La « Mauritanie profonde » permet à l’UPR de gagner les élections haut la main

2 décembre 2013

La « Mauritanie profonde » permet à l’UPR de gagner les élections haut la main

Dépouillement dans un bureau de vote (photo : Saharamedias.net)
Dépouillement dans un bureau de vote (photo : Saharamedias.net)

Je ne sais par où commencer. Suis embêté. Oui, le titre que je donne à ce billet peut déjà être interprêté comme un parti pris. Alors qu’il ne s’agit que d’une traduction de la réalité. Les chiffres de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Fraude ou pas fraude, les résultats annoncés à l’issue du premier tour des élections municipales et législatives du 23 novembre 2013, donne l’Union pour la République (UPR) grand vainqueur de ce scrutin. Le parti au pouvoir a déjà dans son escarcelle 88 mairies, sur les 218 que compte le pays, et 36 députés des 65 élus au premier tour. Le 7 décembre prochain, le second tour devrait encore permettre à l’UPR, sauf très grande surprise, de conforter son avance, en remportant la plupart de ses face-à-face, que ce soit contre ses farouches adversaires de l’opposition « participationniste » (les islamistes de Tawassoul, l’APP du président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir, ou Al wiam, de l’ancien ministre des Finances sous Taya, Boidiel OuldHoumed), ou avec des « poids moyens » de la Majorité comme le Sursaut national pour la Nation, l’UDP, le PUD ou Al Karama¹.

Pourtant, tout le monde crie à la fraude

Ces élections là marqueront incontestablement l’histoire de la Mauritanie. Non comme un pas de plus pour l’affermissement d’une démocratie imposée par le Discours de la Baule de François Mitterand, en 1990, mais un grand bond…en arrière. On dira, s’il faut vraiment leur trouver une appellation, que ce sont les élections de la contestation généralisée. Opposition « participationniste » et même certains partis de la majorité, ont contesté les résultats qui ont mis plus d’une semaine pour être connus ! Et, pour une fois, c’est à juste raison, que la Coordination de l’opposition démocratique (COD) qui avait choisi l’option du boycott, pavoise. Elle avait bien prévu un tel scénario : Les élections non consensuelles mais surtout organisées dans la précipitation, vont accentuer la crise. On sort avec l’impression qu’on se retrouve, on ne sait par quels effets de magie, à la veille de 2009, alors que se profile à l’horizon la présidentielle de 2014 ! Avec une classe politique éclatée en mille morceaux, le pouvoir du président Mohamed Ould Abdel Aziz sera contraint à dialoguer avec la COD, surtout que les vexations subies, lors de ces élections municipales et législatives, ont poussé la Coalition pour une Alternance Pacifique (CAP), du président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir, a revoir sa position. L’hégémonie du parti au pouvoir, l’Union pour la République, met à nu des pratiques antidémocratiques qu’on  croyait pourtant révolues. Pas de bourrage des urnes certes mais l’exact contraire : on les vide des bulletins de l’adversaire politique, on reconsidère les procès-verbaux pour permettre un second tour où l’UPR doit avoir toutes les chances de son côté. Dans ce que la COD appelle une « farce électorale, la CENI donne l’impression d’avoir été manipulée par le pouvoir. Pour servir ses desseins de maintien d’une majorité parlementaire, lui assurant un gouvernement issu uniquement de l’UPR et des autres partis satellites de la Majorité, et en supportant, seule, les dommages collatéraux de l’élection la plus mauvaise jamais organisée en Mauritanie.

Des craintes pour 2014

Autre fait notoire : Le parti au pouvoir a été sérieusement bousculé dans les grandes villes. A Sélibaby, plus grande circonscription après Nouakchott, il n’a gagné qu’un siège de député sur quatre, les autres revenant à deux partis d’opposition (APP, Al Wiam) et un parti de la majorité (UDP). Dans cette ville du sud, il dispute la mairie au second tour avec l’APP qui l’occupe depuis 2006. A Nouadhibou, capitale économique du pays, c’est le même scénario qui s’est répété, l’UPR devant se contenter d’un seul des trois sièges et venant largement derrière, pour la municipale, après Al Ghassem Ould Bellali, un dissident qui a choisi de se présenter sous les couleurs d’Al Karama. Pour montrer au Président Aziz que ce n’est pas pour rien qu’il est abonné à l’Assemblée nationale, depuis 1986, et qu’il aurait pu l’être aussi à la mairie, s’il n’avait été trahi en 2006. A Rosso, fief du président du Sénat, où le ministre du Commerce, Bemba Ould Dramane, a été présenté pour la commune, le parti au pouvoir a frôlé de très peu la catastrophe et doit batailler ferme pour ne pas perdre, au second tour, contre Al Wiam. On peut dire que c’est presque le cas partout dans les grandes villes du pays (Kiffa, Atar, Kaédi, Boghé, Aleg, Zouerate), ce qui fait dire à certains que l’UPR a été sauvé par la « Mauritanie profonde », celles dont les populations continuent encore à croire, dur comme fer, qu’on ne s’oppose pas au pouvoir. « El houkouma ma touaned² », me disait ma mère déjà, en 1990, quand, jeune professeur, j’avais encore des principes plein la  tête. Toutes les élections durant ces vingt dernières années, lui ont donné raison. En passant ce dimanche voir un ami haut placé, on me dit qu’il est retourné « en campagne » pour le parti au pouvoir ! Eh oui, il aurait été convoqué par son ministre qui lui a intimé l’ordre d’aller mobiliser les siens pour l’UPR, s’il veut conserver son poste. Je suis sûr que c’est la même consigne, la même menace qui a poussé des centaines, voire des milliers de fonctionnaires, à déserter la capitale pour les villes où le pouvoir est sérieusement menacé au second tour. Pourtant, c’est la même situation qui prévaut à Nouakchott. L’UPR devra remettre ça, le 7 décembre prochain, dans les 9 communes de la capitale où l’opposition a presque toujours tenu la dragée haute au pouvoir. Nouakchott où vit le tiers de la population mauritanienne, est la preuve que n’eut été la « Mauritanie profonde », les équilibres politiques calculés à l’aune de la tribu et du rapport au pouvoir ne seraient pas ce qu’ils sont aujourd’hui. En fait, ce qu’ils ont toujours été depuis qu’on savoure les délices de notre « démo-gâchis ».

1. A part l’UDP, qui est en parti créé en 1991, ces formations « nées » en 2011-2012, sont toutes considérées comme des « enfants » de l’UPR.

2. littéralement, on ne s’oppose pas au gouvernement (l’Etat).

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