Affaires d’apostasie en Mauritanie : gains et pertes pour le pouvoir

29 décembre 2014

Affaires d’apostasie en Mauritanie : gains et pertes pour le pouvoir

Ould M'khaytir, condamné à mort en Mauritanie pout apostasie (Photo: google)
Ould M’khaytir, condamné à mort en Mauritanie pout apostasie (Photo: google)

Ould M’Khaytir a finalement été jugé, un an après son arrestation pour apostasie. Jugé et condamné à mort comme attendu également. Une condamnation à la peine capitale qui restera tout de même symbolique devant servir seulement à apaiser les esprits dans un pays qui se présente au monde comme une « République islamique ». Ould M’Khaytir ira grossir les rangs des dizaines d’autres Mauritaniens condamnés à mort, mais qui, en réalité, purgent une peine à perpète. En attendant une grâce présidentielle, un changement de régime, peut-être par putsch, comme cela a souvent été considéré en Mauritanie comme la voie « normale » ou par révision de leur procès.

En examinant les gains et pertes de ce procès où le pouvoir a joué à « qui perd gagne », on se rend compte que la condamnation à mort d’Ould M’Khaytir a fait gagner des points au président Mohamed Ould Abdel Aziz. Le célèbre prêcheur, Mohamed Ould Sidi Yahya, a sorti une nouvelle cassette dans laquelle il félicite le pouvoir mauritanien pour avoir appliqué la chari’a. Par la même occasion, il rend hommage à une justice « qui a fait preuve d’indépendance » ! Il s’est quand même repris pour atténuer ce jugement en disant « aleykoum bi adhawahir » (du moins à partir de ce qu’on voit). Les milliers d’adeptes du cheikh, généralement pas tendre avec le (s) pouvoir (s) en Mauritanie, vont sans doute se sentir redevables au président Ould Abdel Aziz d’avoir exaucé leurs vœux de voir Ould M’Khaytir condamné à mort. C’est donc une exploitation politique d’une affaire judiciaire qui vient à point nommée pour détourner les Mauritaniens des difficultés économiques qui commencent à pointer à l’horizon : retard dans l’exécution de grands projets, chute du prix du fer, non- reconduction de l’accord de pêche avec l’Union européenne mais surtout, une série de scandales qui portent sur le détournement de près de 6 milliards d’ouguiyas (15 millions d’euros) au ministère des Finances et à la Somelec (Société mauritanienne d’électricité). Ce n’est qu’un répit certes, mais une période de grâce qui permet au gouvernement actuel de voir venir. Surtout qu’il y a également l’autre procès, celui de Biram Ould Dah Ould Abeid, engagé presque en même temps que celui d’Ould M’Khaytir. Le président de l’Initiative pour la Résurgence d’un mouvement abolitionniste en Mauritanie (IRA) et ses compagnons encourent une peine beaucoup plus clémente (3 à 5 ans de prison ferme) mais la tension est tout aussi grande. Biram évoque la question très sensible de l’esclavage, et de façon générale, des droits de l’homme en Mauritanie. Un combat qui a permis à l’homme d’acquérir une renommée internationale (lauréat du Prix des droits de l’homme de l’ONU, en 2013) et de pouvoir compter sur une mobilisation internationale en cas de bras de fer avec le pouvoir. Déjà, l’Union européenne a rendu publique une résolution non contraignante demandant à Nouakchott de libérer les militants d’IRA. Nouakchott s’en est offusqué et le président Aziz a même lié cette prise de position de l’UE avec le « désaccord » de pêche qui pousse les navires de l’Union à quitter la ZEE mauritanienne et prive la Mauritanie de plus de 100 millions d’euros sur deux ans.

On comprend donc très bien pourquoi le pouvoir n’a pas voulu juger Biram sur « l’autre affaire », c’est-à-dire, l’incinération des livres du rite malékite et rapprocher son cas de celui d’Ould M’Khaytir. Cela lui aurait créé une situation inextricable à l’extérieur du pays avec un homme dont le réseau de relations va de la France aux Etats-Unis en passant par l’Italie, l’Allemagne et la Belgique. Rien à voir avec un Ould M’Khaytir, surgi du néant pour venir alimenter un débat (celui des inégalités sociales en Mauritanie) qui divise depuis la nuit des temps.

Car il ne faut pas croire que cette affaire est seulement d’essence religieuse. La chari’a, au nom de laquelle on condamne Ould M’Khaytir, n’est pas appliquée dans tous les cas. Allah recommande de ne pas tuer, de ne pas voler, de ne pas boire du vin, de s’éloigner de l’adultère et du mensonge. Et pourtant, le meurtre, le vol, le viol et la fornication alimentent les pages « faits divers » des journaux en Mauritanie. Pour certains de ces crimes, la chari’a exige la peine de mort, mais l’on feint de l’ignorer en appliquant plutôt la loi des hommes.

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