bouleversé toute la Mauritanie est encore présent dans les esprits. Je sais que le statut de « fils du président » a joué en pareille circonstances mais il est loin d’avoir été déterminant dans l’émoi populaire que le pays a connu. Ce sont les circonstances du drame (mission humanitaire) confortées par des images le montrant au milieu de familles pauvres de cette « Mauritanie profonde » qui n’intéresse la classe politique qu’en période électorale, qui ont ému tout le monde. On se dit, finalement, que le fils du Président était sur la bonne voie, que son action n’avait aucun relent de propagande comme l’insinuait une opposition en mal d’arguments.

L’action humanitaire de la fondation « Rahma » s’exécutait-elle plutôt dans le cadre d’une stratégie parallèle visant à redonner espoir aux populations puisque celle du « Président des pauvres » a été dévoyée par des exécutants malhonnêtes et revenus, très tôt, à leurs vieilles habitudes ?

Car il faut bien reconnaître que la voie suivie par l’APD et les ressources engrangées ces dernières années grâce à la bonne tenue des secteurs de production (fer, or, cuivre, poisson) n’est pas vraiment celle annoncée par le « président des pauvres » à sa prise du pouvoir en août 2008. C’est un fait et je crois que, malgré les progrès réalisés dans certains domaines, et l’assurance d’un pouvoir entretenant une « guerre des mots » avec son opposition, le président Aziz en est bien conscient. Cette aliénation de « l’esprit » du 03 août 2005 et, dans une moindre mesure, de la « Rectification » du 06 août 2008, trouve son explication dans la résurgence quasi totale de tout le « personnel technique » de Taya. On peut même dire que ceux qui constituaient les « seconds couteaux » au temps de l’homme du 12/12 se sont très vite mis à l’école de l’opportunisme pour s’opposer, avec force, au retour des anciens barons. C’était en fait le choix entre la médiocrité ambiante, en 2005, et les anciens « budgétivores ». Le choix entre la peste et le choléra.

« Un seul être  vous manque, et tout est dépeuplé »

Certes, l’être cher évoqué par Lamartine dans son célèbre poème Le Lac n’a rien à  voir avec celui que le président Aziz et les pauvres de Mauritanie viennent de perdre mais il s’agit, dans un cas comme dans l’autre,  d’une douloureuse séparation. Ahmed était présenté par ceux qui prétendaient connaître la nature des rapports qu’il entretenait avec son père,  comme le confident et le conseiller du rais. Il aurait pu, si le sort n’en avait pas décidé autrement, porter son père vers un changement d’attitude envers la politique suivie jusqu’à présent mais, plus important encore, envers l’action à mener sur le plan économique et social pour retrouver le projet – perdu – de « président des pauvres ». Et je crois que la fondation « Rahma » devrait être l’instrument de cette nouvelle orientation quand tout a été faussé par le gouvernement et des hommes d’affaires véreux.

Aziz se doit maintenant de poursuivre l’œuvre inachevée mais bien porteuse de son fils Ahmed. Ce sera difficile parce que son statut de président ne lui permet pas de se donner les libertés que le défunt avait mais il peut faire en sorte que l’Etat-providence recouvre toute sa plénitude, quand la lutte contre la gabegie devient une action sérieuse menée par des hommes de confiance et vraiment engagés.

La redistribution de la richesse nationale passe par là et, pour la mémoire d’Ahmed, cela devrait valoir tous les sacrifices pour un président dont la force réside dans la détermination que lui reconnaissent ses adversaires politiques les plus acharnés.

Sneiba Mohamed


Félicitez-moi, j’ai perdu ma fonction

J’ai toujours cherché à comprendre pourquoi, en Mauritanie, les gens (ceux qui vous connaissent ou pas) viennent vous féliciter quand vous êtes nommés à un grand poste et reviennent vous présenter leurs condoléances, pardon, leur réconfort, quand vous êtes « renvoyé au garage » à l’issue du Conseil des  ministres du jeudi ou par décret présidentiel.  Aujourd’hui j’ai enfin la réponse.

Moi
Moi

La perte de ma petite fonction  au ministère de l’Education (apprise seulement quand j’ai vu mon salaire du mois de décembre sans ma modeste indemnité) est passée inaperçue. Un non événement. Même quand j’en ai parlé à mes collègues de bureau. Je n’étais quand même pas l’un de ces grands messieurs qui gèrent des budgets conséquents,  capables, en toutes circonstances, de « couper et de recoller ». On téléphone pour situer leurs maisons, dès l’annonce de la nomination et l’on accourt pour les féliciter.  On téléphone quand les circonstances (un voyage par exemple) ne nous permettent pas de présenter nos félicitations de vive voix. C’est nécessaire, que dis-je, c’est vital pour l’avenir des relations avec cette personnalité qui vient de naître.

La chute du haut personnage est moins cérémoniale. On ne s’empresse pas de rendre visite au responsable congédié. Celui qui vient d’être nommé à sa place peut considérer cela comme un geste d’animosité. C’est pourquoi, « on s’habille de l’ombre » pour aller voir le cadre limogé qui sort, à partir de cet instant, de nos calculs de gain et de perte. Il redevient anonyme. Jusqu’au jour où il sera réhabilité.


FNDU : d’opposants à opposés

Je vous l’avais dit, le dialogue n’était pas fait pour vivre. Il avait pour unique objectif de perturber les calculs d’une opposition qui avait décidé de jouer les prolongations. Face à la crise économique, réelle celle-là quoique dira notre ministre « Lsanou Khriv » (à la parole mielleuse, c’est le nom que j’ai décidé de donner, pour de bon, à l’actuel ministre des Finances), l’opposition mauritanienne mise sur le temps. C’était clair dans son attitude attentiste (pas de meetings ou de marches depuis plus d’un an) et dans sa stratégie de dialoguer avec le pouvoir (en posant des exigences qu’il ne saurait accepter.

Aziz a bien compris cette attitude de « ni paix ni guerre » et a décidé, en homme d’action, de faire bouger les lignes. Sur tous les fronts.

Sa stratégie était parfaite: quand lui dit oui pour le dialogue, sa majorité obéissante fait tout pour faire capoter les discussions.  C’est la démarche classique du « un pas en avant, deux pas en arrière » que le président de l’Union pour la République (UPR), Sidi Mohamed Ould Maham , pratique à merveille. Elle dispose d’une variante typiquement « azizienne » : mettre en avant le ministre Conseiller à la Présidence, Moulay Ould Mohamed Laghdaf,  le remplacer par le Premier ministre, Yahya Ould Hademine, lors de « journées préparatoires » d’un dialogue qui n’aura finalement pas lieu et, à la surprise générale, remettre en selle Ould Mohamed Laghdaf qui prend soin, tout de suite, de contacter par téléphone le nouveau président du FNDU (Forum national pour la démocratie et l’unité). Ce dernier, croyant le dialogue relancé, entame les discussions entre ses membres (partis politiques, syndicats, personnalités indépendantes) et finit par rompre les rangs: la « majorité » de l’opposition (7 partis sur 10) accepte le principe d’une rencontre avec le ministre secrétaire général de la Présidence. Les autres conduits par le Rassemblement des forces démocratiques (Rfd) d’Ahmed Ould Daddah, opposant devant l’Eternel, rechignent. Aziz a réussi son coup: ses opposants sont devenus des opposés. Et la vie continue.