Mauritanie : Aziz ne partira pas en 2019

17 avril 2015

Mauritanie : Aziz ne partira pas en 2019

Aziz entouré des généraux qui ont mené le putsch de juin 2008 (Photo : google)
Aziz entouré des généraux qui ont mené le putsch de juin 2008 (Photo : Google)

« Celui qui ne voit pas le ciel, il ne faut pas le lui monter », dit un proverbe de chez nous. L’opposition mauritanienne ne se rend pas compte que le président Aziz manœuvre déjà, quatre ans avant la fin de son deuxième mandat, pour rester encore au pouvoir. Comme elle n’avait pas vu, en 2008, que celui qui a perpétré deux coups d’Etat en l’espace de trois ans n’avait aucune intention de lâcher prise en se laissant battre par les urnes.

On connaît la suite. La bataille menée sur le plan international pour pousser l’ONU, l’UE et l’UA à accompagner la « Rectification », c’est-à-dire le fait accompli. L’Accord de Dakar, la présidentielle de juillet 2009, le sacre d’Aziz, la débâcle de l’opposition et le retour insidieux de la crise politique. Une crise qui, cinq ans plus tard, est devenue notre « normalité ».

Le dialogue dont on parle aujourd’hui a des relents de déjà vu, déjà entendu. L’opposition en sera, encore une fois, le dindon de la farce. C’est une énième mise en scène avec les mêmes protagonistes mais dans un ordre de bataille différent. L’opposition qui s’apprête à redescende dans l’arène, est celle qui avait choisi le boycott des dernières élections municipales, législatives et présidentielle. Seuls les islamistes de Tawassoul avaient choisi d’occuper le vide laissé par le RFD et l’UFP au niveau des deux chambres du Parlement. N’empêche que les islamistes, qui occupent aujourd’hui le statut de « chef de file de l’opposition démocratique », ont fini par rejoindre leur place au sein du Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU). A ce titre, Tawassoul s’apprête à être un acteur majeur du nouveau dialogue, si dialogue il y a ! Et là, j’en arrive au véritable enjeu des manœuvres politiques actuelles.

Alors que le président Aziz a entamé depuis un mois une tournée qui devrait le conduire dans les 12 provinces du pays, l’opposition est « fixée » à Nouakchott, la capitale, et obligée d’attendre la réponse à ses propositions par le puissant ministère secrétaire général de la présidence, Ould Mohamed Laghdaf, qu’on a vu aux côtés du rais dans les deux wilayas déjà visitées. Ainsi, Aziz occupe l’opposition par un éventuel dialogue alors que lui s’occupe, sous couvert de visites de prise de contact avec les populations, dans une opération de séduction et d’évaluation de ses forces dans cette « Mauritanie profonde » sans le soutien de laquelle aucun leader politique ne peut aspirer à diriger le pays. Sauf s’il a la latitude, comme le fit Aziz, en 2005 et en 2008, de procéder par la voie détournée, mais combien habituelle en Mauritanie, des coups d’Etat.

Le baromètre de la « Mauritanie profonde » n’est cependant pas le seul qui pourrait pousser le président Aziz à vouloir modifier la Constitution pour pouvoir rempiler, en 2019. Dans une démarche méthodique, il s’est sans doute assuré le soutien des forces armées et de sécurité, lors de sa dernière visite à l’état-major général où il s’est entretenu longuement avec les officiers supérieurs qui comptent. Quelques semaines plus tard, il en élevait cinq au grade de général dans une démarche qui n’a pas manqué de susciter des interrogations sur cette volonté de « généralisation » à outrance de l’armée. D’aucuns pensent que c’est pour taire toutes velléités de contestation et pouvoir ainsi se consacrer au front de la politique.

Enfin, la troisième « raison suffisante » qui me pousse à dire qu’Aziz est déjà en campagne pour ne pas quitter le pouvoir en 2019, au terme de ce qui devrait être pourtant son deuxième – et dernier mandat – est ce nouveau clin d’œil qu’il fait à la jeunesse qui, avec la « Mauritanie profonde » et l’armée, constituent le tremplin vers le pouvoir.

Personne ne semble voir le rapport, pourtant évident, entre la mise en place très prochaine d’un Haut conseil de la jeunesse, aux prérogatives très larges (mais surtout aux avantages alléchants) et le lancement, hier à Nouakchott, de ce que le gouvernement qualifie de « larges concertations » avec cette frange de la population constituant un véritable réservoir électoral. N’est-il pas étrange qu’au moment où Aziz parcourt les régions du pays pour battre le rappel des féodalités, son Premier ministre, Yahya Ould Hademine, et la ministre de la Jeunesse et des Sports, Coumba Bâ, qui a fait ses armes à la présidence, comme chargée de mission très spéciale, enclenchent une opération de séduction envers les jeunes devant, elle aussi, toucher toutes les wilayas ? Si Aziz parvient à gagner ce pari, on peut dire adieu au dialogue avec l’opposition. Au meilleur des cas, il peut engager ces concertations avec elle, de manière formelle, comme à Dakar, en 2009, et suivre son propre agenda: amender la Constitution, par voie de référendum, conserver le même système de gouvernement, se représenter ou nous servir une recette à la Poutine. Pour ensuite revenir à son antithèse turque, celle de Recep Tayyip Erdoğan qui est passé de Premier ministre très puissant au poste de président encore plus puissant. Alors, Aziz pourra continuer à appeler ses opposants les plus endurcis de « vieillards » occupés à jouer leurs « mesrah » (théâtre) à Nouakchott. Pendant que lui travaille à rester au pouvoir.

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