Ma vie ne regarde que moi (3)

18 septembre 2016

Ma vie ne regarde que moi (3)

La Bourse

 

ma-vie-ne-regarde-que-moiJe ne lis pas pour imiter mais pour admirer. Je trouve mon plaisir dans ces pages, toujours actuelles, comme celui qui découvre, pour la première fois, la saveur d’un baiser livré sans résistance.

En lisant La Bourse de Balzac, j’ai compris une chose. Mon roman, s’il m’arrive de l’écrire un jour, ne doit pas commencer par l’action. L’admirable description par laquelle s’ouvre cette nouvelle du fabuleux écrivain du dix-neuvième siècle me fait tout de suite comprendre que la force de son écriture se trouve dans ces tableaux, ces scènes de vie qui donnent l’envie de découvrir le théâtre de ses intrigues. Pas dans l’histoire elle-même, comme le pensent beaucoup de ses admirateurs ! Lahi en faisait la découverte en lisant pour la énième fois La Bourse.

Au fil du temps, Lahi était devenu un grand nom du journalisme dans son pays, mais il ne pouvait imaginer, comme Hippolyte Schinner, que la célébrité que son talent lui avait procurée allait faire de lui l’un des communicateurs les plus célèbres de la Mauritanie, même s’il « commençait à ne plus connaître le besoin, et jouissait de ses dernières misères », selon l’expression de ce personnage balzacien.

Lahi avait mis moins de trois heures pour lire La Bourse. En choisissant ce livre, il ne pensait pas avoir affaire à l’un des textes les plus courts de Balzac. En fait, une nouvelle qui commence par un faux rythme de récit où les traits des personnages sont campés dès les premières pages mais qui, très vite, vous emballe.

En achevant la lecture de cette nouvelle, Lahi ne pouvait s’empêcher de la revivre, à rebours, se permettant de remplacer les noms de ces deux principaux personnages, Hyppolite et Adelaïde, par le sien et celui de Fatiha. Il trouvait une ressemblance, en certains points, entre cet amour ambigu, mais qui finit bien, et celui qu’il avait connu, il y a cinq ans, quand il avait rencontré cette jeune femme à Nouadhibou. Il suffisait qu’il inverse les traits de caractères entre lui et Hyppolite, Adelaïde et Fatiha pour que les deux histoires se confondent. Dans La Bourse, Adelaïde avait fait preuve d’amour envers le peintre, qui l’avait séduite sans le moindre effort, alors que, dans la vie, Lahi avait aimé une femme sans reliefs. Les personnages de Balzac dans cette nouvelle de trente-neuf pages étaient idéalisés, à souhait, alors que Lahi et Fatiha ne vivaient que par et pour leur médiocrité.

« Je n’aurai pas dû lire ce livre qui ne fait que renforcer ma conviction d’échoué dans la vie », dit Lahi à haute voix, faisant sursauter sa femme, assise tout près de lui, et qui pensa d’abord qu’il avait perdu la tête. Elle lui conseilla, une énième fois, de se reposer. Le ton qu’elle utilisa n’est pas celui d’une femme qui se sentait délaissée parce que son homme passait des heures et des heures à lire et à écrire, s’il n’était pas perdu dans d’interminables discussions sur facebook. C’était celui d’une épouse qui se souciait de la santé du père de ses enfants.

Lahi la regarda sans dire un mot et replongea dans son univers virtuel. Il revenait à sa lecture particulière de La Bourse pour comprendre comment Balzac pouvait imaginer des personnages presque sans défauts ! Adalaïde, et sa mère, Mme de Rouville, qu’il avait détestée pour son amour du jeu, avaient fini par conquérir son cœur, lorsqu’il apprit, à la fin du récit, qu’elle avait agi par dignité. Jouer pour ne pas devoir accepter l’aide d’un vieil ami était, à ses yeux, une qualité. Même si la différence n’est pas si grande que celle qui existe entre être et paraitre.

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