Mauritanie : La «révolution des jeunes », un appoint à l’opposition ?

Article : Mauritanie : La «révolution des jeunes », un appoint à l’opposition ?
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19 février 2013

Mauritanie : La «révolution des jeunes », un appoint à l’opposition ?

Crédit photo: Taqadoumy.com
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25 février 2011.  « Place des anciens blocs » désormais  propriété privée ayant été morcelée en 8 lots et vendue aux enchères à près de 6 milliards d’ouguiyas (15 millions d’euros). Quelque 2000 jeunes s’étaient donné rendez-vous là, juste après la prière du vendredi, pour manifester contre le pouvoir. Les slogans qu’ils brandissaient étaient un mélange de tout : dénonciation du chômage, de la flambée des prix, de l’inégalité, de l’injustice, de la gabegie. Le discours était à la fois modéré (revoir la politique de gestion du pouvoir) mais aussi extrémiste (départ du président Aziz). Un relai pour le discours de l’opposition ?

C’est ce qui justifie sans doute que deux ans après, l’opposition cherche à raviver la flamme de ces manifestations de la jeunesse mauritanienne qui n’a pas réussi à inscrire son mouvement dans le sillon du « printemps arabe ». Le Rassemblement des forces démocratiques (RFD) décide donc de reprendre le chemin de la rue, le 25 février prochain, pour re-demander le départ du président Mohamed Ould Abdel Aziz. Deux jours plus tard (le 27 février), le parti « Tawassoul », d’obédience islamiste et membre comme le RFD de la Coordination de l’opposition démocratique (COD), va mobiliser lui aussi ses militants sur la  place Ibn Abass pour mettre plus de pression sur le pouvoir.

Mais ce n’est pas sûr que la COD dispose maintenant des conditions favorables à son entreprise de déstabilisation du pouvoir par les mouvements des jeunes. Ce qui n’a pas pu se réaliser au moment où les dictatures arabes tombaient les unes après les autres comme des châteaux de cartes est difficilement envisageable aujourd’hui avec un Ould Abdel Aziz qui rebondit à chaque fois  qu’on le  croit pris dans les  tourbillons de la crise politique.

Face à la menace de faire redescendre les jeunes dans la rue, le pouvoir cherchera sans doute à jouer la carte de l’ouverture. Comme il l’a fait en 2011 en suscitant la création de partis de jeunes destinés à assurer ce que le président Aziz appelle « le renouvellement de la classe politique ». On est en pays « démocratique » non ? D’autres moyens sont aussi à la portée du pouvoir pour tenter de démobiliser ceux qui seraient tentés d’aller grossir les rangs des manifestants du 25 et du 27 février 2013. Une prudence extrême que le gouvernement adoptera comme stratégie de « containment », même si l’on sait que la mobilisation par le Net n’est pas vraiment le moyen le plus approprié dans un pays comme la Mauritanie où le taux de pénétration de ce moyen de communication est loin d’être comme ce phénomène de société en Tunisie ou en Egypte. C’est seulement à partir de 1999 que la capitale mauritanienne s’est mise à l’heure du Web. Les cybercafés y poussent comme des champignons, malgré le fait que la connexion soit encore lente. Mais est-ce suffisant pour prétendre aujourd’hui réaliser l’exploit réussi par les jeunes tunisiens et égyptiens qui disposent de plusieurs longueurs d’avance dans le domaine ?

Mais pour un coup d’essai,  d’aucuns pensent que c’est loin d’avoir été un coup de maître. Pourtant, en 2011, la mobilisation avait quand même donné des sueurs froides aux autorités de Nouakchott. La perspective de voir ces centaines de jeunes s’installer durablement sur un espace ouvert avait poussé le pouvoir à réagir en faisant intervenir la police à 2 heures du matin, la nuit pour disperser les jeunes. Le gouvernement avai-t-il eu le temps de mesurer l’ampleur du danger ? Bien que les revendications de cette « jeunesse du facebook » se recoupent avec celle de l’opposition classique, il n’est pas évident que le pouvoir et ses soutiens aient vraiment senti le danger d’un possible amarrage d’une action présentée comme non politique à des revendications qui, elles, le sont  par essence.

Certes, on dira que le danger est encore lointain, sinon inexistant. On pourrait laisser croire à Aziz qu’il s’agit de jeunes désœuvrés – ou manipulés – qui ne tarderont pas à se lasser de cette « action de mode » derrière laquelle pourrait bien se profiler l’ombre d’une opposition qui, bien qu’en perte de vitesse, ne désespère pas de pouvoir revenir en force pour bousculer le pouvoir. Mais il faut dire aussi que la stratégie du gouvernement pour faire face à cette « opposition des jeunes » a péché par plusieurs points. Les promesses faites à la veille de la manifestation du 25 février 2007 (100.000 logements, 17.000 emplois) étaient difficilement réalisables dans le contexte de crise économique actuel en Mauritanie. Elles pourraient même causer plus de dégâts, en termes de ternissement de l’image du pouvoir, alors qu’elles sont faites dans le but évident d’atténuer l’impact des revendications. Le gouvernement doit savoir une seule chose, en dehors même de la réussite ou non de cette manifestation de l’opposition ou des jeunes : il doit se remuer. Le temps n’est plus aux tergiversations ou aux discours panégyriques  vantant des réalisations qui n’ont aucun impact sur le terrain. Si les jeunes sortent, par eux-mêmes et pour eux-mêmes, c’est que le malaise est profond. Ce qui se passe ailleurs a certes un impact limité pour le moment sur ce qui peut arriver ici et maintenant.

C’est pourquoi le président Aziz doit prendre très au sérieux toute sortie des jeunes qui constitue une sorte de manifeste non politique mais social. Un peu comme Mai 68, quand la jeunesse européenne avait revendiqué un monde à elle criant à la face du monde que « la culture c’est l’inversion de la vie ».

Si partout dans le monde, Facebook est entrain de révéler d’autres dimensions du conflit des générations, avec une offre sociale non adaptée à la demande de la jeunesse, ce n’est pourtant pas dans un pays comme la Mauritanie que le risque de dérive avec ce moyen de liaison sociale est le plus fort. Certes, il a montré en Tunisie et en Egypte que ce réseau partagé peut faire tomber des Etats mais la manière dont le régime égyptien a contourné l’approche vraiment « révolutionnaire » montre qu’il y a toujours une parade à envisager. La politique est soumise ici au service du social et non le contraire.

C’est en cela que le cri de révolte des jeunes peut être interprété comme une sorte de relégation au second plan des guéguerres politiques entre la majorité et l’opposition. Si les partisans du président Aziz défendent avec bec et ongles les privilèges que confèrent la proximité avec le pouvoir, les contradicteurs du président Aziz veulent faire bouger les lignes, dans le sens d’une inversion des rôles. Les slogans brandis par les jeunes en février 2011 interpellaient Aziz sur des questions qui sortaient pourtant du cadre des antagonismes politiques entre la majorité et l’opposition, pour n’être que celles qui peuvent constituer une sorte de lieu commun entre tous ceux qui semblent dire aux militants des deux bords : trêve de politique, pensez aux questions sociales.

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