Mauritanie 1900 -1975 de Francis de Chassey en arabe

Article : Mauritanie 1900 -1975 de Francis de  Chassey en arabe
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21 avril 2013

Mauritanie 1900 -1975 de Francis de Chassey en arabe

Pr Mohamed Bouleiba (crédit photo: Noorinfo)
Pr Mohamed Bouleiba (crédit photo: Noorinfo)

La maison d’édition Joussour vient de publier, la traduction en arabe par le professeur Mohamed Ould Bouleiba de « Mauritanie 1900 – 1975 » publié pour la première fois chez Anthropos en 1978 par Francis de Chassey. Le tirage de cette traduction a bénéficié du soutien de l’Ambassade de France en Mauritanie et de l’Université et de la communauté urbaine de Nouakchott.
La traduction de cet ouvrage, est à notre avis très utile pour le lecteur arabophone mauritanien, venant après la traduction de l’Emirat de l’Adrar de Pierre Bonte, publiée en 2012. Pierre Bonte est un anthropologue qui a consacré de longues études aux structures sociales et politiques héritées de la période précoloniale (émirale) et coloniale. Son travail sur l’émirat de l’Adrar se situe au confluent de l’anthropologie et de l’histoire et, tout en ayant une forme monographique, aborde la plupart des grandes questions intéressant la société bidhân, dans ses héritages et ses mutations présentes.
Francis de Chassey est un sociologue qui s’intéresse au système éducatif et à la formation des « élites » dans la Mauritanie durant la période coloniale et les deux décennies suivant l’indépendance. Son ouvrage dresse un tableau d’ensemble des travaux sociologiques, encore réduits il est vrai, en cette période de la colonisation et la période suivant immédiatement l’indépendance, et il porte un regard nouveau sur un pays qui n’était connu que par les travaux, eux aussi réduits, publiés durant la période coloniale.
L’enseignement qui, dans ce pays, est pratiqué de plus en plus prioritairement en arabe, y compris dans les universités, rend difficile l’accès des chercheurs nationaux à des travaux qui ont pourtant fortement concouru à l’élaboration des paradigmes sur lesquels s’appuient pour une part leurs propres recherches. De manière plus générale, les outils éditoriaux manquent encore en langue arabe qui leur facilite l’usage des concepts et des méthodes dans les disciplines des sciences sociales et humaines. Ce constat est à l’origine du projet de traduction d’ouvrages en français, portant sur la Mauritanie, qui favoriserait cette accessibilité linguistique et le développement des recherches nationales en ces domaines.
Notre souci est, grâce à ces traductions, de mettre à la disposition du chercheur et du lecteur de façon générale, la littérature scientifique concernant la Mauritanie écrite par les universitaires français. L’intérêt de la traduction de ces ouvrages réside donc d’abord dans la complétude des informations qu’elles sont susceptibles de fournir sur les recherches en sciences humaines et sociales aux chercheurs mauritaniens arabophones et aux étudiants intéressés par les recherches sur leur pays et soucieux de contribuer à son développement.
La première partie de ce second ouvrage dresse donc une sorte de sociologie historique de la colonisation française en Mauritanie, ses principes, ses effets et contre-effets sociaux (résistances, accommodations, transformations). La deuxième partie se propose de faire la sociologie de cette nouvelle société indépendante qui commençait à peine comme tant d’autres à l’époque, en analysant les contradictions qu’elle devait surmonter malgré l’impérialisme, notamment économique, qui continuait sous d’autres formes : le développement déséquilibré de son économie avec Miferma ; la construction d’un État indépendant avec l’évolution de son régime et son idéologie : la politique vitale de l’enseignement, ses résultats et ses difficultés ; les conflits sociaux enfin suscités par toutes ces questions, en particulier la violente division ethnique en 1966 parmi les scolarisés et les fonctionnaires à propos de l’enseignement obligatoire de l’arabe puis l’union de ces jeunes et des salariés contre l’impérialisme capitaliste étranger au sein du MND et des Kadihin, contribuant ainsi aux importantes réformes progressistes et indépendantistes des années 70.
Dans sa première partie, l’ouvrage procède à une analyse sévère et argumentée de la colonisation française proprement dite qui venait à peine de s’achever, de l’idéologie coloniale dans le cadre de l’impérialisme économique, politique et culturel occidental défini au sens technique et précis du terme. De ce point de vue, il annonce largement les études anglo-saxonnes postcoloniales en vogue plus de deux décennies plus tard. De Chassey notait que ces analyses n’avaient pas rencontré l’assentiment de la plupart des anciens administrateurs et officiers coloniaux encore nombreux et influents alors. De plus, l’auteur se référait explicitement à une méthode « marxiste » qui selon lui était et reste une des rares qui permette l’analyse globale d’une société dans toutes ses dimensions. Un certain nombre, confondant alors souvent marxisme et communisme, ont pu en conclure d’emblée, sans lecture critique précise, que cela disqualifiait a priori les analyses menées.
Le livre dans son ensemble est une analyse perspicace de l’évolution des structures sociales en Mauritanie, de l’impact de la colonisation sur les sociétés dites traditionnelles et du phénomène du sous-développement, vu ici comme un corollaire de la colonisation et de l’impérialisme.
Dans ce livre, De Chassey analyse les causes profondes du sous-développement des sociétés précapitalistes d’Afrique de l’Ouest qui étaient sous la domination de la colonisation française (la Mauritanie comme exemple). Une place « disproportionnée », selon l’expression de l’auteur est accordée à l’enseignement « envisagé comme instance de reproduction et ici éminemment de translation sociale ». Le lecteur trouvera dans ce livre une analyse détaillée de l’évolution du système de l’enseignement, depuis le début de la colonisation jusqu’à 1975 et des différentes politiques adoptées dans ce domaine par les colons et plus tard, par les dirigeants de l’Etat indépendant ou «l’Etat  néocolonial » selon l’expression de l’auteur.
Se référant à une documentation très riche, De Chassey expose la politique coloniale vis à vis de l’arabe et de l’enseignement traditionnel de façon générale, les efforts entrepris pour « canaliser » l’Islam, les politiques d’assimilation et d’association qui vont dans le même sens. C’est ce qu’il appelle l’impact idéologique de la colonisation qui aura à son tour un impact sur le fonctionnement des structures traditionnelles et donc sur la vie politique de la société.
Pour s’implanter dans ces sociétés, le colonisateur a suivi une politique sélective dans l’enseignement : « Considérons l’instruction comme une chose précieuse qu’on ne distribue qu’à bon escient et limitons en les effets à des bénéficiaires qualifiés. Choisissons nos élèves tout d’abord parmi les fils de chefs et de notables. La société indigène est trop hiérarchisée. Les classes sociales sont nettement déterminées par l’hérédité et la coutume. C’est sur elles que s’appuie notre autorité dans l’administration de ce pays. » (Circulaire Carde 1924).
C’est donc à partir de la classe dirigeante traditionnelle et à travers les écoles que le colonisateur forme ses collaborateurs, ses alliés et ses successeurs. Ces écoles « préparent à plus ou moins longue échéance des chefs, des fonctionnaires, qui participeront à notre autorité et qui doivent être des auxiliaires sûrs ; elles entretiennent ou elles forment une aristocratie de la naissance, de l’esprit et du caractère » (G. Hardy). «Il nous faut des indigènes appartenant aux milieux indigènes par leur origine et au milieu européen par leur éducation. » (Delafosse).
Cette classe dirigeante, alliée au colonisateur, garante de ses intérêts, n’est cependant pas exclusivement issue de l’aristocratie dirigeante traditionnelle. Elle est aussi constituée des agents subalternes de l’administration coloniale.  « On verra que, contrairement à ce qui semble s’être passé ailleurs, l’administration s’est efforcée de recruter ces agents, surtout chez les maures, dans les familles traditionnelles de chefs et de notables et a particulièrement veillé à leur formation idéologique. Le rôle d’intermédiaire que leur confère leur fonction a été renforcée. Mais ce fut aussi, pour certaines familles, le moyen d’accéder à la chefferie ou à la notabilité, aux dépens d’autres qui en eussent hérité normalement par le jeu des coutumes traditionnelles. Car les plus modestes intermédiaires du pouvoir colonial ne sont pas les moins importants, pourvu qu’ils en soient les plus dévoués et bien informés. (De Chassey).
Sur le plan économique, la période coloniale est marquée par l’absence de mise en valeur. D’une part, la loi du 13 avril 1900 prévoit que chaque colonie doit se débrouiller pour « assurer ses charges civiles et de gendarmerie »,d’autre part, la Mauritanie n’ était considérée que «  comme une marche destinée à assurer la sécurité des pays noirs puis du Protectorat marocain plutôt que comme une colonie demandant à être mise en valeur » .« Notre action économique essentielle consiste à subvenir à nos besoins » dit un administrateur Français. Cette politique économique va entrainer, d’une part, la paupérisation des masses par les impôts, un exode vers les villes à la recherche d’un travail salarié (pour payer les impôts et entretenir la famille) et l’introduction de la monnaie et des rapports marchands, d’autre part, l’enrichissement de la classe privilégiée : les collaborateurs : chefs de tribus, de cantons, chefs de fractions ou notables.
Cette couche, formée et appuyée par le pouvoir colonial, constituera après l’indépendance la couche bureaucratique dirigeante, monopolisant ainsi la vie politique et économique du pays. « Elle se définit encore comme une minorité restreinte issue des strates supérieures des sociétés traditionnelles transformées par la colonisation et jouant un rôle économique privilégié d’intermédiaire entre le capital, étranger ou local, et la force de travail dans l’instauration des rapports de production capitalistes en Mauritanie. »
L’auteur de cet ouvrage, Francis de Chassey, est arrivé en 1964, âgé alors de 30 ans, en Mauritanie comme professeur de philosophie au Lycée de Nouakchott et de pédagogie à l’École normale d’instituteurs qui venaient d’être fondés et il y est resté jusqu’en 1970.
Comme beaucoup d’autres alors il a été vite fasciné par les civilisations traditionnelles de ce pays dans lesquelles vivaient encore pour l’essentiel à cette époque 95% de la population, en majorité nomade. Pour les comprendre il s’est mis avec assiduité à voyager à l’intérieur du pays à chacune de ses vacances, à rencontrer les savants et sages mauritaniens et parler de leurs propres sociétés, à lire aussi tout ce qu’il pouvait trouver en français sur ces civilisations.
Il a été aussi très vite surpris par la très grande curiosité intellectuelle de ses élèves, leur capacité et plaisir à réfléchir discuter très rigoureusement et méthodiquement aussi bien sur les grands problèmes de la philosophie classique que sur ceux de leur époque et de son avenir, tout cela beaucoup plus que ses élèves en France à la même époque. Dans le but de comprendre ces dispositions étonnantes pour lui, il s’est mis à interroger ses élèves et à étudier de près non seulement l’instruction traditionnelle (l’école coranique et ses prolongements supérieurs) mais toute l’éducation de l’enfant nomade sous la tente ou du petit paysan dans son village et leur articulation avec l’enseignement scolaire « moderne » tel qu’issu alors récemment de la décolonisation en cours. Mais en tant que coopérant, il était encore plus intéressé par le présent et l’avenir de ce pays saharien et sahélien devenu tout récemment indépendant que par son passé: quel régime politique allait-il adopter ? Quelle politique intérieure et extérieure en rapport avec sa situation difficile de « trait d’union entre Afrique noire et Afrique blanche » ? Quelle idéologie et quelle voie concrète de développement économique  dans ce monde très fortement partagé alors entre communisme et capitalisme ? Tout en gardant la réserve à laquelle il était tenu comme professeur et coopérant, F. de Chassey a pu suivre ainsi de très près pendant six ans de présence et les quatre années suivantes les événements et évolutions politiques et économiques qui répondaient à ces questions et dont il a été souvent un témoin direct. Au bout de quelques temps, avec toutes les connaissances accumulées à partir des centres d’intérêt énumérés plus haut et poussé par quelques amis, Francis de Chassey s’est mis à faire ce qu’il n’avait pas prévu au départ :  un doctorat d’Etat de 760 pages (épaisseur fréquente à l’époque) soutenu en Sorbonne en juin 1972 avec la mention très honorable à l’unanimité et publié aux Presses universitaires de Lille sous le titre « Contribution à une sociologie du sous-développement, l’exemple de la République islamique de Mauritanie ». Son jury était composé du célèbre anthropologue et sociologue de l’Afrique noire, Georges Balandier ainsi que d’autres éminents chercheurs.
Le doctorat était divisé en trois parties étudiant chacune méthodiquement au niveau économique, politique et idéologique ou éducatif et culturel une des trois grandes périodes historiques de la Mauritanie. La première faisait l’ethnologie, comme on disait alors, ou l’anthropologie des structures complexes des sociétés traditionnelles maures et Halpoular, (à titre d’exemple d’une des sociétés négro-mauritaniennes du Fleuve) nécessaires pour comprendre leur devenir. Cette partie fut publiée en un livre à part dès 1976 chez Anthropos repris par l’Harmattan sous le titre «  L’étrier, la houe, le Livre. Société traditionnelles au Sahara et au Sahel occidental ». Les sources de cette 1° partie devenue livre sont en bonne partie de seconde main dit-il quelque part. C’est une tentative de synthèse et de réflexion de tout ce qu’avaient écrit sur ces société traditionnelles, du moins en français ou traduction française, les lettrés mauritaniens, les mémoires des administrateurs et officiers coloniaux au CHEAM, (Centre des hautes études d’Afrique et de Madagascar) et des spécialistes officiels comme Marty, Gaden etc… Mais l’auteur a eu aussi de longs entretiens avec des sages et érudits tels que Moktar ould Hamidoun par exemple, ou Ould Bah, ainsi qu’avec de nombreux plus jeunes et brillants du Trarza surtout et de l’Adrar. Après coup, l’auteur s’est dit qu’autant peut-être il avait un regard critique et froid sur les sociétés coloniales et indépendantes de Mauritanie, il donnait peut être une vision un peu idéale et rationalisée de ces sociétés traditionnelles. Cela reflétait sans doute l’enthousiasme de sa découverte et de l’hospitalité qu’il recevait mais aussi, notamment sur les « rapports marabouts-guerriers ».
Les deux parties suivantes de la thèse ont fait l’objet d’un autre volume publié d’abord en 1978 à Anthropos « Mauritanie 1900-1975 »,  puis à l’Harmattan depuis 1984 , et que nous venons de vous présenter sa traduction en arabe plus haut.
Mohamed Ould Bouleiba.

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