Mohamed SNEIBA

Je persiste et signe

imagesNous irons (encore) au dialogue. D’accord. Certains partis choisiront la politique de la chaise vide. On n’en doute pas puisque les désaccords sont encore nombreux. Préalables. Attaques, coups bas, (d)ébats sur les plateaux de télévision. L’Union pour la République (UPR) explique l’inexplicable. L’opposition réplique. Le dialogue est déjà là non ? Dialogue de sourds. Chacun tient à sa vérité.

Le pouvoir dit avoir transformé la Mauritanie en Eldorado. Il « a fait en sept ans ce que tous les autres n’ont réussi en quarante ans ». Dixit la bande à Ould Maham. Le patron du parti au pouvoir. Avant Aziz, il n’ y avait rien ? RIEN. Aucune route. Celle qui relie Nouakchott à Néma sur 1200 km était synonyme de désespoir. Les habitants des six régions qu’elle désenclave (Trarza, Brakna, Tagant, Assaba, Hodh Gharbi, Hodh Chargui) ont fini même par oublier jusqu’au nom du président qui l’avait construite. L’oubli est la « vertu » la mieux partagée en Mauritanie. Depuis toujours, un président en chasse un autre. Donc une chaîne d’oublis : Daddah, Ould Mohamed Saleck, Louly, Haidalla, Maaouiya, Ely, Sidioca. Aziz. Vive ! Vive ! L’histoire n’a commencé qu’en 2008. Le développement aussi.

La route Nouakchott-Nouadhibou, longue de 470 km, n’est plus évoquée que parce qu’il y a la ville de Chami. Notre Dubaï à nous. Une ville (presque) sans habitants. Et donc sans activités. Sans raison d’être autre que celle de s’entendre dire : nous avons créé une ville ex nihilo. Il est vrai que quand on parcourt cinq cents kilomètres, on a besoin d’escale pour boire du thé ou un coca mais la Gare du Nord jouait parfaitement ce rôle. Mais bon, Chami fait maintenant partie du décor ; il faut donc faire avec.

Domsat, le projet d’électrification des 13 villes, la route de Tidjikja, celle d’Aleg-Boghé-Kaédi ou encore de Rosso-Boghé, c’est de l’histoire ancienne ça. Ce qui compte aujourd’hui, ce sont les chantiers de l’est du pays. Amourj, Barkeol, Bassiknou…Ça c’est du Aziz premier choix. Même si des réalisations comme « Aftout essahili » ou la route Tidjikja-Atar sont des projets recyclés. Comme nos hommes politiques qui, par attachement à la Mauritanie Nouvelle, oublient leur statut d’Anciens. Cheikh Al Avia, Kaba, Zahav, Zamel, Sghair, Ba Bocar Soulé, Moudir Ould Bouna, Isselmou Ould Mohamed El Moustaf, Sidi Ould Didi, Mohamed Mahmoud Ould Brahim Khlil. J’en cite dix, il y en a des centaines, voire des milliers.

Mais bon, là n’est pas le problème. Comme le dit si bien un « journuliste » devenu « quelque chose », les lignes bougent. On n’est pas condamné à rester à l’opposition mais quand on va avec le pouvoir, on ne doit pas oublier d’où l’on vient. Le justifiable n’est pas le juste tout comme l’opinion n’est pas (forcément) la vérité.

Je vais avec le pouvoir parce qu’il m’accorde des privilèges, malgré mon incompétence. J’allais finir mes jours comme simple prof de collège ou agent d’une banque « tribale », si le pouvoir, adepte de la sélection par le bas, ne m’avait coopté dans son armée de « safagaa » (laudateurs).

On va me dire que j’attaque, une fois de plus, la majorité. Oui. Je suis contre les perfidies. Oui, le régime de Taya était mauvais. Oui, la transition militaire de 2005-2007 avait était menée comme une année sabbatique où tout était permis. L’année des manœuvres. Et tout ce que nous vivons aujourd’hui est le résultat de ses dérivés. Les putschistes, divisés en deux camps, et les « ciwil » qui les soutenaient (les manipulaient plutôt) ne jouaient pas à visage découvert.

Je sais qu’avec un autre qu’Aziz, la situation allait être la même. Peut-être pire, qui sait ? C’est une affaire de système, pas d’hommes ou de femmes.

Je persiste et signe en disant que la Mauritanie est malade de sa classe politique. L’amour pour la patrie est un « mensonge rouge ». Aziz a donné la démocratie, en « putschant » Taya. Peut-être. Il a protégé cette même démocratie en arrachant le pouvoir à Sidioca. Hum ! Il a plutôt transformé la démocratie naissante en démogâchis. L’opportunisme a fait florès. Les jeunes l’apprennent de plus en plus à l’école des grands. On pleure en expliquant le discours du raïs. On monte sur ses grands chevaux quand l’opposition s’oppose. Voudrait-on qu’elle applaudisse à tout rompre ôtant ainsi à la démocratie sa raison d’être ?

Je persiste et signe en disant que nous n’avons pas d’opposition. Seulement des « opposés ». Opposés qui s’opposent. Cupad et FNDU, coalition contre coalition, modérée contre radicale. Opposés à Aziz. Opposés à tout ce qui n’assure pas l’arrivée (ou le retour) aux affaires. Je vous l’ai dit, la Mauritanie est malade de sa classe politique. Il y a les opportunistes de la majorité mais aussi les aigris de l’opposition. Entre les deux, une minorité de patriotes qui cherchent à sauver ce qui peut encore l’être.

 

 

 

 

 

 


Partir : la question n’est pas de savoir quand mais comment ?

Aziz entouré des généraux qui ont mené le putsch de juin 2008 (Photo : google)
Aziz entouré des généraux qui ont mené le putsch de juin 2008 (Photo : google)

Les changements que la Mauritanie connaîtra, à la fin du deuxième mandat du président Mohamed Ould Abdel Aziz, favorisent de nouveaux « placements », au sens économique et financier du terme. L’effervescence politique actuelle est symptomatique. Chacun, dans le camp de la majorité, veut assurer un gain. Il table sur une double hypothèse : Aziz peut choisir de partir ou décider de rester. Dans un cas comme dans l’autre, il faut agir. Accompagner la mise en place de l’échafaudage politique que l’homme fort du moment mettra en place pour préparer sa « succession » (il a dit lui-même à Néma qu’il n’est pas question de laisser l’opposition arriver au pouvoir) ou continuer à gérer le pays en faisant fi de la clause qui limite les mandats présidentiels à deux.

Contrairement à ce que pensent beaucoup de mauritaniens, le sort du président Aziz n’est pas entre les mains du peuple. Un référendum est un acte formel qui vient « valider » la volonté du pouvoir en place. La rue, a démontré, depuis 2011, qu’elle reste en dehors des contingences politiques entre un pouvoir fort de sa majorité vaseuse et une opposition fluctuante.

Tant qu’il plait à l’armée et à l’Occident, Aziz n’aura pas à s’inquiéter. Il peut modifier la constitution, la « tuer » même, rien ne viendra perturber sa stratégie de conquête et de conservation du pouvoir entamée en 2005. La seule chose dont il doit se méfier c’est de continuer à négliger la détérioration des conditions de vie des populations. C’est ce qui a réellement perdu Taya, dès 2003, quand tout le monde avait commencé à sentir la fragilité de son système après 20 ans de règne sans partage.

Sur ce plan, la sonnette d’alarme est déjà tirée. La popularité du rais, à l’aune des discussions de salons et de bureaux, mais aussi dans les moyens de transports publics et sur les réseaux sociaux, est largement entamée. Rien à voir avec 2008 où des actions d’éclat à Hay Saken (quartier pop de  Nouakchott), le renvoi de l’ambassade d’Israël ou la mise à niveau des forces armées et de sécurité l’avaient présenté comme le digne héritier du « Père de la Nation », feu Moctar Ould Daddah.

Aujourd’hui, dix ans après, le système légué par Taya a repris ses droits. La « coalition » entre les trois pouvoirs (la tribu, l’argent et le savoir) a repris les choses en main. Le président est à nouveau son otage. Elle se sert de lui alors qu’il croit qu’elle le sert.

Cette coalition, ce système, est responsable des choix politiques désastreux. Elle est aussi responsable d’une crise politique qu’elle sait entretenir à merveille parce que sa raison d’être est qu’il y ait toujours une opposition diabolisée à outrance. Une opposition qui, elle aussi, fait le jeu de cette majorité en exacerbant les tensions par des déclarations à l’emporte-pièce et des calculs erronés sur la « fin de règne » d’Aziz.

Aziz ne doit cependant pas perdre de vue qu’il partira bien un jour. Le « quand » n’importe que pour ceux qui sont attachés à la démocratie (le principe des deux mandats), qui lient leur sort à celui d’un homme (la question des privilèges) ou qui pensent avoir une chance de lui succéder (l’opposition).

Le « comment » partir est la seule question qui vaille pour Aziz. Indépendamment de ses réalisations ou de ses erreurs, c’est sa façon de quitter le pouvoir qui déterminera sa place dans l’Histoire. Son entrée dans celle-ci, le 03 août 2005, a été annihilée par sa rebuffade-rectification du 06 août 2008. Un coup de tête fortement encouragé, on le sait, par cette majorité qui cherche aujourd’hui à le pousser à rester, non pas par attachement à lui (demandez à Taya) mais pour ses propres intérêts.

Si Aziz décide de quitter le pouvoir, volontairement, il pourra recouvrir une bonne partie de son aura politique et militaire acquise aux forceps. Mais s’il décide d’écouter les sirènes du troisième mandat, il doit savoir qu’il partira quand même un jour. Probablement avec les honneurs en moins.


Autour d’un thé : Sacrée Mauritanie !

Aziz sur le "front" de guerre contre le terrorisme (photo : noorinfo)
Aziz sur le « front » de guerre contre le terrorisme (photo : noorinfo)

Sacrée Mauritanie ! C’est inédit, historiquement parlant, que des mots clairement proférés en hassaniya fassent l’objet d’aussi mystérieuses interprétations. Pourquoi tout ce grabuge autour de quelques phrases prononcées, comme ça, mine de rien, dans un meeting populaire ? Ne dit-on pas que le grand dit son mot et le petit se tait ?

 

Quoi de plus grand qu’un président qui a encore, devant lui, trois années de son second mandat ? Qui connaît la volonté d’Allah ? Y a que ça : personne ne sait de quoi demain sera fait. Comme l’ont dit les bons harratines aux mauvais harratines, le Président ne s’adressait pas à vous.

 

Quelque chose comme soixante-dix enfants, certains à Tarhil¹, d’autres à la kebba² du Wharf, Dar El Beïdha, Neteg ou Kossovo. Pour un salaire de cinq cent mille, ça ne va pas. A plus forte raison, pour un salaire de moins de cinquante mille. Mais, ça, c’est pas que les Harratines ! Il ne faut pas vous faire adresser ce qui ne vous est pas adressé.

 

Ça, ce sont les séquelles de l’esclavage. Qui, soit dit en passant, n’existe pas que chez les Beïdanes³ dont vous n’êtes, mettez-vous bien ça dans le crâne, une bonne fois pour toutes, qu’une composante. Assalamou aleikoum : Aziz ne parle pas de vous. Mais depuis quelques temps, les Harratines ont la peau – et l’oreille – très fine.

 

Compliquée Mauritanie… Expliquer le hassaniya en hassaniya : « Harratines » ne veut plus simplement dire anciens et descendants d’esclaves. Les vingt-deux meetings de Nouakchott avaient pour objectif de démontrer que le concept englobe, désormais, tous les Mauritaniens : libres et esclaves dans le même paquet.

 

S’il y a insultes, c’est envers et contre tous. La majorité, c’est pas seulement que les Beïdanes et les Lekwar (négro-mauritaniens). Nooooon, c’est aussi les Bons harratines. A Néma et comme par enchantement, tous les Mauritaniens comprenaient, le 3 Mai, parfaitement le hassaniya.

 

C’est pourquoi, comme le disait si bien un ministre harratine, si celui qui parlait est con, ceux qui l’écoutaient sont intelligents. Les oppositions, ce ne sont pas seulement les Beïdanes. Nooooon, c’est aussi les mauvais harratines, les Lekwars et les islamistes.

 

Ces gens qu’il faut exterminer complètement, selon une proposition collinaire d’un certain conseiller présidentiel qui leur reprocherait d’être l’ennemi public numéro un, loin devant la mauvaise opposition, ennemi public numéro deux, juste devant quelques bandits de la Société civile, ennemi public numéro trois, qui ont inspiré un indélicat rapporteur spécial des Nations Unies sur la pauvreté, ennemi public numéro quatre peu reconnaissant et même pas comme les autres rapporteurs spéciaux.

 

Lui ne semble guère avoir beaucoup apprécié notre méchoui national, assorti de nos si jolis petits plats d’hors-d’œuvre, dattes et de boissons si délicieuses, si bien servis par de si bons harratines, un vrai panachage. Avec de si jolis sourires de si belles demoiselles, dames et autres.

 

Pouh ! Un rapporteur spécial qui ne sait pas apprécier le méchoui, le riz basmati bien assaisonné et le thé parfumé à la bonne menthe, ne peut produire que de mauvais rapports sur la Mauritanie ! Imaginez un rapporteur spécial missionné, par exemple, en Côte d’Ivoire, qui ne prenne pas goût au Aloko ou à l’Atiéké.

 

Sûr qu’il ne racontera que des cracks sur ce pays ! Alors que, s’il sait bien danser le pépé décalé, qu’il boive un bon verre à la terrasse du grand Bassam, alors là, oh la la, il saura quoi et justement bien dire ! Un rapporteur qui rapporte des idioties est un mauvais rapporteur. Vraiment très spécial. Ça, au moins, c’est vrai.

 

Et, manque de pot, le nôtre, là, de rapporteur est vraiment spécial. Mais il vient d’où, celui-là ? La pauvreté est partout. Elle n’est pas spéciale. Elle n’a rien de spécial. Il y a des beïdanes pauvres, Des kwars pauvres, des harratines pauvres.

 

Il y a, même, un président des pauvres ! En Mauritanie, la pauvreté, elle est bien traitée : elle a son Président. Mais si le rapporteur spécial ne voit qu’une pauvreté spéciale, quoi faire, alors ? Rapporteur spécial. Pauvreté spéciale. Rapport spécial. Rapporteur. Equerre.

 

Règle plate. Compas. Ardoise. Esclavage. Pauvreté. Racisme. Violences. Nouvelles formes d’exploitation. Quand on ne sait pas apprécier un bon méchoui, impossible d’établir un bon rapport. CQFD. Salut.

Sneiba (Le Calame)

 

1. Littéralement  : les déplacés. L’une des nouvelles zones d’habitations populaires de Nouakchott.

2. Littéralement : dépotoir, décharge, autre quartier pauvre de Nouakchott.

3. « Blancs ». Les Maures.


Les leaders d’IRA sortent de prison : les dessous d’une libération

Biram et Brahim, président et vice-président d'IRA (photo : alakhbar)
Biram et Brahim, président et vice-président d’IRA (photo : alakhbar)

La Cour suprême a prononcé ce 17 mai le verdict tant attendu. Un verdict qui met fin à l’incarcération de Biram Ould Dah Ould Abeid et Brahim Ould Bilal Ramdan, respectivement président et vice-président de l’Initiative pour la Résurgence d’un mouvement Abolitionniste en Mauritanie (IRA), organisation non reconnue.

Cette libération met fin à un emprisonnement qui, sans être le premier dans la vie des leaders d’IRA, a été considéré par bon nombre d’observateurs comme éminemment politique. L’Ambassade des Etats-unis à Nouakchott a été la première à saluer cette libération et à réaffirmer son soutien à IRA.

Le motif évoqué par les autorités, lors de l’arrestation de Biram, Prix des droits de l’homme de l’Onu, en 2013 et de Brahim, il y a 16 mois, était due à leur participation à une marche contre l’esclavage foncier, partie de Boghé pour arriver à Rosso, 193 kilomètres plus loin, sur la route reliant ces deux villes de la Vallée du Fleuve Sénégal.

Incarcérés d’abord à Rosso, puis à Aleg, ils ont fini par être transférés à Nouakchott. Un long bras de fer a alors commencé avec les autorités qui, sous la pression conjuguée des manifestations organisées par les militants d’IRA chaque mercredi, et des appels des chancelleries occidentales présentes à Nouakchott, auraient tenté d’accorder aux deux encombrants détenus une liberté provisoire. Les leaders d’IRA m’avaient déclaré, lors de la visite que je leur avais rendue en prison, il y a trois mois, que l’acceptation d’une liberté provisoire équivaut à celle de tout le processus antérieur, entaché d’irrégularités.

 

Pourquoi le pouvoir lâche du lest ?

 

Biram entouré par des éléments de sa sécurité
Biram entouré par des éléments de sa sécurité

D’aucuns s’interrogent sur les mobiles qui ont poussé le pouvoir à libérer ces deux militants anti-esclavagistes.

La libération intervient à deux semaines du « discours de Néma » prononcé par le président Aziz et dont la partie concernant l’esclavage et ses séquelles a encore échauffé les esprits des Harratines, qui revendiquent représenter au moins 45% de la population du pays. Appelés de manière à peine voilée à une limitation des naissances, leur croissance démographique commence à gêner. La libération de Biram et de Brahim peut-elle apaiser un climat très tendu ? Rien n’est moins sûr.

On peut aussi considérer que l’arrestation du président d’IRA et de son adjoint avait pour seul objectif de les empêcher de perturber, à l’étranger, l’EPU (Examen périodique universel) de la Mauritanie, passé à Genève, en novembre 2015 avec des résultats mitigés.

Le dernier passage en Mauritanie de Philip Alston, rapporteur spécial des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme a tellement exacerbé le régime de Nouakchott qu’il pourrait avoir joué en faveur de cette libération. Ce passage du communiqué publié à l’issue de cette visite a soulevé un véritable tollé au sein de l’élite maure : « les harratines et les négro-africains sont systématiquement absents de toutes les positions du pouvoir réel et sont continuellement exclus de nombreux aspects de la vie économique et sociale. Ces deux groupes représentent plus de deux tiers de la population, mais diverses politiques servent à rendre leurs besoins et leurs droits invisibles. »

Les dénonciations continuent encore à fuser d’organisations non gouvernementales proches du pouvoir, voyant dans le propos du responsable onusien une façon d’attiser la haine entre les communautés nationales qui, depuis l’indépendance du pays, font du partage du pouvoir une question essentielle.

Toujours est-il que, dès leur sortie de prison, les deux leaders d’IRA ont réaffirmé leur volonté de continuer la lutte contre l’esclavage et l’injustice. La lettre écrite par Biram, à la veille du verdict de la cour suprême, était même une sorte de provocation et une manière de dire que la prison n’a fait que raffermir sa position : « Je puis t’affirmer ici, à toi et à la clique qui te sert de laudateurs, que je n’attends rien de toi,  ni avant le 17 mai 2016, ni pendant cette journée là et encore moins après.  Je ne me sens pas concerné par tes verdicts que je ne reconnais pas. Alors, que ce soit deux ans, dix ans ou vingt ans, il n’y aura d’alternative à la confrontation, à l’intérieur ou à l’extérieur de la prison. Nous proposons et Allah dispose. »


Mauritanie : l’or qui appauvrit

Chercheurs d'or (caricature de Taqadoumy.com)
Chercheurs d’or (caricature de Taqadoumy.com)

La fièvre de l’or est en train de retomber. Lentement mais sûrement. Laissant dans son sillage des histoires qui font pleurer ou rire. Si la ruée de l’or a fait des heureux (je n’ose parler de riches), elle a aussi provoqué la ruine ou l’appauvrissement du plus grand nombre.

C’étaient des histoires que j’entendais tous les jours sans les croire. Jusqu’au jour où j’apprends celle-ci de la bouche d’un homme venu de la « Mauritanie profonde », d’une région de l’Est, pour se lancer dans l’aventure de l’or.

Il s’occupait paisiblement de son troupeau de vaches, attendant l’hivernage qui approche pour pousser un ouf de soulagement. Il calculait déjà les acquis de l’année écoulée se disant qu’il dégagera un bénéfice consistant puisqu’il n’a pas eu à dépenser beaucoup durant la période de soudure. Mais quand il entendit parler de l’or, il perdit la tête. L’or qu’on ramasserait à la pelle, avec des moyens rudimentaires. Et un petit investissement. Il suffit de vendre quelques taureaux et vaches pour avoir l’argent nécessaire.

L’homme en question, qui racontait son histoire dans un taxi, a mobilisé rapidement 2600000 UM (7000 euros) pour acheter le détecteur, louer un véhicule tout-terrain, engager des « bras » solides et se ravitailler pour une aventure d’une semaine qu’il imaginait déjà « en or ».

Une semaine au bout de laquelle il est rentré à Nouakchott bredouille. L’or n’est qu’un mythe. En tout cas pour de nombreux mauritaniens, jeunes et vieux, qui ont cédé à la tentation.

Certains commencent à penser que c’est une histoire créée de toutes pièces par les RG (renseignements généraux). Dans le but d’occuper le peuple. Ce dernier avait l’esprit tourmenté par la montée vertigineuse des prix. Et le regard tourné vers Néma où le président Aziz devait annoncer un amendement de la constitution. On attendait le gaz de Banda et de Tortue 1. On retrouvait le sourire à l’annonce du retour des capitaux arabes, suite à l’engagement de la Mauritanie aux côtés de l’Arabie saoudite. Contre l’Iran. Et, subitement, on nous sort cette histoire « en or ».

Campement de chercheurs d'or (crédit photo : elhourriya.net)
Campement de chercheurs d’or (crédit photo : elhourriya.net)

« En or » pour ces importateurs de détecteurs qui ont fait passer les prix de leurs appareils de 500000 UM à près de deux millions ! Pour le Trésor public qui a renfloué ses caisses en exigeant le dédouanement de ces appareils importés de partout et de nulle part, à 300 000 UM et le payement de 100000 UM pour la délivrance du permis. Pour les agences de location de voitures. Pour tous les commerces de ravitaillement.

Pour faire face à toutes ces dépenses, certains ont vendu leurs voitures. D’autres « casse-cous » sont allés plus loin en vendant leurs maisons, se disant que si le sort leur sourit, ils pourront se rattraper et largement. Une hypothèse.

Installations de la société Tasiast (photo : google°
Installations de la société Tasiast (photo : google°

Le désespoir a failli pousser des chercheurs d’or à pénétrer dans les concessions appartenant à des compagnies étrangères comme Tasiast. Ils imaginent mal que cette société propriété du géant minier Kinross (Canada) puisse amasser des milliards en Mauritanie alors qu’eux ne tirent aucun profit des richesses de leur sous-sol. Ils oublient que les moyens et les méthodes sont différents. L’or qui enrichit les actionnaires de Kinross, certains hauts responsables mauritaniens et les commerçants ayant profité de l’importation de détecteurs, est en train de ruiner des dizaines de milliers de mauritaniens ayant succombés à la tentation…du diable.


Discours de Néma : Quand Aziz se prend trop au sérieux, vous devez avoir peur

Le président Aziz (photo : AMI)
Le président Aziz (photo : AMI)

Aziz a parlé. A évoqué les questions sur lesquelles il était attendu depuis l’annonce de la visite de Néma. Situation économique du pays. Sécurité. Réalisations. Chiffres. Politique. Dialogue. Constitution. Opposition. Esclavage. Démocratie. Sans ordre précis. Donc désordre. Va-et-vient. Dérapage. Oublis. Imprécisions. Indélicatesses. Quelques vérités. Beaucoup de contre-vérités. Voulues par lui ou par ceux qui l’ont « ravitaillé » en chiffres et en idées politiques saugrenues.

Aziz a parlé.

Il y avait du monde, il faut le reconnaître. Mais pas les SEULS habitants de Néma, ni même du Hodh Chargui. Les gens sont venus de partout : de Nouakchott, en très grand nombre. Du Hodh Al Gharbi et de l’Assaba voisins. D’autres régions certainement. Et probablement du Mali. Un meeting pas ordinaire. Donc, impossible de dire si le Hodh Chargui est toujours cette région majoritairement acquise au pouvoir. À tous les pouvoirs. Ceci n’a peut-être pas trop d’importance mais c’est un constat.

Aziz a parlé.

Mais avons-nous bien entendu ce qu’il a dit ? Entendu, au sens de comprendre pour ceux qui restent au niveau de la linéarité du discours du président.

Je pose la question parce que, quand Aziz se prend trop au sérieux, il faut avoir peur. Il perd alors sa spontanéité. Lui dont l’une des qualités est de dire ce qu’il pense. Sans se soucier des conséquences. Par exemple, l’allusion à son refus de se plier à la volonté de la France en s’engageant tête baissée au Mali est une chose à ne pas dire dans un meeting populaire. Le peuple va applaudir cette sortie à relents populistes, mais Paris peut grincer des dents.

Aziz a parlé.

Il s’est appuyé sur les dires des autres. Les chiffres des autres. Leurs allégations. Il a dit ce que ses « ministrés » disent. Répété le discours de l’Union pour la République (UPR) qui, de par sa qualité de parti au pouvoir, assume (toujours) sans s’assumer.

Quand Aziz dit mon « gouvernement a fait », il parle de croyances. D’une somme de données concoctées à la hâte pour lui. Le même discours. Les mêmes (in)certitudes. Les mêmes repères. 2007 et maintenant. Les mêmes contrevérités : les hommes politiques de l’Ancien Régime sont de l’autre côté! A l’opposition. Il oublie tous les anciens Premiers ministres (Cheikh El Avia, Sghair, Sidi Mohamed Ould Boubacar, Ould Guig). Il oublie que 80% des anciens ministres sont aujourd’hui à l’UPR ou dans l’antichambre de ce parti. Sa « majorité ». Certes, ils ne sont pas revenus au gouvernement mais ils sont ambassadeurs, conseillers, directeurs de « quelque chose » ou présidents de conseils d’administration. Il oublie les chefs de tribus. Il s’oublie. Exactement comme quand il parle de ces pères de familles (harratines) négligents, ne pouvant pas encadrer convenablement leurs progénitures.

Aziz a parlé

De chiffres. Du budget qui a doublé (toujours entre 2007 et maintenant) mais pas des prix qui ont été multipliés par cinq au cours de cette période. Il a parlé de la dette intérieure du pays ramenée à des proportions « acceptables » grâce à la diminution du taux d’intérêt (passé de 14% à 4%), mais aucun mot sur la dette extérieure de la Mauritanie qui a atteint aujourd’hui le seuil critique de 4 milliards de dollars US. Même Taya, vu par l’ancien chef de ses « janissaires » comme le symbole de la gabegie, n’a pas réussi un tel « exploit ». L’emprunt sans vergogne, orchestré par le ministre Ould Tah, et après lui par Ould Rayess et Ould Diay, l’APD et les ressources providentielles tirées de l’exploitation du fer, de l’or et du cuivre comptent-ils pour des miettes aux yeux d’un gouvernement fanfaron ? Des milliards de dollars investis, « sans études » dans des projets dont certains se sont avérés par la suite des éléphants blancs : Ribat El bahr, la fameuse ville touristique de 50000 habitants, la zone franche de Nouadhibou, dont se plaignent aujourd’hui les habitants de la capitale économique, Chami, la ville fantôme, la grande mosquée de Nouakchott qu’on attend depuis 2009 et qui ne verra le jour que quand la cité « Nejah » surgira sur l’aire de l’ancien aéroport international de Nouakchott…

Aziz a parlé.

De la démocratie « qui se porte à merveille » ! Alors que lui qualifie ses opposants d’ennemis de la nation, de « menteurs » et de…vauriens ! C’est ce que j’ai compris quand il a dit que le gouvernement agit et l’opposition « s’occupe » en parlant. Une démocratie qui soigne ses plaies par un dialogue sans cesse renouvelé. Aziz a dit qu’il y en aura un « dans quatre semaines, au plus ». Un dialogue prêt-à-porter quoi. Je vous ai dit qu’il faut craindre le rais quand il se prend trop au sérieux. Il a même annoncé quelques « menus » déjà au frigo et qu’il faudra réchauffer le moment venu : dissolution du sénat-gazra et création de conseils régionaux. Il ne s’agit pas de « propositions » mais de décisions déjà entérinées. Aziz l’a dit et il dispose des moyens nécessaires pour le faire : SA majorité et SON opposition. Pas celle qu’il qualifie de tous les mots et maux. Cette dernière peut venir, « merehba » (bienvenue) ou rester (tant pis).

Aziz a dit.

Il n’y a pas de prisonniers d’opinion. Biram et Brahim, emprisonnés pour avoir affirmé que l’esclavage foncier existe (et marché pour le dénoncer) sont considérés alors comme quoi ? Des meurtriers ? Des voleurs ?

Aziz a parlé.

De la constitution et c’était le moment fort de son discours. La constitution, « qui n’est pas le Coran » sera bien changée. Alors l’appel des « ministrés » Ould Diay et Ould Daddah n’était pas une sortie hasardeuse. Ils préparaient le terrain à ce fameux discours de Néma. D’ailleurs, le président a même repris, sur le ton de l’humour, le propos de l’un d’entre eux.

L’on comprend en écoutant Aziz parler de la « nécessaire » dissolution du sénat, un « copier-coller » dont l’on se rend compte maintenant, et de la création de conseils régionaux, que ce sera le loup dans la bergerie. Les changements au nom de la décentralisation sont loin d’être innocents. Quand on déplace une brique, on peut être obligé de toucher les autres. La constitution est une structure dont les éléments sont solidaires. Il ne s’agit pas de juxtaposition de lois et d’articles. La décentralisation renforcera les pouvoirs du Premier ministre. On peut alors se retrouver dans un contexte comme celui de 1981, avec Haidalla, pour ne pas avoir à aller chercher la pirouette politique du « je quitte tout en restant » dans la Russie de Poutine ou la Turquie d’Erdogan. J’avoue cependant que si c’est la voie que choisira Aziz, il restera dans la légalité. Du point de vue forme, pas du fond. Et ce sera un moindre mal.

Mais s’il décide de forcer la porte du troisième mandat ? S’il s’abrite derrière « c’est le peuple qui cherche à garantir la pérennité de sa démocratie » ? C’est le peuple qui veut. Qui peut.

Aziz a-t-il voulu aller dans ce sens quand il a blâmé une opposition qui appelait à son « rahil » (départ), alors que, disait-il, j’ai été élu par le peuple ? Dans la bouche d’Aziz, « le peuple décide » a la même valeur que la « fronde » qui avait fini par emporter Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi en 2008. A Néma, le signal a été donné et le Bataillon Civil au Service du Président, conduit par Ould Maham, peut commencer les manœuvres. Une nouvelle « Rectification » est en marche.

 

 

 

 

 


Visite de Néma : la revanche de Taya∗

L’ancien président Taya (1984-2005)

Gens de Néma (et du Hodh Chargui), détrompez-vous ! L’intérêt que vous accordent les hommes politiques de la « majorité », particulièrement le parti (non) au pouvoir, l’Union pour la République (UPR), la radio, la télévision officielle, l’agence mauritanienne d’information, la presse officieuse, « peshmergas » en tête, les intellectuels et même vos élus, est factice. Aujourd’hui est comme hier.

C’est seulement parce que le président a décidé de se rendre dans votre région, comme ci, comme ça, que les autres vous envahissent. Que les regards se tournent vers vous. Que la vie s’arrête à Nouakchott. Et dans tout le pays. Que vous êtes subitement dans toutes les bouches. Vous revivez non pas par vous, pour vous, mais par le président et pour lui. Vous devenez le centre de tout. Vous n’êtes plus « l’est du pays ». Ce « Charg » que certains désignent avec un manque de condescendance. A tort, bien sûr. La TVM ouvre son « journul » sur vous.

Pour une fois, elle parle de vos problèmes d’eau, d’électricité, de santé et d’éducation. Elle les découvre à l’occasion de la visite et les oubliera après elle. Elle parle de votre vie. Ou plutôt de votre survie. Du déjà vu, déjà entendu. Projet «Dhar », usine de production de lait, (dé)routes, « couranh ». La route du (dés)espoir devient sujet de reportages. De colportages. Prétexte pour dire que ce gouvernement-là a changé la Mauritanie.

Le peuple se mobilise pour réserver au président « fondateur » un accueil grandiose. Même Mamane est dépossédé ! Ici, à Nouakchott, l’administration se démobilise. Les « buroh » sont vides. « Ministrés » de la wilaya, directeurs et conseillers sont déjà sur place pour préparer la visite. Tout celui qui croit avoir une petite parcelle de pouvoir se sent concerné, obligé. Tout celui qui pense pouvoir tirer un profit quelconque de cet événement considère Néma comme sa nouvelle Mecque. C’est là-bas où il pourra approcher ces responsables en mal de reconnaissance.

Comme du temps de Taya, Néma ravit la vedette à Nouakchott. Le temps d’une visite. Des « visitations » qu’Aziz connait bien puisqu’il était toujours de la partie quand il assurait la protection de l’autre. Avant de le « putscher ». Il sait que les hommes politiques, les notables, le peuple même, jouent. C’est une mise en scène bien connue. Le peuple vous soutient. Tant que vous êtes au pouvoir. On vous admire, on loue vos réalisations. On vous mythifie. L’histoire a commencé un certain 06 août 2008. La « Rectification ». Le 05 août 2005, c’est déjà de la préhistoire puisque que la gloire ne se partage pas. 2005, c’était une junte qui disait avoir agi pour le peuple; 2008, c’est un homme qui a agi pour garder la main.

 

Aziz en visite à l'intérieur du pays (Photo : AMI)
Aziz en visite à l’intérieur du pays (Photo : AMI)

A Néma, on vivra donc avec Aziz tout ce que cette ville réservait à Taya, l’homme du 12/12. Grande mobilisation. Défilé de méharistes et de cavaliers. Youyous et klaxons de voitures de toutes les marques et de toutes les couleurs. Poussière. Sueur. Bousculades pour tendre la main. Se plier et supplier. Il faut bien que la télévision montre le responsable saluant le Rais, sinon, il aura fait 1200 km pour rien ! Il faut saluer Aziz comme on saluait Taya. Lui tendre la fameuse lettre de doléances. L’occasion est unique. Elle ne se présente qu’une fois par an. S’il faut demander qu’un cadre soit nommé ou qu’un autre soit dénommé, c’est maintenant ou jamais. C’est pas la peine de demander un puits, une école ou un poste de santé. A quoi serviraient alors nos chers « dépités », nos « oumda » (maires) et autres « choukoukh » (sénateurs) ? Il faut bien que nos « mountakhaboun » (élus) méritent leurs salaires et les privilèges afférents.

Gens de Néma, vous êtes les premiers à savoir que ce « cinémah » ou « tiather » (théâtre), comme on dit dans notre parler français hassaniya, ne dure que le temps de la visite. Demain, vous retrouverez votre vie de tous les jours. La télévision ne vous montrera que pour dire que le président était passé par là. Vos élus retrouveront leurs villas cossues de la capitale. Les « peshmergas » ne seront plus là pour dire qui a réservé le meilleur accueil au Rais. Vous avez payé l’instant pas l’éternité. Les milliers de personnes qui ont quitté Nouakchott et les wilayas voisines (Hodh El Ghargi, Assaba) retourneront chez eux et oublieront jusqu’à votre existence. Ne restera alors que cette vérité là : la visite du 05 mai 2016 n’a rien de différent de celle de mars 2015. Ou de celle que Taya avait effectuée, dans un décor similaire, un certain 05 mars 1986…Le fait que la fameuse soirée artistique où l’on mange, boit, chante, danse et loue les « réalisations » du Guide à travers des poèmes du dernier « cri » en hassaniya, en arabe pur et même en hindou, ne sera au programme n’y changera rien. Avec ce genre de visite, Taya tient sa revanche.

* Président de la Mauritanie entre 1984 et 2005.


La fièvre de l’or s’empare des mauritaniens

En Mauritanie, personne ne parle plus de cette fichue « bolletig¹ ». La visite que le président Aziz compte mener dans la wilaya du Hodh Chargui, d’où partent généralement tous les appels « historiques », n’intéresse plus personne. Le dialogue politique (inclusif ou exclusif) est devenu une banale discussion de salon. L’actu de l’heure, celle qui est dans toutes les bouches, qui crée une effervescence telle qu’on en a jamais vu en Mauritanie est celle de l’or que des citoyens ont ramené de la zone de Tasiat où opère, depuis 2010, la société canadienne Kinross. Reportage.

 

Chercheur d'or (Crédit photo : elhourriya.net)
Chercheur d’or (Crédit photo : elhourriya.net)

Ils entendaient parler de l’or sans croire en lui. Parce qu’ils ne le voyaient pas. Ne sentaient pas son apport dans une économie exsangue. Ils se disaient que c’est un mirage; une histoire entre l’Etat et la société canadienne Kinross, propriétaire de la mine d’or de Tasiast, située à 250 kilomètres au nord de Nouakchott. Les milliards qu’évoquent les journaux et sites ne leur disaient rien puisqu’ils ne les voyaient jamais. L’or était vendu ailleurs, loin de leurs regards et de leur envie. Kinross gardait sa part (97%) dans ses comptes domiciliés à l’étranger et ne retenait que le « minimum vital » pour faire tourner sa mine. Son business. L’Etat, lui, était ravi de ses revenus de 3% qui, convertis en ouguiyas, faisaient quand même quelques milliards ! Une manne qui lui permet de financer certains projets, sans parler de la « part du lion », celle des généraux et des hauts responsables qui couvrent les exactions commises par Kinross. La SEC américaine (Securities and Exchange Commission) a mené une enquête à ce sujet mais les mauritaniens attendent toujours ses conclusions.

Mais le vrai changement est intervenu il y a un mois. Quand on a commencé à parler de citoyens qui ont découvert de l’or en Inchiri ! Cette région où se trouve justement la société Kinross. Ce fut alors la ruée. On parle de 100 000 mauritaniens atteints par la fièvre de l’or. Quelques 16 mille demandes d’autorisations seraient actuellement en instance à la Société mauritanienne des hydrocarbures et du patrimoine minier (SMHPM).

À Nouakchott, c’est donc un « weilemak yel warrani² » qui s’est emparé d’une jeunesse désœuvrée et prête à tout pour sortir de la précarité. Le chômage atteint le seuil critique de 33%, selon les données les plus récentes de la Banque mondiale. Le gouvernement parle lui, on ne sait par quel effet de magie de 10% seulement ! Différence de perception sans doute. Et de motivations.

Toujours est-il que beaucoup de jeunes ont déjà pris la route de l’Europe et de l’Amérique. Au péril de leur vie. Maintenant qu’on leur dit que l’or est à 300 km au nord de Nouakchott, ils reprennent espoir. Ils croient en leur fortune. Ils n’hésitent que le temps de constituer une équipe, de dénicher le fameux appareil détecteur du métal jaune, dont le prix est passé en l’espace de quelques jours, de 500.000 UM à 1.500.000 UM ! Les commerçants qui ont flairé le coup les premiers ont déjà tiré profit de cette ruée vers l’or qui a aussi profité aux agences de location de voitures. Les tout-terrains sont pris d’assaut à 50.000 UM (125 euros) la journée et Nouakchott, en ces jours de fièvre de l’or, me rappelle les villes japonaises où ne roulent que les petits modèles.

 

L’Etat lève l’interdiction

 

Campement de chercheurs d'or (crédit photo : elhourriya.net)
Campement de chercheurs d’or (crédit photo : elhourriya.net)

L’Etat a voulu contenir dans un premier temps ce mouvement des populations qui s’effectue de Nouakchott vers la zone tampon entre les wilayas de Nouadhibou et de l’Inchiri. Ce grand désert où l’on se perd facilement et où aucun point d’eau n’existe. Il a voulu surtout protéger les intérêts des sociétés étrangères qui ont déjà des permis d’exploration/exploitation de l’or en Mauritanie (Tasiast et MCM).

Des unités de la gendarmerie nationale ont alors intercepté des groupes d’aventuriers qu’elles ont dépossédé de leur matériel et contraint à rebrousser chemin. Mais l’ampleur du phénomène était telle qu’elle faisait courir à l’Etat un risque de soulèvement. Nouakchott bruit de ces histoires de personnes devenues subitement riches et chacun voulait aller, voir et revenir avec des kilogrammes d’or. Journaux, sites et télévisions sortaient même quelques « cas ». La rumeur devient réalité. L’or existe. Ou plutôt : on peut l’avoir avec des moyens rudimentaires. Car Tasiast l’exploite depuis 2010 et prétend vendre une production de 250000 onces par an. Certains pensent qu’elle produit largement plus que ce qu’elle déclare à un État ne disposant d’aucun moyen de contrôle.

Et puis, il y a eu ce revirement spectaculaire. L’Etat décide de légaliser l’orpaillage. Sans doute avait-il vu que cette recherche traditionnelle de l’or existe dans plusieurs pays de la sous-région (Mali, Burkina, Guinée). Il faut seulement que les domaines réservés (les permis d’exploration délivrés à des sociétés étrangères) soient protégés pour ne pas enfreindre aux lois garantissant les investissements. Les chercheurs d’or doivent également être munis du matériel nécessaire et payer 100.000 UM à la SMHPM contre un permis valable quatre mois. Et, en cas de découverte, le produit doit être vendu à l’Etat qui s’est empressé de mettre en place une commission chargée de cette opération.

Cette sortie du gouvernement, par la voie du ministre du Pétrole, de l’énergie et des mines, Mohamed Salem Ould Béchir, a fini par convaincre les sceptiques que cette histoire de l’or découvert par de simples citoyens n’est pas une blague comme les mauritaniens savent en créer, surtout dans le domaine politique et social.

1. Politique

2. Gare au dernier.

 


Autour d’un thé :  » à partir de maintenant, sont nommés ministres… »

Mauritanie: Conseil des ministres (Photo: AMI)
Mauritanie: Conseil des ministres (Photo: AMI)

A partir de maintenant, sont nommés ministres les personnes dont les noms suivent… Je le fais illico, parce-que, moi, Président fondateur, j’ai besoin d’aller me reposer un peu, quelque part vers Francfort ou Raq’aa, histoire de respirer un peu, après nombre de mois d’intenses activités en tout genre. Deux semaines loin de vous, ça ne peut que faire du bien. Quoique, bien entendu, je ne suis jamais si loin de vous. Le Président fondateur ne s’éloigne pas : il bouge. Il ne voyage pas : il se déplace. Il ne vole pas : il prend un peu pour lui. Il ne change pas la Constitution : il la reformule. Il ne vend pas le domaine public : il l’attribue.

C’est ça que les gens de l’opposition – ou, pour ne pas mettre tout le monde dans le même sac, les gens d’une certaine opposition – ne comprennent pas. Le Président fondateur est intelligent. Il nomme un tel pour quelque temps. Le temps de voler. Astaghfiroullah*. Le temps d’améliorer sa situation. Puis il le dénomme. Le temps que ce dernier médite les bienfaits du Président fondateur, et le temps d’aller manger, tranquillement, ce qu’il a volé. « Pa’don », comme disent les Ivoiriens, ce qu’il a pris. Le temps d’aller fidéliser les gens de sa tribu aux vertus et valeurs du Président fondateur, en attendant que celui-ci repense de nouveau à lui. « Repenser de nouveau », oui, ça se dit.

Quand on voyage tous les trois ou quatre jours, comme le fait le Président fondateur, c’est « revoyager de nouveau », à tort et à travers. Sans raison. Imaginez un peu ce que les voyages de Président fondateur représentent en termes d’argent : kérosène pour l’avion et indemnités de déplacements aux ministres, conseillers et autres petits gnama-gnama, intrinsèques aux voyages présidentiels. Et puis, pardine, l’argent de poche du Président fondateur. Qui ne sait plus, soit dit en passant, quoi faire avec certaines personnes. Il laisse les ministres longtemps en place ? Oh lalala, ce président ne sait pas remanier ! Il les change au bout de trois à quatre semaines ? Oh lalala, ce président ne sait que faire danser les ministres !

La tête du Président se noue*. Alors, il se roule par terre, comme l’imam des autres. La Société nationale industrielle et minière* (SNIM). Marché Capitale*. Tripatouillage. Quels rapports ? Le propre d’une séance de thé est que tout passe autour. Entre la chute du fer et l’assainissement de Nouakchott, il y a quoi ? L’eau, le fer, les immondices. Comme ça, la SNIM va marcher. Cahin-caha. Sans qu’on sache dans quelles poches sont passées ses centaines de milliards. Imaginez un peu : si Président-fondateur ne connaissait pas très bien la SNIM et tout ce qu’il y a dedans, tout ce qu’il y a dehors, ça allait chauffer. Comme les autres grosses affaires d’emprisonnement de personnalités, avec force commentaires sur la volonté de Président-fondateur de lutter imparablement contre la gabegie. Mais, comme nous le rappelle si bien l’adage populaire « si ton dîner est dans la même calebasse que celui d’autrui, s’il essaie de le renverser, ne le laisse pas faire ». On peut paraphraser, ce n’est pas interdit. La chute des prix du fer. Le réinvestissement de l’argent de la SNIM.

La gestion de la grève. Toute cette argumentation, toutes ces manœuvres, nous sommes des « classes », comme disent les militaires. Justement. Nouveau général de brigade. Félicitations. Général simple. Général de division. Général de corps d’armée. Un bon paquet pour une bonne rectification ou un bon réajustement constitutionnel. Les noms ne manquent pas. Tout est dans la tête. Celui qui a donné plus d’un milliard « dans » le Marché Capitale a la « tête cassée ». Un ventre de patron et quelques boutiques en décrépitude dans les environs, c’est pas si important que ça. Aéroport international de Nouakchott. Route à péages de Boutilimit. Salle de conférence de la prochaine réunion de la Ligue arabe. Il faut bien qu’on les donne à quelqu’un. Pas à des Chinois quand même ! S’il vous plaît, soyons sérieux. Ce que je n’ai pu avoir que mon frère l’aie ! C’est la devise des bonnes gens. Et puis, il y en a pour toutes les bourses. Les monuments publics à « vandr » (la Semaine de la francophonie est finie non ?). Le marché d’impression de la nouvelle Constitution. Piètres ministres. Salut.

Sneiba El Kory (Le Calam)

 

* Astaghfiroullah – cette expression est utilisée pour demander pardon à Allah.

* La tête du Président se noue – être préoccupé (traduction de l’expression hassaniya « ertbat rassou »)

* SNIM –  acronyme de « société nationale industrielle et minière », c’est la plus importante entreprise en Mauritanie (elle exporte 13 millions de tonnes de fer/an).

* Marché Capitale – c’est le plus grand marché de Nouakchott, capitale de la Mauritanie.


Pour un troisième mandat

« En vérité, Allah ne modifie point l’état d’un peuple, tant que les (individus qui le composent) ne modifient pas ce qui est en eux-mêmes. Et lorqu’Allah veut infliger un mal à un peuple, nul ne peut le repousser et ils n’ont en dehors de Lui aucun protecteur. » (sourate Ar Ra’d verset 11)

Le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz (Photo : AMI)
Le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz (Photo : AMI)

Je vous étonnerais peut-être en vous avouant que je suis pour un troisième mandat du président Mohamed Ould Abdel Aziz ! Et j’ai mes raisons. Certes différentes de celles qu’ont avancées trois de ses « ministrés ».

Je pense, moi, que si nous voulons que la Mauritanie change (en bien), il faut qu’elle soit encore confrontée avec plus de problèmes. Je choque peut-être. Je dis même des bêtises. Je passe pour un sadique qui jouit de la souffrance des autres. Je suis condamnable donc.

Nos vingt ans de souffrance avec Taya n’ont pas fini de nous transformer. On avait pourtant dit, au lendemain du changement du 03 août 2005, « plus jamais ça ». C’est-à-dire que nous n’accepterions plus de dictature, d’injustice, de dilapidation de nos ressources, de clientélisme, de règne de la médiocrité, de dosages tribalo-régionalistes, de menaces qui pèse sur notre unité nationale, d’immixtion de l’armée dans les affaires politiques. De « démogâchis ».  les anciens soutiens de Taya retournés contre lui, comme par miracle, avaient œuvré avec ses opposants pour mettre en place de nouvelles institutions censées nous garantir une démocratie qui, si elle n’était pas parfaite, se devait d’être « acceptable » à l’aune de ce qui se vit dans des pays comme le Sénégal et le Bénin. On était loin de penser que tout ce beau monde ne faisait qu’entrer dans un nouveau jeu, dans notre chère « bolletig » pour régénérer le Système.

La corruption de notre élite politique est à l’origine de nos problèmes depuis que les militaires ont pris goût au pouvoir un certain 10 juillet 1978. Leur complicité est évidente, même si les politiques tentent à chaque fois de rendre l’armée responsable d’une gestion économique dont l’instrument de planification et d’exécution se trouve être cette élite qui s’adapte à toutes les situations.

La corruption de l’élite politique a aussi resurgi sur le peuple qui ne comprend plus que le langage du pouvoir, du rapport de force. Tribus, régions, et personnalités qui comptent acceptent rarement le sacrifice pour l’intérêt général. Chacun évite d’être du « mauvais » côté (opposition). On entre même en compétition pour gagner sur tous les plans, être aux meilleures loges (nominations, marchés, privilèges, etc).

Dans un tel contexte, il faut que nos maux atteignent leur apogée pour que nous nous décidions à changer. Je dis souvent que le pauvre n’appréhendera la nécessité de s’opposer à un pouvoir qui le tue à petit feu que le jour où le riz, l’huile, la viande et le poisson seront hors de portée. Aujourd’hui, on est sur la « bonne » voie pour atteindre ce seuil critique mais il faudrait peut-être prolonger le règne du Roi Aziz pour que la nécessité de mettre un terme aux pouvoirs dictatoriaux se fasse sentir non pas chez l’opposition et une certaine élite mais au niveau du peuple. Non pas de façon circonstancielle mais pour toujours. Un troisième mandat est donc nécessaire pour arriver à cette « maturité » dans la réflexion conduisant à chasser un pouvoir par les urnes (comme les Sénégalais l’avaient fait pour Wade) ou, à défaut, par la rue, comme cela est arrivé en 2011 en Tunisie.