Autour d’un thé : « l’originalité » de la démocratie mauritanienne

31 octobre 2013

Autour d’un thé : « l’originalité » de la démocratie mauritanienne

Théière sur le feu à la manière bédouine (photo google)
Théière sur le feu à la manière bédouine (photo Google).

Habituellement, qui n’est pas content, en Mauritanie, n’a qu’à « cogner sa tête contre un mur ¹» ou, à défaut d’être à ce point masochiste, tenter de « mordre son nez ² », tant il lui sera plus facile de contempler sa propre nuque que de prétendre changer l’ordre des choses.

C’est un peu comme ça que les gens de l’UPR  (Union pour la République) communiquent, par généraux et tribus interposés. Je m’y mets d’abord. Confortablement. Moi, mes bergers et mes chiens. Ensuite, mes amis et mes proches. Toi, là-bas, t’es le fils de qui ? Hé, ouiiiii !

Ce sont les Ben Voulane ³ ! Ah, ça, impossible de ne pas les avoir au Parlement. Et puis, il faut bien penser au président.

Un cousin par-ci, un neveu par-là et puis un lointain parent par là-bas, pour tromper la vigilance des autres, ce n’est jamais de trop. On ne peut pas mettre tout le monde dans le même sac. Alors, nous avons été géniaux, en pensant à de petits autres sachets où l’on pourrait éventuellement empaqueter tout ce paquet de mécontents et de déshonorés.

Y a pas que député, maire ou général, dans cette République bananière là ! ambassadeur, ministre, CSA, directeurs de cabinet, comptables d’ambassade, conseillers, chargés de mission, PCA et autres emplois moins visibles, comme conseillers très spéciaux en affaires communes et louches. Donc, t’inquiète pas, mon pote, il y en aura pour tout le monde, dans cette République de la démo-gâchis militaire !

La crise. Toujours cette fameuse crise qui dure, dure, dure. Atypique. Vous savez, il y a, quand même, une chose bizarre qui se passe, en Mauritanie. Déjà, en 2005, les militaires nous parlaient d’une situation politique bloquée. Huit ans plus tard, où en est-on ? Une situation bloquée. La crise ! D’août 2009 à octobre 2013, tout se passe autour de la crise.

Cinq ans d’inertie, sur tous les plans. Rien n’a été fait, à quelque niveau que ça soit. Juste quelques poignées de goudron dans les yeux et des discours creux qui « n’engraissent ni ne prémunissent contre la faim ». Et ce ne sont pas ces élections, encore incertaines, qui permettront de voir le bout du tunnel.

Nous sommes obligés de répéter la même chose, sinon, on va dire quoi ? Que Aziz continue à aller à Toueïla ? Ce n’est pas de la presse, c’est de la vie privée des gens. Que les généraux continuent à s’immiscer publiquement en politique, en tirant les ficelles à partir de leurs bureaux qui ne servent plus que de salles de réunion où convoquer les mécontents pour les calmer, et les rivaux pour les réconcilier ?

Ce n’est pas de la presse, c’est du secret d’Etat. Que Messoud et Boïdiel soient en train de légitimer une mascarade électorale, comme en 2009, sachant fort bien qu’ils n’auront plus que leurs yeux pour pleurer, après ? Ce n’est pas de la presse, c’est de l’intoxication. Que la Hapa (Haute autorité pour l’audiovisuel) soit en train de commettre les mêmes erreurs de l’année passée ? Ce n’est pas de la presse, c’est de la diffamation.

Que les écoles n’aient pas encore commencé à enseigner ? Non, çà ce sont des ragots de journalistes. Que ça ne va pas au pays ? Hé, rengaines de journalistes de l’opposition. Finalement, que faire ? Nous sommes devenus comme le cadi des autres ! Les gens ont raison de nommer les partis par le nom de leur leader. C’est plus facile à retenir. C’est plus court. Et c’est, surtout, plus vrai.

Chelkhett Demba. Ould Ely Baby. Hassi Ehl Ahmed Bechna. Eddebaye Mansour… Parti d’Aziz, d’Ould Daddah, de Messoud, de Boïdiel, de Jamil, Ibrahima Sarr, Ould Mah, Ould Abeïdarrahmane, partis des Jeunes, Héhé, Baro et Lalla…

C’est mon bien, j’en donne et j’en reprends. Exemple, au hasard : comment un parti comme l’APP (Alliance populaire progressiste) peut aussi facilement placer, sur sa liste nationale, juste après son président, un nouveau venu, au détriment de gens qui sont là depuis le FDUC (Front démocratique uni pour le changement), le RFD (Rassemblement des forces démocratiques), le RFD/ ère nouvelle , AC et APP ?

Comment, à l’UPR et à El Wiam, gomme-t-on, comme sur un cahier de petit écolier, et dégomme-t-on les gens, suivant des considérations d’un autre âge ? « Les gens avancent, la Mauritanie progresse », comme disait mon vieil ami Sy, un garde retraité, « spécialiste ès» de la langue de Molière. Nous voulions une République, on nous a servi de petits royaumes et de petits roitelets.

Sneiba El Kory (Le Calame)

1. Traduction littérale d’une expression en hassaniya : « en’tah elheyth »

2. Idem

3. Fils de. Référence à la tribu.

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