Ethman, de candidat au bac à blanchisseur en Mauritanie

29 novembre 2017

Ethman, de candidat au bac à blanchisseur en Mauritanie

Quand je l’ai appelé, la veille de l’entretien, Ethman a hésité quelques secondes avant de me dire : « D’accord pour demain, mais ne venez pas avant 15 heures. Nous pourrons discuter autour du repas. Avant, je n’aurais pas le temps. »

Ethman, de la terminale à la blanchisserie (photo : Sneiba)Il est vrai que la journée d’un blanchisseur est rude. Laver, étendre et repasser. Des gestes qui constituent le quotidien d’Ethman depuis plus de vingt ans !

C’est en repassant qu’Ethman me raconte une histoire, une vie, dont je connais en réalité les grandes lignes. Nous avons été élèves à Aleg, puis à Boghé du primaire à la classe de terminale !

C’est en 1984 qu’Ethman Ould M’Bareck avait abandonné ses études. Il m’explique aujourd’hui, trente ans plus tard, le pourquoi.

« C’est en fait parce que je ne pouvais pas constituer à temps mon dossier. Contrairement à ce qu’on croit, le dossier de nationalité était plus compliqué qu’aujourd’hui ».

Ethman me dit qu’il a rencontré le même problème quand il avait été admis au concours des sous-officiers de l’armée. Admis à Tidjikja, il sera recalé à Nouakchott parce que le numéro (14) que porte son extrait de naissance n’est pas le même (121) que celui qui a servi à l’établissement de sa nationalité !

Il pensa alors que cela a été fait exprès par sa tante qui s’opposait fermement à son incorporation dans l’armée.

Il s'improvise tailleur (photo : Sneiba)

En 1986, Ethman arrive à Zouerate, la cité minière dont les exportations de fer assuraient l’essentiel des ressources financières de la Mauritanie. Il sera exploité, onze longues années, par les sociétés de tâcheronnat pour un salaire mensuel de 25.000 ouguiyas (70 USD), alors que l’homme qui lui offrait le gîte avait un revenu mensuel de plus de 100.000 UM grâce à sa blanchisserie.

Il avait commencé à l’aider, en lavant dans un premier temps les vêtements légers (pantalons et chemises), puis, quand il pensa avoir bien appris le métier, il décida de se mettre à son propre compte.

Penser à une nouvelle reconversion

 

Vente de glace à l'intérieur de la blanchisserie

Quand j’ai abordé les « secrets » du métier de blanchisseur, Ethman a retrouvé une certaine vitalité. On sent que son « affaire » lui tient vraiment à cœur, malgré l’âge et la nécessité de penser, dès à présent, à une reconversion.

Oui, je m’en tire bien, dit-il. Je paye 18.000 UM de loyer et 35. 000 UM pour l’électricité. Je dépense chaque jour 3000 ouguiyas pour la nourriture et je parviens à faire de petites économies.

En bon mauritanien, Ethman m’a parlé, sans retenue, de ses dépenses mais n’a pas voulu livrer de précisions sur ses revenus. J’observe « l’étalage » et j’évalue. Vingt boubous, c’est dans l’ordre de 8000 UM par jour. Lui-même m’avait dit que les chemises et les pantalons sont laissés pour les dépenses (nourriture, savon, gomme, etc). On peut donc penser qu’un blanchisseur gagne 300.000 UM/mois (750 euros). Le double du salaire d’un professeur du secondaire.

Je pense arrêter bientôt, me dit-il.

Il me montre le congélateur et les deux frigidaires qu’il avait achetés pour vendre la glace et faire payer les voisins pour la conservation de leurs poissons et viande.

Je chercherai une place stratégique pour ouvrir une boutique, me dit Ethman alors que je m’apprêtais à demander des précisions sur son « projet ».

« Je n’ai plus l’âge de mes vingt-cinq ans, quand j’ai commencé ce métier, à Zouerate, après avoir compris que, pour être embauché à la SNIM, il faut avoir de longs bras, comme on dit, surtout pour quelqu’un de formation littéraire, comme moi ».

Quand la blanchisserie marchait encore relativement bien, j’engageai souvent, à la journée, un aide pour 1500 UM. Je jouais alors au « patron », ironise-t-il.

Tout en me racontant les difficultés de sa vie de blanchisseur installé dans l’un des plus pauvres quartiers de Nouakchott (« marcet ejliv » ou marché du bois), Ethman avait commencé à repasser les habits que des clients viendraient récupérer en fin de journée. Cela ressemblait à un rite : Les boubous, les sérouals (pantalons maures), les méléhfas (voiles) et les chemises.

Il éprouve une certaine gêne quand il ne peut respecter ses engagements. Les clients ne comprennent pas qu’un blanchisseur n’est pas une machine. Des fois, il a une envie folle de tout arrêter et de dire merde à la vie de forçat qu’il mène. Mais il sait qu’il ne trime pas pour sa simple survie. Les enfants sont là, à côté de lui, et il faut bien qu’ils mangent, qu’ils s’habillent et qu’ils se soignent.

« Tu sais, me dit-il, je regrette vraiment de n’avoir pas refait le bac. C’était l’erreur de ma vie. J’ai pensé qu’en rejoignant mon frère à Zouerate, le travail m’attendait dans cette cité minière qui était la destination de tous les « échoués » d’un système scolaire déjà à la dérive.

Reportage réalisé dans le cadre du Projet : « Liberté, droit et justice : combattre l’esclavage par ascendance en Mauritanie » du Département d’Etat des Etats-Unis.

 

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