Mohamed SNEIBA

Mauritanie : La crise, notre « normalité »

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Marche de l’opposition à Nouakchott (Photo : réseaux sociaux

Cette fois, c’est clair : Aziz a bien dit qu’il ne briguera pas un troisième mandat. Mais a-t-il vraiment dit qu’il quittera le pouvoir ? L’opposition continue à ne pas croire un président qui a chaque fois joue et gagne. En 2005, les militaires qui avaient renversé le président Taya, Aziz en tête, avait déclaré qu’ils laisseront le pouvoir aux civils, à la fin d’une transition militaire de 24 mois, finalement ramenée à 19. Le colonel Ely, le président de cette transition qui, on l’apprendra plus tard à nos dépends, était une partie de poker menteur, a bien cédé la présidence au premier président « démocratiquement élu », Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, mais Aziz est resté. De son poste de chef d’Etat-major particulier du président, mais surtout de commandant du fameux BASEP (Bataillon de la sécurité présidentielle), il assurait en fait une « gouvernance par procuration » sur tout le pays. Première trahison. Et l’on connait la suite. Sidioca qui a voulu exercer son mandat à plein temps a été renversé au bout de quinze mois par le duo Aziz-Ghazouani qui avaient à leur solde le « bataillon civil » des élus de la majorité. Ce qu’on avait appelé à l’époque, la « fronde » parlementaire n’était en fait qu’une tentative de coup d’Etat déguisé finalement rondement mené par le général Aziz. Mais ceci est de l’histoire ancienne.

Aujourd’hui, la crise est toujours là. Aziz a joué depuis pour se maintenir au pouvoir mais il n’a jamais réussi, réellement, à vaincre une opposition qui, malgré les nombreuses défections, continue à lui donner du fil à retordre. La marche et le meeting du 29 octobre dernier en était la parfaite illustration. Elle rejetait les conclusions d’un dialogue « national » mené entre la majorité et une partie de l’opposition assimilée, à tort ou à raison, aux soutiens du président Aziz.

L’opposition qui est sortie dans la rue tire sa force de la faiblesse d’une majorité mise au pas. Les changements proposés durant le dialogue relève des caprices. Deux bandes rouges à ajouter au drapeau national, l’hymne national à changer, le sénat à remplacer par des conseils régionaux et les pouvoirs du président de la République à étendre. C’est finalement ce dernier point qui fait douter de la bonne foi du président Aziz : comment un président qui s’apprête à quitter le pouvoir s’ingénie-t-il à renforcer les pouvoirs de son successeur ?

Ainsi, le dialogue national « inclusif » (ou exclusif) n’est que l’Acte I d’une tragi-comédie politique, comme savent les vivre les mauritaniens. La marche de l’opposition, aussi imposante soit-elle, n’empêchera pas le pouvoir de mener jusqu’au bout son plan de contrôle des affaires de l’Etat. Le référendum devrait se tenir le plus vite possible parce que, le processus est long. Et si, comme le pense l’opposition, le président Aziz manœuvre pour ne pas quitter le pouvoir en 2019, les trois ans qui nous séparent de cette échéance serviront à mettre en place un système régénéré qui pourrait faire passer les pouvoirs du président de la République à un Premier ministre qui, dans ce cas de figure, ne sera qu’Aziz lui-même.


Présidentielles US : Ce sera Hillary…ou un ouragan de l’ampleur de Katrina

Les deux candidats à l'élection présidentielle américaine Hillary Clinton et Donald Trump. RFI/ REUTERS/

En novembre prochain, les Américains éliront leur 45ème  président. Une présidente est une hypothèse hautement probable.

Une élection aussi singulière que celle de 2007 qui a fait de Barack Obama le premier Noir à la Maison Blanche. C’est parce que l’Amérique aime les symboles forts qu’Hillary Clinton a toutes les chances de devenir, dans un mois, la première femme à diriger la première puissance mondiale. Je sais qu’en politique, il ne faut jurer de rien mais les Républicains seront vaincus pour n’avoir pas livré bataille. Ce sera une élection par défaut.

Le tort des Républicains est d’avoir laissé le champ libre à Donald Trump, un candidat qui, en temps normal, n’aurait même pas dû dépasser le stade des primaires. Bien qu’étant vu comme le « parti du business », dès 1896, avec l’arrivée à la présidence de William McKinley, la formation de l’éléphant pâti aujourd’hui de ce qui est considéré comme son péché originel : être à la fois progressiste, capitaliste et puritain. C’est ce mélange détonnant qui a joué en faveur d’un Donald Trump non compartimenté, jouant parfaitement sa partition sur tous les tons. Pour faire perdre aux Républicains, dominant les deux chambres du Congrès, une présidentielle qu’ils devraient pourtant gagner en toute logique.  S’ils n’avaient manqué de discernement, préalable à toute stratégie. Ils ont pris du temps pour tenter de barrer la route à Trump alors que les prétentions présidentielles de l’homme ne datent pas d’aujourd’hui. Le fait de n’avoir pas agi avec tact pour l’arrêter, par tous les moyens, y compris les moins orthodoxes, dès les primaires, est une capitulation qui livre la Maison Blanche à des Démocrates soucieux de rétablir les grands équilibres avec des adversaires politiques historiquement mieux implantés. Cet équilibre qui veut que les deux principaux partis américains se neutralisent quand aucun d’eux ne parvient à faire une OPA complète sur la Maison Blanche et le Congrès. De nombreux Républicains estiment improbable que Donald Trump batte la démocrate Hillary Clinton à la présidentielle de novembre, et cherchent désormais à sauver les meubles : garder la majorité au Congrès, et préparer l’élection de 2020.

Les Républicains jouent donc sur les apparences. Trump est l’un des leurs mais…une distanciation révélée aux Américains et au monde par le nombre exceptionnel d’absents lors de leur Convention du 22 juillet 2016. Aucun Bush, ni Mitt Romney, ni John McCain, ni même le gouverneur de l’Ohio John Kasich. « C’est sans précédent dans l’histoire récente des conventions », avait dit Robert Boatright, professeur de sciences politiques à l’université Clark dans le Massachusetts.  Lauric Henneton renchérit : « La fonction même de la Convention est de participer à la présidentialisation d’un candidat parmi d’autres en le candidat du parti tout entier, des deux côtés. La première fonction de la Convention c’est le rassemblement, le passage d’une période de divisions internes, qui peuvent être particulièrement violentes, à une unité au moins de façade, face à un adversaire pour qui la situation est exactement la même, sauf en cas de président sortant. Pour Trump, il est clair que beaucoup ne le voient pas en président ».

Le problème de Trump c’est de peiner, à un mois de l’échéance fatidique, de se présenter en rassembleur, notamment pour convaincre les plus sceptiques, mais aussi de démontrer qu’il a les qualités nécessaires à la fonction présidentielle.

Malgré donc ses problèmes de santé, rappelés aux Américains par son récent malaise, Hillary passe devant Trump, sauf perturbations de l’ampleur du cyclone Katrina, l’un des ouragans les plus puissants de l’histoire des États-Unis. On avait pourtant pensé que le nom qu’elle porte (Clinton, 42ème président des USA, de 1993 à 2001) allait être un sérieux handicap pour elle, comme ce fut le cas, côté Républicains, pour Jeb Bush, fils et frère d’anciens occupants de la Maison Blanche.

Oui, si le candidat en face n’était pas le fantasque Donald Trump, un homme qui fait peur plus à ses amis qu’à ses ennemis ! L’homme va à la présidentielle comme dans une partie de perd-gagne. Il met en avant sa personne et non le destin d’un pays, ni celui du monde. Face à tant de désinvolture, il est difficile de croire que les Américains prennent le risque de plonger le monde dans une période d’incertitude équivalent aux quatre ans que Trump pourrait passer à la Maison Blanche.

La présidentielle de novembre se jouera donc entre la santé d’Hillary Clinton et la folie de Trump. Le mal et le pire.


Ma vie ne regarde que moi (4)

ma-vie-ne-regarde-que-moiCependant, Lahi trouvait des excuses à Fatiha. Il l’aimait encore follement. Il se disait, par exemple, que le monde d’Adelaïde était moins trouble, troublé, que celui dans lequel il vit; et que les circonstances favorisaient plus les incompréhensions sentimentales. Submergée par les objets de la modernité, Fatiha avait toujours besoin d’argent. De beaucoup d’argent. Et quand Lahi ne pouvait lui donner les sommes de plus en plus importantes qu’elle réclamait pour les mariages, les baptêmes et autres rencontres mondaines entre amies, elle se rabattait sur d’autres hommes qui n’attendaient qu’un geste de sa part pour satisfaire ses désirs les plus fous. Adelaïde luttait pour la survie, Fatiha vivait pleinement et intensément, comme si elle avait rendez-vous avec la mort dans l’instant d’après.

Lahi se surprend à envier Hyppolite. Un homme qui avait été aimé pour lui-même. Désiré pour son être et non pour son avoir. Il estima moins la différence de temps et de l’espace entre lui et ce personnage de roman que la similitude de caractères entre deux hommes séparés par un siècle et des milliers de kilomètres. Il se surprend, contrairement à Emma dans Madame Bovary, en train de rêver cette vie débarrassée des aléas d’une modernité factice.

Lahi attribuait tous ses échecs au symbolisme de son nom qui signifiait en hassaniya « je vais faire ». Une multitude de projets restés à l’état de projet par le fait de ce qu’il considérait, avec forte conviction, comme une malédiction. Il voulait devenir un grand spécialiste du droit et non un professeur de français n’arrivant pas à joindre les deux bouts. Il regrette aujourd’hui d’être rentré de France après avoir eu l’occasion, à ses vingt-quatre ans, de pouvoir vivre dans ce pays dont la culture et la langue n’ont aucun secret pour lui. Il y a vingt ans, Lahi ne pensait pas devoir regretter une décision prise en toute âme et conscience, et dictée par le désir ardent de réussir sa vie dans son propre pays, pas en exilé économique.

Mais comme Emma, Lahi se surprend à rêver d’une vie autre, dans  cette France du dix-neuvième siècle merveilleusement peinte par Flaubert et Balzac. Dans son esprit frustré par tant d’échecs, sur le plan sentimental et professionnel, les traits de Fatiha deviennent ceux d’Adelaïde. D’abord flous, ils finissent par encombrer sa vue lui faisant tendre le bras pour toucher un visage qu’il voyait maintenant distinctement.

L’effet de la lecture de La Bourse sur Lahi était vraiment inattendu. Il avait lu cette nouvelle dans le but d’aiguiser sa sensibilité à l’écriture et il se retrouve, en fin de compte, à comparer son être à celui d’Hyppolite Scheinner, le héros de cette histoire sentimentale. La redécouverte de ce personnage le plonge encore plus profondément dans sa conviction que la vie ne l’a pas vraiment favorisé.

 

 

 

 

 


Ma vie ne regarde que moi (3)

La Bourse

 

ma-vie-ne-regarde-que-moiJe ne lis pas pour imiter mais pour admirer. Je trouve mon plaisir dans ces pages, toujours actuelles, comme celui qui découvre, pour la première fois, la saveur d’un baiser livré sans résistance.

En lisant La Bourse de Balzac, j’ai compris une chose. Mon roman, s’il m’arrive de l’écrire un jour, ne doit pas commencer par l’action. L’admirable description par laquelle s’ouvre cette nouvelle du fabuleux écrivain du dix-neuvième siècle me fait tout de suite comprendre que la force de son écriture se trouve dans ces tableaux, ces scènes de vie qui donnent l’envie de découvrir le théâtre de ses intrigues. Pas dans l’histoire elle-même, comme le pensent beaucoup de ses admirateurs ! Lahi en faisait la découverte en lisant pour la énième fois La Bourse.

Au fil du temps, Lahi était devenu un grand nom du journalisme dans son pays, mais il ne pouvait imaginer, comme Hippolyte Schinner, que la célébrité que son talent lui avait procurée allait faire de lui l’un des communicateurs les plus célèbres de la Mauritanie, même s’il « commençait à ne plus connaître le besoin, et jouissait de ses dernières misères », selon l’expression de ce personnage balzacien.

Lahi avait mis moins de trois heures pour lire La Bourse. En choisissant ce livre, il ne pensait pas avoir affaire à l’un des textes les plus courts de Balzac. En fait, une nouvelle qui commence par un faux rythme de récit où les traits des personnages sont campés dès les premières pages mais qui, très vite, vous emballe.

En achevant la lecture de cette nouvelle, Lahi ne pouvait s’empêcher de la revivre, à rebours, se permettant de remplacer les noms de ces deux principaux personnages, Hyppolite et Adelaïde, par le sien et celui de Fatiha. Il trouvait une ressemblance, en certains points, entre cet amour ambigu, mais qui finit bien, et celui qu’il avait connu, il y a cinq ans, quand il avait rencontré cette jeune femme à Nouadhibou. Il suffisait qu’il inverse les traits de caractères entre lui et Hyppolite, Adelaïde et Fatiha pour que les deux histoires se confondent. Dans La Bourse, Adelaïde avait fait preuve d’amour envers le peintre, qui l’avait séduite sans le moindre effort, alors que, dans la vie, Lahi avait aimé une femme sans reliefs. Les personnages de Balzac dans cette nouvelle de trente-neuf pages étaient idéalisés, à souhait, alors que Lahi et Fatiha ne vivaient que par et pour leur médiocrité.

« Je n’aurai pas dû lire ce livre qui ne fait que renforcer ma conviction d’échoué dans la vie », dit Lahi à haute voix, faisant sursauter sa femme, assise tout près de lui, et qui pensa d’abord qu’il avait perdu la tête. Elle lui conseilla, une énième fois, de se reposer. Le ton qu’elle utilisa n’est pas celui d’une femme qui se sentait délaissée parce que son homme passait des heures et des heures à lire et à écrire, s’il n’était pas perdu dans d’interminables discussions sur facebook. C’était celui d’une épouse qui se souciait de la santé du père de ses enfants.

Lahi la regarda sans dire un mot et replongea dans son univers virtuel. Il revenait à sa lecture particulière de La Bourse pour comprendre comment Balzac pouvait imaginer des personnages presque sans défauts ! Adalaïde, et sa mère, Mme de Rouville, qu’il avait détestée pour son amour du jeu, avaient fini par conquérir son cœur, lorsqu’il apprit, à la fin du récit, qu’elle avait agi par dignité. Jouer pour ne pas devoir accepter l’aide d’un vieil ami était, à ses yeux, une qualité. Même si la différence n’est pas si grande que celle qui existe entre être et paraitre.


Ma vie ne regarde que moi (2)

ma-vie-ne-regarde-que-moiC’est décidé, il ira chercher l’inspiration là où elle se trouve ; chez ces centaines d’auteurs dont les œuvres sont livrés, gratuitement, sous format électronique, par « livres-pour-tous ».

En prenant cette décision, Lahi avait ouvert la porte à des dizaines d’histoires, les unes plus palpitantes que les autres ; histoires qu’il avait lues quand la télévision et l’ordinateur n’avaient pas encore pris une place aussi importante dans son quotidien de prof de lycée.

Les noms d’auteurs se bousculent dans sa tête. Les grands classiques d’abord : Balzac, Zola, Hugo, Cheikh Hamidou Kane, Driss Chreib, Henri Lopes, Mammeri, Taher Ben Jelloun, Camus, Sartre… Ceux que les préparations de cours de terminales l’obligeaient à lire et à analyser pour ne pas paraître ridicule devant des élèves qui étaient plus portés sur les études que ceux d’aujourd’hui. C’était il y a vingt ans, pas maintenant où ces noms d’illustres auteurs laissent de marbre des étudiants dont la plupart disent n’avoir jamais ouvert un roman dans leur vie.

Lahi ne sut pourquoi mais il ne ressent plus cette envie d’écrire. En lui naissait celle, irrésistible, de redécouvrir ces trésors de la littérature francophone dépréciée par la vocation « scientifique » d’élèves qui aspirent à devenir pilotes de lignes, officiers, médecins ou ingénieurs. Au cours des trois dernières décennies, la nourriture de l’esprit avait cédé le pas à la puissance de ces professions auxquelles les nouvelles générations aspirent de manière quasi mécanique.

Lahi avait envie de redécouvrir ces œuvres non pas pour assouvir un désir personnel mais pour les exhiber  au monde entier. Forcer à les lire ceux qui disent n’avoir jamais pu terminer les premières pages d’un roman. Il écrira le roman de ces romans. Il se sentait petit pour penser égaler ces monstres de la littérature françaises mais c’était une manière, pour lui, d’oublier trente ans d’échecs.

Lahi ne tenait pas compte, dans cette souvenance du désespoir, de ses années de jeunesse. D’ailleurs, entre onze et vingt-ans, il avait connu ce que tout jeune de son âge considérait comme l’âge d’or.

« Si l’écriture ne me réussit pas, j’aurais au moins pris du plaisir à relire ces belles œuvres », pensa Lahi. Et, sans tarder, il se déconnecta de son compte facebook pour aller directement sur le site livres-pour-tous.

 

 

 

 

 

 

 


Ma vie ne regarde que moi (1)

Tourments

 

ma-vie-ne-regarde-que-moiL’idée de devenir écrivain l’habite depuis plusieurs mois. Il pensait qu’il s’agissait de l’une de ces folies passagères qui le prend souvent, quand il réalise que sa vie est une succession d’échecs. Il se dit que c’est le seul moyen qui reste pour que, lui aussi, devienne « quelque chose ».

Il remettait pourtant à plus tard ce projet d’écriture, auquel il ne parvient pas à donner forme. Il se dit qu’il risquait de comptabiliser une déception de plus après avoir échoué en tout. Ses mérites de « grand professeur » de français ne l’ont pas mené très loin, après vingt ans de classe : directeur des études dans un lycée de Nouakchott puis chef de division au ministère de l’éducation. Des moins bons que lui ont pourtant réussi à devenir inspecteurs, directeurs, conseillers et même ministres. Lahi avait alors pensé qu’il pouvait réussir par la politique ce qui ne lui a pas été donné par l’enseignement.

La politique, la chère « bolletig », pensa-t-il, est le domaine de l’impossible. Il n’a jamais été d’accord avec l’assertion qui dit le contraire. La politique, « l’art du possible » ? Non, non, cria Lahi sans s’en rendre compte. La politique est faite pour les nuls et les menteurs, sinon comment expliquer que des moins que rien (il pensa à deux ou trois noms de parvenus que la retenue l’empêche de citer) puissent aujourd’hui diriger de grandes institutions publiques ?

C’est décidé donc, l’écriture sera sa revanche sur le sort. Lahi pensa d’abord aux sujets qu’il faut aborder. Des sujets susceptibles de faire sa notoriété. Mais écrire sur quoi ? Surtout, écrire pour qui ? Il faut d’abord répondre à ces deux questions essentielles.

Lahi a eu une mauvaise expérience avec son blog « Mauritanités ». Certains sujets pourtant très appréciés par ses amis étrangers sur les réseaux sociaux, lui ont attiré des problèmes dans son pays. Ici, les gens n’aiment pas entendre des vérités qui dévoilent leurs choses cachées, leur être. Par exemple, ne leur raconte pas des histoires de femmes. Ils te traiteront de perverti ou, plus grave, de mécréant. Chacun aura le reflet de son existence dans ce que tu écris. Il dira, en te lisant, « c’est de moi qu’il parle ; il a dû certainement apprendre mon histoire ». Evite aussi les sujets à polémique. Ne dis pas que l’esclavage existe dans ton pays. On te répondra que c’est faux, bien que des lois punissant ceux qui le pratiquent encore foisonnent ! L’Etat utilise une terminologie hypocrite, un euphémisme, en parlant de séquelles. Evite également d’aborder les discriminations raciales dans un pays où l’islam, religion d’égalité, est censé être pratiqué par toute la population.

Hum ! Bon, bon, se dit Lahi, à ce rythme-là, je n’aurai pas de problématiques à aborder dans mon livre. Si je continue à écarter les sujets qui fâchent, je dois renoncer tout simplement à ma nouvelle vocation et continuer à télécharger des films gratuits sur cpasbien. Subitement, il se rappelle d’un autre site qu’il visitait fréquemment quand il avait encore un peu de temps à consacrer à la lecture. Une idée lumineuse jaillit dans son esprit ravagé par le doute depuis qu’il avait raté un concours des inspecteurs. La première fois où son nom ne figure pas en bonne place dans la liste des admis. Il apprendra plus tard que c’était à cause de son âge. Le ministère ne voulait pas envoyer à l’ENS des professeurs qui iraient à la retraite quatre ans après leur sortie !

(A suivre)


Mauritanie: comment IRA a servi le pouvoir

Une précision d’abord: cette analyse politico-stratégique sort des sentiers battus de la querelle idéologique et communautaire. Elle n’aborde pas la question d’IRA (Initiative pour la Résurgence d’un mouvement Abolitionniste en Mauritanie) sous l’angle de l’affirmation (ou de la négation) du phénomène de l’esclavage mais cherche à montrer comment Biram et son organisation ont servi le pouvoir.

Biram Dah Abeid, président d'IRA (Photo google)
Biram Dah Abeid, président d’IRA (Photo google)

IRA existe depuis 2008 en tant qu’organisation non reconnue mais tolérée. Le discours de son Président, Biram Dah Abeid, est diversement apprécié. Il touche essentiellement des jeunes Harratines qui, pour la plupart, n’ont pas connu l’esclavage dont parle leur Chef mais l’assimilent inconsciemment aux injustices et inégalités sociales qu’ils vivent tous les jours.

Le premier service qu’IRA rendait au pouvoir est de « détourner » les nouvelles générations de Harratines du combat mené par les Anciens : Messaoud Ould Boulkheir, Boydiel Ould Houmeid, Mohamed Ould Borboss et, dans une moindre mesure, Samory Ould Bey. IRA renoue avec le discours musclé et plein de verve de ces hommes, anciens d’El Hor (le libre) ramollis par les postes et les privilèges. Même si son discours ne porte pas loin (Biram a eu 8% à la présidentielle de 2014), IRA permet au pouvoir de mobiliser une bonne partie des mauritaniens contre un « péril » qui rappelle étrangement celui brandi par Taya, entre 1987 et 2000, avec les FLAM (Forces de libération Africaines de Mauritanie). La stratégie élaborée pour décapiter IRA est la même que celle utilisée à l’époque pour éliminer les FLAM : diabolisation, procès, prison ou exil.

IRA a signé son arrêt de mort le jour où elle a changé de discours, quand Biram, grisé par la reconnaissance à l’extérieur et la pluie de distinctions qui pleuvaient sur son organisation, a voulu s’identifier, au moins dans le discours, à Ghandi, Martin Luther King et Nelson Mandela. Le pouvoir avait besoin d’un Biram violent dans le verbe, exactement comme du temps où Messaoud avait été brandi comme une menace du temps de Taya. Le discours non violent du président d’IRA n’arrange pas les « noirs » desseins d’un pouvoir pliant sous les problèmes de toutes sortes et ayant besoin d’un expiatoire. Faire de Biram l’ennemi public numéro un, élever même au rang d’affaire d’Etat son organisation, avec les événements de la gazra (squat) Bouamatou, permet au pouvoir de détourner notre attention des autres problèmes. On parle peu aujourd’hui de la crise économique. On reparle du dialogue mais dans la perspective d’une fin de quinquennat en 2019 et, qui sait, d’un troisième mandat pour Aziz.

Cette histoire de participation d’IRA aux heurts de la gazra Bouamatou, même vraie, a servi de prétexte. Elle rappelle le « montage » de 2008 contre le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, chargé à fond de tous les maux et mots par l’entourage du général Aziz. Poussé à commettre des « erreurs » à n’en pas finir, pour qu’elles servent de pièces de conviction politiques contre lui et justifient la « Rectification » : suggérer à Khattou, la Première Dame de l’époque, de créer une fondation et à Sidioca de prendre son bâton de…voyageur, le pousser à parler, même sous forme d’hypothèse, de la vente de la SNIM, le rapprocher des « gens » de l’Ancien Régime.

IRA a servi le pouvoir en lui permettant de focaliser sur elle tous les mauritaniens, amis ou ennemis. Grâce à son activité non stop, à l’intérieur et à l’extérieur, elle banalise une opposition qui cherche à sortir de son long sommeil. Une opposition qui préfère réagir au lieu d’agir. Une opposition qui a été prise à son propre piège en voulant suivre les événements, et non les provoquer. Une opposition qui a toujours joué et perdu.

Aujourd’hui IRA est morte ou presque mais est-ce la fin de nos problèmes ? Des soucis du pouvoir ? De cette question de l’esclavage ou de ses séquelles ?

Il n’y aura probablement plus de marches tous les mercredis pour demander la libération des militants arrêtés, peu de présentation de cas d’esclavage et de mobilisation. Les « rêves » de présidence en 2019 pour Biram relèvent sans doute de l’anecdote mais il est sûr que la question Harratines restera posée. Elle n’aura même pas besoin d’être défendue  dans les prochaines années. Elle dérange parce qu’elle est visible partout. Dans ces écoles où la condition des jeunes Harratines les empêche d’être, à cause de leur pauvreté, non de la couleur de leur peau. Cette armée où ils forment l’essentiel des troupes, à cause de leur ignorance et, aussi, d’une volonté tapie quelque part, d’empêcher leur ascension à ce levier du pouvoir. Ces gardiens, ces blanchisseurs, ces vendeuses de couscous…Ces marchés où on les trouve cuisinant, faisant du thé ou trimbalant des ballots. Ces chantiers, ces taxis, ces magasins, ces rues où ils luttent pour la survie par des petits commerces, malgré la chasse que leur livre la Communauté urbaine de Nouakchott.

Cette question nationale n’a pas besoin d’IRA pour être posée. Elle troublera la conscience de tout mauritanien qui sait qu’il y a urgence à agir dans le sens de plus de cohésion sociale. La question harratine doit être la priorité de tous. C’est une question nationale qu’il faut traiter prioritairement dans tout dialogue à venir. Il ne faut surtout pas compter sur le pouvoir qui la regardera toujours comme une aubaine parce qu’elle lui permet des manipulations en temps de crise politique. Et c’est là le danger qui menace l’unité nationale et même l’existence de notre pays.

 


Sommet de la Ligue arabe : coups gagnants pour Aziz

Le président Aziz, à l'ouverture du 27ème Sommet de la Ligue arabe (Photo : AMI)
Le président Aziz, à l’ouverture du 27ème Sommet de la Ligue arabe (Photo : AMI)

La force du président Aziz, c’est sa témérité. Son courage, diront ses admirateurs. Sa « folie » (des grandeurs), rétorqueront ses opposants.

Qu’on l’aime ou pas, il faut reconnaître que l’homme tire un grand bénéfice de sa propension à agir. A ses collaborateurs, il dit : faites et puis on verra après !

J’étais de ceux qui pensaient qu’organiser un sommet de la Ligue arabe à Nouakchott était une folie. A plusieurs égards. Mes raisons ?

Nouakchott n’est pas une ville au sens où l’entendent nos frères du Machrek et du Maghreb. Les premiers ont converti (enfoui) leurs pétrodollars en villes qui concurrencent, du point de vue de l’architecture, des équipements, des loisirs et du plaisir, les plus grandes cités d’Europe et d’Amérique. Les seconds (Marocains, Algériens, Tunisiens) se confondent, à nos yeux, avec nos « ancêtres les Gaulois ». Comment alors penser inviter tout ce beau monde à Nouakchott et, sans peser le pour et le contre, passer à l’acte ? Aziz l’a fait.

A voir le déroulement du 27ème sommet de la Ligue arabe, on voit bien que c’est un coup gagnant. « Nous organiserons ce sommet, même sous la tente », avait dit le président Aziz. Et, effectivement, une tente gigantesque a été dressée dans l’enceinte du Palais des congrès de Nouakchott pour accueillir les réunions du « sommeil » de la Ligue arabe.

Cette infrastructure de fortune a coûté une fortune : 700 millions d’ouvrages (2,5 millions de dollars US), rapportent certains médias. Mais qu’importe ! Organiser le premier sommet de la Ligue arabe à Nouakchott dans l’histoire du pays n’a pas de prix. Les 22 pays membres sont là. Si les Mauritaniens déplorent l’absence de plusieurs têtes couronnées (Salman d’Arabie saoudite, Mohamed VI du Maroc, Qabous d’Oman, Abdalla II de Jordanie, etc.) et de présidents qui comptent (Egypte, Tunisie), d’autres ont tenu à honorer leur hôte mauritanien (l’émir Temim du Qatar, l’émir du Koweït). C’est un succès diplomatique notoire. Et certainement une bonne perspective pour les investissements en Mauritanie. Ces deux pays comptent en effet beaucoup pour Nouakchott, puisqu’ils sont de ceux qui, avec l’Arabie saoudite, ont permis à la Mauritanie de faire face à la crise économique consécutive à la chute des prix des matières premières (fer, or, cuivre) depuis 2014.

Autre coup gagnant : l’ouverture, un mois avant ce sommet, du nouvel aéroport international de Nouakchott « Oumtounsi ». C’est l’occasion pour le gouvernement de couper court à toutes les critiques sur la réalisation de cette infrastructure qui aurait coûté, selon certaines estimations, près de 300 millions de dollars US. Si la Mauritanie ne disposait pas d’un tel aéroport, elle devait attendre encore longtemps avant d’envisager l’accueil d’un tel sommet.

Le dernier coup gagnant du président Aziz est d’avoir profité de l’organisation de ce sommet pour mettre à niveau certaines infrastructures de la capitale.

Certes, on ne sait quelles sommes ont été engagées dans cette opération, également suspectée de forts relents de gabegie, mais les Nouakchottois sont contents que leur ville ressemble enfin, dans sa partie « utile », à quelque chose. Ce travail « dans l’urgence » a été mitraillé par une opposition qui, faute de dialogue, ne manque aucune occasion pour tirer à boulets rouges sur un pouvoir qui lui rend « au double » sa monnaie.

Globalement donc, le sommet de Nouakchott est une réussite. La Mauritanie aura eu son « tour » et prouvé qu’elle peut organiser une grande rencontre. Les « frères » arabes sont venus, ont vu et l’on espère qu’ils reviendront pour investir. Enfin, Aziz a joué et gagné : jusqu’au prochain sommet, il se présentera comme le « chef » des Arabes, comme il l’a été, en 2014, pour les Africains.


Harratines : À y perdre son Hassanya, son Pulaar, son Soninké et son Ouolof

Jeune harratine (crédit photo : haratine.blogpost)
Jeune harratine (crédit photo : haratine.blogpost)

La cacophonie qui a suivi les dramatiques événements de la « gazra » (squat) sise à l’hôpital Bouamatou est révélatrice du malaise social grandissant en Mauritanie. Ces événements, spontanés ou fruits d’une manipulation à certains niveaux, ont dévoilé le degré de gravité que fait courir au pays le traitement que le pouvoir et l’élite accordent à la question de l’unité nationale et, plus particulièrement, à la problématique harratine.

Disons-le tout de suite : il y a dérive de part et d’autre. Parce que chaque camp ne comprend pas que si par malheur le problème sort de son cadre de recherche de solution pour une question de justice et d’égalité pour se transformer en une lutte à mort pour le pouvoir, avec le positionnement de chaque communauté, personne ne se sauvera seul. La violence des faibles peut devenir un pendant à la force des puissants. L’ordre qu’on veut instaurer à tout prix peut engendrer le désordre.

La responsabilité de l’Etat est d’être au-dessus des velléités de puissance et d’hégémonisme des groupes et de leurs élites. Si l’Etat n’est pas servi par ceux qui se tirent une balle dans le pied, en appelant, à partir d’un pays voisin, à une intervention extérieure pour régler une question strictement nationale, il l’est moins par ceux qui exacerbent les tensions communautaires au motif que leur groupe est menacé.

Nous devons comprendre, tous, la nécessité d’aller de l’avant. Le pouvoir ne doit plus initier des lois et aller à l’encontre de leur application. Il doit mettre un terme à ses contradictions flagrantes. L’esclavage n’existe plus. D’accord. Mais pourquoi des tribunaux pour punir ceux qui s’y adonnent alors ? Le mieux pour lui, et pour les centrales de milliers de Harratines libres, mais non libérés psychologiquement et économiquement, est de mettre en œuvre de VRAIS programmes de « réparation » du préjudice historique subi.

Le tort de tous les pouvoirs qui se sont succédé en Mauritanie de l’indépendance à nos jours, est de se complaire dans le paraître. La démocratie, les lois et le développement ne sont pas pensés pour nous mais pour un Occident qui nous regarde du haut de sa suprématie et de son égoïsme. Pour combattre Biram, il ne faut pas utiliser la même arme que lui: l’amplification.

Oui, il n’y a plus de marchés aux esclaves en Mauritanie mais il y a ce fait que les Harratines sont bien les « esclaves des temps modernes », pour utiliser une expression d’Albert Memmi évoquant la situation des travailleurs immigrés dans la France des années 60. Qui nierait cette réalité répond au mensonge d’IRA par un mensonge plus grand. Je souris en  entendant la perfidie de ceux qui disent que la misère touche tous les mauritaniens ! Oui, mais à quelles proportions ?

Je mets sur le compte de la politique politicienne les déclarations de ceux qui reprochent aux Négro-mauritaniens de « s’appuyer » sur les Harratines contre les Maures, alors qu’en 1989 cette même communauté a été accusée d’avoir servi de bras armé dans les douloureux évènements que le pays a vécus. Tout est vérité ou tout est mensonge. C’est une question de rapport de forces qui m’a poussé dans des écrits antérieurs à dire qu’il faut laisser les Harratines être eux-mêmes.

Le recours à l’extérieur n’a jamais rien réglé. J’ai parlé du paraître de notre démocratie, de nos lois et de nos chiffres destinés à la consommation extérieure. Je dirais également à mon ami Biram qu’il ne faut pas que l’accumulation de médailles et de distinctions lui fasse perdre de vue le sens de la mesure et du discernement. Je range dans le même sac ces distinctions et les récents « succès » de notre diplomatie.

Le linge sale se lave BIEN en famille. L’appel lancé aux « cousins » d’Afrique pour aider au règlement d’un problème entre frères (ne serait-ce qu’au sens religieux du terme) est une erreur monumentale. Voyons ce qui se passe en Irak, en Libye, en Syrie et au Yémen. Nous avons évité d’être emportés par la vague de ces faux « printemps arabes » mais rien ne garantit que nos erreurs répétitives ne provoquent, demain, l’irréparable.


Agriculture : l’Afrique revendique toujours son « droit à la paresse »

Vue de l'atelier d'Abidjan sur l'agriculture (photo : AMI)
Vue de l’atelier d’Abidjan sur l’agriculture (photo : AMI)

À Abidjan, l’African Media Initiative (AMI) et la Banque mondiale avaient réuni, du 12 au 16 juin 2016, une cinquantaine de journalistes et de blogueurs venant d’une vingtaine de pays. Le thème choisi, l’agriculture, parait ordinaire, mais la problématique abordée l’était moins : renforcer les capacités et la couverture des secteurs de l’agriculture et de l’alimentation en Afrique subsaharienne.

A l’arrivée, j’avais certaines appréhensions : que va-t-on (encore) dire ? On restera sans doute dans une logique « banque-mondialiste » de perspectives et de stratégies, d’adoption et non d’adaptation, de similitudes débouchant, invariablement, à des simulations. En fait, une Afrique qui se cherche, soixante ans après l’indépendance de la plupart de ses États.

Pourtant cet atelier avait sa particularité. Le diagnostic des secteurs de l’agriculture et de l’alimentation en Afrique avait valeur d’autocritique pour ne pas dire d’autoflagellation. Critiques envers les dirigeants qui ont échoué à faire décoller les économies de leurs pays. Critiques envers les experts nationaux et internationaux qui pensent et repensent des politiques ne tenant souvent pas compte de « l’existant ». Enfin, critiques envers les journalistes africains, « coupables » de n’accorder à ce secteur vital que 10% de leur couverture médiatique. C’était d’ailleurs là la raison d’être de cet atelier qui se voulait être un « éveil » à l’agriculture. Et le choix de la Côte d’Ivoire, en ce sens, était loin d’être innocent.

Visite de terrain pour les journalistes (photo : Sneiba)
Visite de terrain pour les journalistes (photo : Sneiba)

Après deux journées sur le terrain, les journalistes ont découvert, après deux journées de réflexion intenses, qu’il y avait bien des choix économiques stratégiques possibles.

Pour un pays comme la Côte d’Ivoire, ce choix était de miser, pratiquement TOUT, sur le secteur agricole. Certes, au début de l’indépendance, le président Houphouët-Boigny avait fait sienne cette orientation, malheureusement elle n’avait pas suffisamment bénéficié de la « vulgarisation » médiatique nécessaire. Se faisant comme en vase clos, sa portée d’exemple pour le reste de l’Afrique était très limitée. Pour un pays dont l’agriculture constitue 47% des exportations et près de 30% du PIB, c’était comme une sorte de négligence coupable.
Certains pays, ceux qui ont les mêmes potentialités que la Côte d’Ivoire, devraient être en mesure de « copier » l’exemple ivoirien. Mais il faut d’abord que cette expérience soit connue et reconnue. Éric Chinje, PDG de l’African Media Initiative (AMI), insiste sur cet aspect de la question : les journalistes africains doivent désormais s’impliquer totalement dans les questions de développement du continent. Ils doivent comprendre que ce n’est pas seulement une affaire de politiques et d’experts, qui les place, eux, dans la position statique de « l’attente du communiqué de presse ».

L’atelier d’Abidjan doit être le point de départ de cette nouvelle perception qui fait qu’aucun développement n’est possible sans une couverture médiatique pertinente des questions essentielles (comme, par exemple, les choix économiques stratégique, dont fait partie l’agriculture). Fournir des éléments essentiels pour forcer la décision dans les domaines fondamentaux. Laisser de côté les « bavardages » sur les stars et les personnalités politiques, dira un intervenant de la Banque mondiale. Mener un travail avec les institutions sur des questions comme celle de l’agriculture (qui représente près de 50% du PIB) et celle de la création de l’emploi. L’agriculture est vraiment un secteur dominant, bien que les gouvernements ne lui allouent qu’entre 3% et 10% de leur budget, cela représente une grande part de leurs ressources !

Les Africains dépensent 37 milliards de dollars US pour importer ce qu’ils consomment alors que les 2/3 des terres arables du continent sont inutilisées ! Ce ratio révèle les paradoxes d’une Afrique potentiellement riche mais qui peine à « transformer ses défis en masse d’opportunités », dira l’un des intervenants de la première journée.

Pour cela, les Africains doivent cesser de réclamer leur « droit à la paresse ». L’émergence ne se décrète pas, elle est acte ! Action ! Parmi les 3 milliards de personnes (petits producteurs) qui vivent de l’agriculture et produisent 70% de ce que nous consommons, la part de l’Afrique est moindre. Et si en 2016, le nombre d’obèses (2 milliards) dépasse, pour la première fois,  le nombre des personnes qui ont faim, les 2/3 de ces « sur-nourris » vivent dans les pays développés. Les Africains ne doivent plus attendre que le riz qu’ils mangent leur arrive de Thaïlande ou que le blé leur soit acheminé de Russie ou des USA. Comment l’Afrique doit-elle faire alors pour fausser les prévisions dans le bon sens ? Ne pas attendre, par exemple, 2030, pour produire SEULEMENT 35% de sa consommation. C’est maintenant aux journalistes de s’impliquer davantage, pour pousser dans ce sens.

Sneiba Mohamed

« Le Droit à la paresse » : ouvrage de Paul Lafargue, paru en 1880.