Critique de la raison « pire »

6 août 2013

Critique de la raison « pire »

Crédit photo: Philipitt.fr
Crédit photo: Philipitt.fr

Pardonnez-moi d’abord cette hérésie. Pasticher la Critique de la Raison pure (en allemand, Kritik der reinen Vernunft) œuvre majeure d’Emmanuel Kant parue en 1781, en 856 pages. La comparaison s’arrête là. Lui parle de Raison, moi de déraison. Lui évoque, en connaisseur, des notions d’espace, de temps, d’analytique transcendantale, d’entendement, de dialectique, de l’Idéal de la raison pure (avec les trois preuves de l’existence de Dieu). Moi, je ne sais même pas de quoi je parle. En fait, j’ai commencé avec un projet d’écriture sur la critique de la raison « pire » en politique. Avec comme exemple la Mauritanie. Ce pays qui étonne par sa capacité à survivre aux crises qu’officiers supérieurs de l’armée et hommes politiques entretiennent, en fonction de leurs seuls intérêts. Une déraison commune à tous, qui apparait, chaque jour, dans leur incapacité à tendre vers ce que Kant appelle la « discipline de la raison pure ». Celle qui permet à chacun d’entre nous d’éviter d’agir en crétin et de penser les autres comme une image de lui-même. Quoi en effet de plus vexant que d’entendre un homme politique, ministre, député, sénateur ou maire parler de ce que l’on sait comme s’il était le seul à le connaître. Nous dire, par exemple, que l’ancien président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi a été destitué parce qu’il avait pris la décision de trop, celle de limoger, d’un trait de stylo, les quatre généraux qui tenaient en réalité le pays. Peut-on véritablement croire que la démocratie est un bien     acquis en Mauritanie ? Nous peinons à renverser la conception habituelle du pouvoir par la nature du savoir. En nous règne une confusion générale de la connaissance, politique ou autre, alors que Kant détermine très bien les limites entre le savoir et l’opinion qui est « une créance consciente d’être insuffisante subjectivement tout autant qu’objectivement. Si la créance n’est suffisante que subjectivement et est en même temps tenue pour objectivement insuffisante, elle s’appelle croyance. Enfin, la créance qui est suffisante aussi bien subjectivement qu’objectivement s’appelle le savoir. La suffisance subjective s’appelle conviction (pour moi-même), la suffisance objective s’appelle certitude (pour chacun).

Si de tels concepts sont clairs en nous, nous ne craignons plus alors d’être induits en erreur par nos hommes politiques ; leurs opinions ne pouvant plus s’élever au degré du réel que par les deux derniers schèmes décrits par Kant (la conviction, comme savoir pour moi-même et la certitude, comme certitude pour chacun) et non comme une « somme » d’opinions ne s’établissant nullement en Vérité. Si les partis de la Coordination de l’opposition démocratique (COD) disent tout le mal possible du président Aziz cela ne le transforme pas en démon et si la Majorité l’adoube comme un saint, c’est loin d’être une transformation « réélisée ». Le tout est de pouvoir – savoir – faire le départ entre la réalité et l’image qu’en donnent les politiques et les intellectuels. Concernant ces derniers, on peut dire : «tous coupables.» Ce sont eux qui portent très haut, très loin, les idées de la politique dans tous ses états. Ils ont dit aux citoyens ordinaires que le changement du 03 août 2005 était parfait. La transition et ses querelles byzantines ont démenti la perception qu’on avait eu, à la hâte, de la « détayasition¹ ». La Rectification, qui a consacré la destitution de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, « premier président démocratiquement élu » en Mauritanie a achevé de nous convaincre que nous faisons encore fausse route. Depuis, nous tournons en rond, nous résonnons de nos errements, nous pourchassons les chimères d’une démocratie que nos politiques utilisent, depuis sa découverte tardive, comme « l’opium du peuple ». Pire que la pure des dictatures.

¹ De Taya, président mauritanien de 1984 à 2005.

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