Autour d’un thé : « Ô, vous là-bas, ne désespérez pas de la Miséricorde d’Allah ! Y a qu’ici où l’on peut faire des études de vétérinaire et devenir banquier ! »

25 janvier 2016

Autour d’un thé : « Ô, vous là-bas, ne désespérez pas de la Miséricorde d’Allah ! Y a qu’ici où l’on peut faire des études de vétérinaire et devenir banquier ! »

Mauritanie: conseil des ministres (photo : AMI)
Mauritanie: conseil des ministres (photo : AMI)

C’est inédit ! Que, trois longues semaines durant, un Président puisse ne pas organiser un Conseil des ministres. Complètement désœuvrés nous étions. Comment ça, pas de conseil ? Au fond, au fond, c’est quoi, un conseil ? Normalement, chaque ministre vient avec ses cahiers d’écolier qu’il dépose, soigneusement, devant lui, en attendant son tour de caméra.
Bien assis, avec cravate ou melehfa¹ bien ajustés. Le cameraman passe et repasse. A vos marques ! Chaque ministre fait semblant de regarder son parapheur, lourdement rempli d’on ne sait quoi. Bien alignés, les ministres. Les grands à côté du grand. Les petits calfeutrés les uns contre les autres.
Depuis que les conseils ordinaires et extraordinaires des ministres se passent dans ce pays, jamais un Président n’a osé autant les reporter. Mais que vaut la République, sans le Conseil des ministres ? La veille, c’est la peur au ventre pour les uns. C’est l’espoir pour les autres. N’importe qui peut devenir n’importe quoi.
Il suffit d’un Conseil des ministres. Tout peut arriver. Les ministres conseillent le Président de monter ou de descendre un tel ou une telle. Ça dépend. Ça se passe comme au loto. Les nominations, c’est un long processus. Un chemin de croix. Un parcours de combattant. Toute une technique. Rien à voir avec les parchemins.
Certes, il y a le mot chemin. Bien connaître le chemin de la maison du ministre chez qui tu veux être nommé. Bien connaître le chemin de l’école de ses enfants. Sait-on jamais. A toutes fins utiles. L’homme, c’est celui qui sait tout faire. Il faut aussi être prêt.
A tout. Savoir rire au bon moment. Pleurer au bon moment. Ô, vous là-bas, ne désespérez pas de la Miséricorde d’Allah ! Y a qu’ici où l’on peut faire des études de vétérinaire et devenir banquier. Poursuivre des recherches en mathématiques, pour se retrouver directeur des mahadras², au ministère des Affaires islamiques.
Y a qu’ici qu’on peut être un brillant inspecteur de l’enseignement, à deux ans de la retraite, et être adjoint d’un fonctionnaire de cycle B, déserteur de plusieurs années. Nommé au Conseil des ministres. La fameuse formule, la fonction qui supprime le grade.
Les Conseils des ministres suppriment les diplômes, annihilent les consciences, promeuvent l’allégeance et la médiocrité. Je te conseille de nommer X à ce poste. Port ? Somagaz ? Somelec ? SNDE³ ? Affaires économiques ? Ou n’importe quel autre poste. Il faut le faire.
C’est normal. Regardez bien. Ah oui, c’est vrai, au Conseil passé, il y a un hartani qui a été enlevé. Hé, il est du Trarza ! Ils n’ont pas un DG, ces gens-là. Oui, oui, on a enlevé un gars de Boutilimit. Il nous en faut bien un. Hé, attention, celui-ci, c’est pas un hartani ! Il ne veut même pas qu’on le lui dise.

Gare à toi ! Pourtant, il est « compté sur eux ». Mais sa maman est une Mauresque, blanche comme neige. Yaweylou, c’est donc pas un hartani. Eywe « guetlak » (je te dis), l’autre, pourquoi il est nommé ? C’est un Soninké, non ? N’est ce pas que son cousin qui était là-bas est allé à la retraite ? Et l’autre, comment il a été nommé ?
Il paraît qu’il connait une femme qui connaît un homme qui connaît un homosexuel chez qui se retrouvent le ministre X et le directeur général Y, pour boire le thé. Et puis, qu’est-ce que tu as contre lui ? Il est gentil. Tu sais que c’est mon parent par sa mère. Nous sommes ses oncles. Hagalah (A bon?) ? Wallahi ! D’ailleurs, j’irais le voir pour qu’il me prenne quelqu’un avec lui. C’est une chèvre dans un grand désert.
Pour toi. Pour ton frère et pour le loup. L’essentiel que chaque ministère ait son secrétaire général. Un professeur d’arabe aux Affaires économiques. Un journaliste retraité à l’Éducation. Un philosophe à la Défense. Un comptable aux Affaires islamiques. Un agent de tourisme aux Affaires étrangères.
Un diplômé des pêches à l’Intérieur. L’essentiel, c’est la forme, pas le fond. Autrefois, c’était que les hommes soient des malles fermées. Maintenant, ce sont les hommes et les femmes qui sont des malles hermétiquement fermées. Impossible de savoir ce qu’il y a dedans. Le dedans ne compte pas. Seul le dehors et, parfois, le derrière comptent. Salut.

Sneiba El kory (Le Calame)

 

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