Les leaders d’IRA sortent de prison : les dessous d’une libération

17 mai 2016

Les leaders d’IRA sortent de prison : les dessous d’une libération

Biram et Brahim, président et vice-président d'IRA (photo : alakhbar)
Biram et Brahim, président et vice-président d’IRA (photo : alakhbar)

La Cour suprême a prononcé ce 17 mai le verdict tant attendu. Un verdict qui met fin à l’incarcération de Biram Ould Dah Ould Abeid et Brahim Ould Bilal Ramdan, respectivement président et vice-président de l’Initiative pour la Résurgence d’un mouvement Abolitionniste en Mauritanie (IRA), organisation non reconnue.

Cette libération met fin à un emprisonnement qui, sans être le premier dans la vie des leaders d’IRA, a été considéré par bon nombre d’observateurs comme éminemment politique. L’Ambassade des Etats-unis à Nouakchott a été la première à saluer cette libération et à réaffirmer son soutien à IRA.

Le motif évoqué par les autorités, lors de l’arrestation de Biram, Prix des droits de l’homme de l’Onu, en 2013 et de Brahim, il y a 16 mois, était due à leur participation à une marche contre l’esclavage foncier, partie de Boghé pour arriver à Rosso, 193 kilomètres plus loin, sur la route reliant ces deux villes de la Vallée du Fleuve Sénégal.

Incarcérés d’abord à Rosso, puis à Aleg, ils ont fini par être transférés à Nouakchott. Un long bras de fer a alors commencé avec les autorités qui, sous la pression conjuguée des manifestations organisées par les militants d’IRA chaque mercredi, et des appels des chancelleries occidentales présentes à Nouakchott, auraient tenté d’accorder aux deux encombrants détenus une liberté provisoire. Les leaders d’IRA m’avaient déclaré, lors de la visite que je leur avais rendue en prison, il y a trois mois, que l’acceptation d’une liberté provisoire équivaut à celle de tout le processus antérieur, entaché d’irrégularités.

 

Pourquoi le pouvoir lâche du lest ?

 

Biram entouré par des éléments de sa sécurité
Biram entouré par des éléments de sa sécurité

D’aucuns s’interrogent sur les mobiles qui ont poussé le pouvoir à libérer ces deux militants anti-esclavagistes.

La libération intervient à deux semaines du « discours de Néma » prononcé par le président Aziz et dont la partie concernant l’esclavage et ses séquelles a encore échauffé les esprits des Harratines, qui revendiquent représenter au moins 45% de la population du pays. Appelés de manière à peine voilée à une limitation des naissances, leur croissance démographique commence à gêner. La libération de Biram et de Brahim peut-elle apaiser un climat très tendu ? Rien n’est moins sûr.

On peut aussi considérer que l’arrestation du président d’IRA et de son adjoint avait pour seul objectif de les empêcher de perturber, à l’étranger, l’EPU (Examen périodique universel) de la Mauritanie, passé à Genève, en novembre 2015 avec des résultats mitigés.

Le dernier passage en Mauritanie de Philip Alston, rapporteur spécial des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme a tellement exacerbé le régime de Nouakchott qu’il pourrait avoir joué en faveur de cette libération. Ce passage du communiqué publié à l’issue de cette visite a soulevé un véritable tollé au sein de l’élite maure : « les harratines et les négro-africains sont systématiquement absents de toutes les positions du pouvoir réel et sont continuellement exclus de nombreux aspects de la vie économique et sociale. Ces deux groupes représentent plus de deux tiers de la population, mais diverses politiques servent à rendre leurs besoins et leurs droits invisibles. »

Les dénonciations continuent encore à fuser d’organisations non gouvernementales proches du pouvoir, voyant dans le propos du responsable onusien une façon d’attiser la haine entre les communautés nationales qui, depuis l’indépendance du pays, font du partage du pouvoir une question essentielle.

Toujours est-il que, dès leur sortie de prison, les deux leaders d’IRA ont réaffirmé leur volonté de continuer la lutte contre l’esclavage et l’injustice. La lettre écrite par Biram, à la veille du verdict de la cour suprême, était même une sorte de provocation et une manière de dire que la prison n’a fait que raffermir sa position : « Je puis t’affirmer ici, à toi et à la clique qui te sert de laudateurs, que je n’attends rien de toi,  ni avant le 17 mai 2016, ni pendant cette journée là et encore moins après.  Je ne me sens pas concerné par tes verdicts que je ne reconnais pas. Alors, que ce soit deux ans, dix ans ou vingt ans, il n’y aura d’alternative à la confrontation, à l’intérieur ou à l’extérieur de la prison. Nous proposons et Allah dispose. »

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