Le président de l’Assemblée nationale de Mauritanie : « Un gouvernement d’union nationale est une question de bonne volonté et de choix de celui qui gouverne »

Article : Le président de l’Assemblée nationale de Mauritanie : « Un gouvernement d’union nationale est une question de bonne volonté et de choix de celui qui gouverne »
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27 février 2013

Le président de l’Assemblée nationale de Mauritanie : « Un gouvernement d’union nationale est une question de bonne volonté et de choix de celui qui gouverne »

Crédit photo: Sneiba Mohamed
Crédit photo: Sneiba Mohamed

Messaoud Ould Boulkheir, président de l’Assemblée  nationale depuis 2007 et de l’Alliance populaire progressiste, est une personnalité nationale qu’on ne  présente plus.  Opposant féroce au pouvoir d’Ould Taya, qui a pourtant fait de lui, en 1984, le premier ministre haratine depuis l’indépendance de la Mauritanie, il a continué la lutte pour la démocratie après avoir mené celle pour l’éradication de l’esclavage et l’émancipation d’une communauté qui compterait pour plus de 40% de la population mauritanienne. A l’heure où la scène politique nationale connait une effervescence sans précédent, rappelant celle de la crise de 2008, nous l’avons rencontré pour évoquer avec lui les questions de l’heure en Mauritanie ; celles qui préoccupent l’opinion publique nationale, telles la crise politique, les élections, les rapports avec le pouvoir, la guerre au Mali, le «printemps arabe, etc. »

Vous avez annoncé, récemment le lancement officiel de votre initiative. Quelle évaluation faites-vous de ce lancement ?

Je vous remercie d’abord pour l’occasion offerte de parler non seulement de l’Initiative qui vient d’être lancer officiellement mais aussi de diverses questions de l’heure.

Oui, l’opportunité était bonne, les conditions étaient favorables pour annoncer, officiellement, le lancement de cette initiative, surtout que le temps a été donné aux acteurs politiques et aux organisations de la société civile de l’étudier pour pouvoir se prononcer sur elle. Mais il y a eu, l’incident malheureux de blessure du président de la République, Mohamed Ould Abdel Aziz, qui a aussi obligé à attendre son retour après une convalescence de plus d’un mois en France, pour en discuter avec lui ; parce que, réellement, c’est lui le premier concerné. A son retour donc, je l’ai rencontré et lui ai présenté l’initiative recevant alors ses remarques sur ce plan de sortie de crise. Il n’y avait alors plus aucune raison d’attendre pour le lancement officiel de cette initiative destinée à favoriser la réconciliation nationale, surtout qu’à nos problèmes intérieurs sont venues s’ajouter les complications liées à la crise malienne.

Concernant l’évaluation du lancement officiel de l’initiative, il faut se référer aux nombreux avis donnés par les autres et à la très forte mobilisation (toute la Mauritanie, toutes les communautés), ce qui dénote de l’intérêt accordé à cette initiative par la COD et par la Majorité présidentielle représentées au plus haut niveau. Par aussi la présence du corps diplomatique et les témoignages qui disent que le Palais des congrès de Nouakchott a connu, le 11 février 2013, l’une de ses affluences record. Cela nous encourage à aller de l’avant. Les Mauritaniens veulent, plus que jamais, une solution à la crise ; les gens sont réellement fatigués de cette situation. L’espoir est grand que cette attente populaire, cette pression des masses sur les politiques poussent les uns et les autres à lâcher du lest, à se rapprocher pour s’entendre sur les modalités d’une sortie de crise convenable.

La COD pense que l’Initiative est la  preuve qu’il y a une crise politique dans le pays, ce que la majorité nie de toute évidence. Alors pour vous, il y a crise ou pas crise ? Autrement, quelle appréciation faites-vous de la situation politique dans le pays ?

Les analyses, les appréciations dépendent de ceux qui les font. Chacun regarde la situation en fonction de prismes et de perspectives propres. Mon point de vue à moi c’est cette initiative qui regarde la situation dans tous ses aspects, politique, économique, social, militaire, etc) ; ce qui suppose qu’il faut trouver une issue, accorder de l’importance aux problèmes des populations, leur assurer une réelle égalité des chances, la justice ; c’est ce qui nous manque réellement pour créer un citoyen véritable. J’ai dit sans ambages que la situation actuelle n’est pas celle que veulent les citoyens ; alors est-ce une crise ? Celui qui répond par « non » doit trouver une appelation à la situation présente. J’irai même plus loin, en disant qu’il y a une crise partout, au niveau des hommes politiques, de la citoyenneté, l’administration, la  gestion de l’Etat, une crise qui n’épargne personne ; mais aussi que je ne comprends pas pourquoi ceux qui évoquent cette crise ne soient pas plus disposés, dans l’intérêt du pays, à se rapprocher du pouvoir pour tenter de trouver une issue à la situation préoccupante qui prévaut aujourd’hui. C’est pourqoi, je reviens pour dire que s’il y a une crise politique, économique, morale, il y a aussi une crise des hommes politiques mauritaniens et la question qui se pose est : sont-ils à la hauteur ou non ? Loin de moi ici la volonté de douter de la capacité de quiconque ou de ses capacités mais l’appel que nous avons lancé pour la  réconciliation, « la Mauritanie d’abord » exige qu’on laisse de côté nos convenances personnelles pour penser aux meilleurs moyens de bâtir un pays auquel nous serons fiers d’appartenir, que nous défendrons tous et  mettons ses intérêts avant les nôtres. C’est ce que je veux dire ici.

Pensez-vous que les élections sont la voie  royale pour venir à bout de la crise et quelles sont les conditions à réaliser avant d’aller à ces échéances ?

La participation de tous les partenaires politiques aux futures élections est une nécessité, ne serait-ce que pour l’acceptation de  leurs résultats. Et parce qu’aussi, organiser des élections, c’est permettre à chaque citoyen de donner son avis.  Les autorités doivent  donc œuvrer pour que tous les Mauritaniens participent à ces élections. Je repète que c’est une condition importante de leur validité. Il faut que les conditions d’organisation du scrutin soient acceptées par l’opinion publique nationale et internationale pour que celui qui décide de ne pas participer le fasse pour des raions autres que celles de la non transparence. Naturellement, la classe politique doit trouver le consensus nécessaire pour s’entendre et résoudre les problèmes politiques pendants. C’est d’ailleurs là l’objectif de mon initiative qui met en avant l’intérêt national et non celui des  partis ou des individus.

Il est aussi dans la nature même des élections qu’elles connaissent une participation importante ou moindre, mais il ne faut pas que, dans ce dernier cas, cela soit mis sur le dos de manquements mais de choix personnels.

Pour en venir à l’autre terme de votre question lié à la possibilité ou non d’’organiser les élections cette année, je dirai que tout dépend de l’enrôlement en cours qui doit être achevé rapidement mais avec sérieux. Nous avons besoin de savoir combien nous sommes, c’est incontestable, mais après le travail de l’administration (l’Agence Nationale du Registre des Populations et des Titres Sécurisés, NDLR), nous aurons besoin d’un audit. Alors si les choses sont faites de cette manière, avec l’enregistrement de tous les citoyens, la vérifiction des listes, l’assurance que c’est bien la CENI qui contrôle l’opération et non le ministère de l’Intérieur, alors celui qui prendra la décision de ne pas participer l’aura voulu. Ce sera alors un choix politique et c’est son droit.

Sans doute que parmi les préalables à l’organisation de ces élections figurent en bonne place la CENI et un état-civil fiable. Considérez-vous la formation d’un gouvernement d’union nationale comme une troisième condition sine qua non ?

Non ce n’est pas vraiment une condition nécessaire. Un gouvernement élu qui gouverne n’est pas obligé de partager avec son opposition mais j’ai  dit que l’intérêt général et la situation qui prévaut peuvent le  pousser à le faire. C’est une question de volonté et de choix, pas plus. Toutefois, parmi les griefs que je fais au pouvoir actuel c’est de gouverner sans les autres. Oui, il y a des postes que l’opposition ne doit pas convoiter (ministres, et autres nominations à caractère politique) mais il y en a d’autres où il faut voir les choses autrement. Si le pouvoir décide de s’ouvrir à tous, ce sera un signe de bonne  volonté, une preuve qu’il accorde de l’importance à l’intérêt national. C’est donner la  chance à tous de participer à des élections libres et transprentes non conduites par le ministère de l’Intérieur. Ce sera aussi l’occasion donnée à l’opposition de savoir que la démocratie ce n’est pas seulement dénoncer ce qu’elle considère comme les errements du pouvoir, reconnaître un président, le rejeter ensuite, pour le reconnaitre à nouveau, mais savoir aussi accepter ses propres erreurs, participer à l’apaisement,  à la consolidation de l’unité nationale et œuvrer de la sorte au développement du pays et  au renforcement de la  démocratie.

La crise politique a son pendant sur le plan économique. Que pensez-vous des conditions de vue des populations et de la  gestion des affaires par l’actuel gouvernement ?

J’ai toujours dit que je ne suis pas  satisfait de la situation économique dans laquelle se trouve le pays. Les ressources dont parle le  gouvernement ne profitent qu’à une minorité. Les choses doivent être revues  et corrigées ; les riches dans ce pays sont connus, ils appartiennent à quelques régions, voire à certaines familles. Les Mauritaniens doivent pouvoir profiter de leur poisson et de l’or qu’on dit exister en grandes quantités. Une telle abondance doit se réfleter dans les salaires, se traduire dans la construction des routes, des hôpitaux et de projets qui bénéficient aux populations. L’argent n’a pas d’importance s’il n’est pas investi et s’il ne profite pas aux citoyens au niveau des secteurs sociaux comme l’éducation et la santé, des domaines où cela  est loin d’être évident. J’ai dit, dans mon initiative, que l’enseignement va mal,  de sorte que le désespoir gagne tous  les coeurs. On se demande à quoi sert-il d’avoir un grand diplôme si on ne peut accéder au travail, s’il n’y a pas possibilité de vivre décemment, d’avoir un logement alors que des personnes sans références parviennent, grâce à leurs relations, à se hisser au sommet et à amasser des fortunes immenses. Ce qui pousse certains à se demander à quoi servent les études. La situation au niveau de la santé n’est pas meilleure. Il suffit de voir la ruée,  ces dernières semaines, vers un puits que l’on dit pollué censé guérir tous les maux ! C’est effarent. Ajoutons à cela qu’il y a  des communautés marginalisées qui souffrent plus que les autres, même si la situation commence à se généraliser. Oui, il y a ceux qui n’ont jamais connu l’école, qui n’ont jamais été soignés et ont toujours lutté pour leur survie. Et au  lieu  de faire quelque chose  pour cette large frange de la population, on laisse la situation empirer pour que la misère gagne une partie de ceux qui ont toujours été épargnés. C’est là où il y a le danger. Sans doute que l’augmentation vertigineuse des prix compte parmi les problèmes sérieux que rencontrent les citoyens qui éprouvent de plus en plus de difficultés à subvenir à leurs besoins quotidiens. Sans doute aussi que l’accumulation de tous ces problèmes et la tension qui en résulte rendent la siation plus qu’explosive. Il faut donc penser, au plus vite, à la corriger par une meilleure redistribution des richesses, une meilleure offre dans le domaine de l’éducation, de la santé et du logement. Sans cela, inutile de se voiler la face, il y a un risque d’explosion sociale, malgré que l’on soit un peuple pacifique et comme on dit, la patience à ses limites. J’ai abordé toutes ces questions, en toute objectivité, dans mon initiative parce que je considère qu’il est de mon devoir de dire aux Mauritaniens la vérité, ou du moins ce que je pense, de faire des propositions susceptibles de contribuer à tout ce qui peut alléger les souffrances des populations et éviter au pays le chaos.

L’organisation IRA a sillonné  en long et en large l’intérieur du pays, mettant en avant la dénonciation de l’esclavage. Pensez-vous que ce phénomène que vous êtes le premier à avoir dénoncé et combattu, nécessite toujours de telles méthodes de lutte ?

La meilleure façon d’aborder cette question est, je le pense, celle que j’ai adoptée, moi et mes camarades, il y a longtemps de cela. C’est le combat pacifique. Nous sommes un seul peuple, un peuple musulman dont il faut veiller à l’unité et à la cohésion sociale. La violence ne règle rien et j’ai déjà dit, en des occasions diverses, que je ne partage pas la méthode suivie par IRA. Ce que je partage avec eux, c’est cette conviction que l’esclavage est un fléau qui existe à très grande échelle, et qu’il est entouré par des îlots de pauvreté, d’ignorance et de marginalisation qui rendent encore plus précaire la situation d’une grande frange de la société. Ce fléau doit être combattu par les moyens pacifiques et nous devons comprendre que c’est l’affaire de tous. L’Etat, premier responsable, doit se départir de sa carapace démagogique et reconnaître que ce phénomène existe encore ; il doit surtout sommer son administration, sa justice et ses responsables d’appliquer les lois. L’Etat doit aider toute personne ou organisation qui œuvre, sincèrement, sans arrière pensée, à l’éradication de ce fléau, parce que nous sommes un même peuple, et il ne faut pas créer la division au sein  des fils  d’un même pays.

Contre l’esclavage, il ne suffit pas de promulguer une loi, ou même de le dénoncer dans  une constitution. C’est une pratique abjecte contre laquelle tous doivent lutter, mais de manière pacifique, sans haine et sans passion, sans provoquer  une scission au sein du peuple.

L’APP a connu ce que certains ont appelé  une  crise politique ayant conduit à la sortie de certains de ses leaders qui ont d’ailleurs créé un nouveau parti. Cette scission vous a-t-elle affaibli, comme le supposent certains ?  Et quelles sont vos relations avec ces désormais « anciens dirgeants » de l’APP ?

Je commencerai par le second terme de votre question en disant qu’il n’y a pas de relations entre ces personnes et moi. Ce n’est pas que je  refuse, mais je pense que celui qui est parti, qui est devenu « indépendant », doit s’occuper de ce qu’il fait, avoir un programme politique qui ne soit pas seulement la critique de Messaoud. Je vous dis, que l’APP se porte très bien après ce départ. La confiance en son programme et en son président existe toujours et augmente même  jour après jour. Je n’en veux pour preuve que la grande mobilisation et les témoignages favorables au lancement officiel de mon initiative pour lequel une invitation a été adressée au parti qu’ils ont créé (Al Mostaqbal, ndlr) comme à toute autre formation de la COD.

Pourtant, dans un entretien avec une radio locale, le président d’Al Mostaqbal a déclaré avoir été invité par une des parties soutenant l’initiative.

Je ne m’intéresse pas  aux dires des gens, et  comme je l’ai  dit auparavant, mon objectif ici n’est pas de répondre aux déclarations des autres.parce que je considère que mon rôle est de  montrer la voie à tous, de faire ce que je considère comme juste et profitable à tous les Mauritaniens. Je ne fais pas la politique pour médire des autres. Et si j’ai un conseil à leur donner c’est de dire que celui qui a créé un parti doit avoir un grand projet de société et s’occuper à la réaliser. Les partis ne se fondent pas sur la critique des personnes. Ils doivent comprendre cela et laisser Messaoud tranquille.

Toujours dans le cadre de ce qui se  raconte, l’on pense qu’APP est devenu « un parti de la Majorité » ou du moins que Messaoud Ould Boulkheir a  des affinités suspectes avec Aziz. Que répondez-vous à ces  insinuations ?

Je redis la même  chose à ceux qui pensent ainsi. Celui qui te donne un conseil doit regarder d’abord ce qu’il fait lui-même. Je ne suis pas de la Majorité, j’en ai fait partie  un court instant et c’est Mohamed Ould Abdel Aziz qui m’en a fait sortir. L’histoire est là pour dire qui a fait quoi et ce qui s’est passé est connu de tous. En fait, j’ai rencontré le président dans le cadre d’un dialogue demandé par lui et qui a été accepté d’abord par l’ensemble de l’opposition. Mais le  « printemps arabe » est venu brouiller les cartes poussant certains à faire marche arrière alors qu’il y en avait qui cherchaient à me pousser moi à aller plus vite vers ce dialogue. Si dialoguer avec Ould Abdel Aziz suppose être avec lui, alors oui, je suis preneur parce que l’intérêt de la Mauritanie passe avant tout. C’est la préoccupation, la seule, que j’ai eu durant tout mon parcours dans l’administration et en politique.

Il y a l’affaire Bouamatou. Certains se demandent pourquoi vous n’agissez pas dans son cas, comme cela a été fait pour d’autres hommes d’affaires, d’autres personnes ?

Vous vous rappelez sans doute de ce que j’ai dit à la télévision, lors de l’émission « El Hiwar » (dialogue) à propos de cet homme ? J’ai évoqué l’aide qu’il m’avait apporté lors de la campagne présidentielle parce que j’estime qu’il fallait le faire. Je ne suis pas ingrat,  Quand j’ai appris la nouvelle de ses tracas avec le pouvoir, j’ai revêtu mes habits officiels et suis parti voir le président de la République pour l’entretenir de cette affaire – et de plusieurs autres concernant les mauritaniens de manière générale qui viennent me poser leurs problèmes espérant que je puissent les régler. Le président m’a promis que le ministère du Commerce va s’occuper du problème posé par les importateurs de « zazou » (sachets en plastique) mais pour le cas d’Ould Bouamatou, il avait des arguments et une position que j’ai transmis à qui de droit par l’entremise de ses proches. Voilà, je vous l’ai dit, j’agis en toute discrétion, sans tambours ni trompette, parce que dans ce genre de démarche, c’est une conviction, un devoir envers les Mauritaniens, de quelque condition qu’ils soient,  et non un acte à exploiter politiquement.

Quelles relations  entretenez-vous avec les partis de la COD ?

Ce sont des relations normales. Pas comme avant mais des relations apaisées. Vous vous rappelez là aussi que je suis le premier à avoir brisé la glace mais leurs réactions n’ont pas été les mêmes. Maintenant que mon initiative est lancée de manière officielle, je suis décidé à revenir les voir une nouvelle fois pour discuter et probablement, ils comprendront que les problèmes de la Mauritanie nous concernent tous et ne doivent pas être ramenés à des dissensions entre personnes. Et si nous avons l’ambition de gouverner la Mauritanie, on doit être ouvert pour comprendre qu’on peut avoir des positions différentes mais cela n’empêche qu’on se rencontre pour discuter de ce qui concerne la Mauritanie et les Mauritaniens.

Avant de dépasser cette question, il a  été annoncé, hier (mercredi 20 janvier 2013) que l’actuel président de la COD compte présenter une initiative de sortie de crise dont le principal  point est la réduction des pouvoirs du président ? Un premier commentaire ?

Je pense qu’en parler peut être vu comme une jalousie pour mon initiative et c’est pourquoi je préfère me taire. De toutes les façons, s’il s’agit de compétition entre les initiatives, elles doivent être  posées toutes et c’est aux Mauritaniens de choisir. Leur initiative est la dernière à être annoncée ;  plusieurs initiaitives ont été lancées avant la  nôtre mais leurs initiateurs ont fini par la soutenir. Et si l’objectif de cette  initiative est de faire barrage à mes propositions, je dis « inna lilahi we inna  ileyhi rajioun » (nous sommes à Dieu et à Lui nous revenons). Je ne suis pas loin de ce qu’ils proposent et l’essentiel, encore une  fois, c’est l’intérêt de la Mauritanie.

Quelle est la  nature des relations à l’intérieur de la CAP ? Est-ce une alliance conjoncturelle (pour mener le dialogue avec le pouvoir) ou bien stratégique (pour aborder les futures élections en tant que front uni) ?

Il est prématuré  d’en parler. Nous tous marchons sur le chemin de l’entente et de l’apaisement entre les différents pôles politiques, avec comme objectif de préserver l’intérêt supérieur de la Nation. Je pense que, concernant les élections, il y a plusieurs conditions qui doivent se réaliser d’abord pour déterminer notre position sur les élections. Comme je l’ai dit, il faut que les conditions de transparence soient réunies  pour aller à ces élections. En ce qui me  concerne, s’il y a  des choses qui clochent, je ne m’engagerais pas. Je précise que je parle ici en mon nom.

Pensez-vous que l’intervention française au Mali était l’unique solution pour régler la crise et quelles conséquences a cette dernière sur la Mauritanie ?

Oui, pas seulement nécessaire mais aussi voulue par les Maliens eux-mêmes. Je soutiens cette intervention de la France et de la Cedeao et regrette que la Mauritanie ne se  soit pas engagée à leur côté. En tant que voisin du Mali, il était de notre devoir de voler à son secours, de participer au règlement de sa crise. Ensuite, ce qui touche le Mali constitue également une menace pour la Mauritanie. Si c’est le terrorisme, il nous a déjà traumatisé avant lui et si c’est le problème de la difficile cohabitation entre communautés différentes, nous sommes dans une situation pareille.  Certaines d’entre elles considèrent qu’elles sont victimes de l’injustice et de la maginalisation. Donc si les portes de la sécession sont ouvertes, nous ne pouvons y faire face parce que nous sommes un Etat fragile. C’est ce qui me pousse à soutenir l’intervention au Mali et à dire que c’était un devoir politique, moral et religieux pour la Mauritanie envers ce pays frère d’y aller aussi.

On ne peut finir Monsieur le Président sans connaître votre avis sur le « printemps arabe » et les évolutions qu’il a connues.

Concernant la Syrie, je suis du côté des révolutionnaires. En ce qui concerne les « printemps arabes », les peuples savent mieux que quiconque ce qu’ils font. Chacun agit en fonction de ses spécificités, de ce qu’il pense juste et bon pour lui. Et, de manière générale, je ne souhaite pas que les révolutions arabes suivent le pas de la révolution française menée au nom de la liberté, de la République, mais qui, finalement, a produit un empire. Les révolutions, dans leur idéal de justice et de défense des faibles ne peuvent être rejetées par personne. Je souhaite la paix pour tous et que ces révolutions soient le moyen d’instaurer la justice et la  liberté dans ces pays. Mais si l’objectif de ces « printemps arabes » est tout simplement ce qui correspond au dicton qui dit « pousse-toi que je me place », pour que ceux qui arrivent au pouvoir reproduisent les mêmes pratiques hier honnies de tous, le mieux est que cela soit par les voies pacifiques, celles qui préservent les vies et les infrastructures de base d’un pays. Celui qui observe la Syrie constate, malheureusement, qu’elle a été détruite, ce qu’aucun président, même élu démocratiquement, ne doit se permettre. Et que dire alors d’un président dans les habits d’un émir ? La Syrie n’est pas une dynastie des Assad. Bachar qui n’est pas parvenu au sommet de l’Etat par ses mérites et son travail mais comme « héritier » de son père, le sait très bien. Détruire un pays et tuer des dizaines de milliers de gens pour rester au pouvoir est la plus grande preuve qu’il n’est pas habilité à demeurer à la tête de la Syrie. L’objectif de tout dirigeant est de protéger son peuple avant de se protéger lui-même.

Un dernier mot

Je réitère mes remerciements particulièrement à ceux qui ont soutenu mon initiative dès le début et ont vu en elle une proposition sincère au service de ce pays, lui ont donné cette importance et ce soutien dont elle avait besoin. C’est ce qui est attendu de tous les pôles politiques, qu’ils mettent l’intérêt de la Mauritanie au  dessus de tout. Je remercie aussi le peuple mauritanien qui, dans sa diversité ethnique et politique, a préféré mettre de côté l’appartenance politique pour se mobiliser derrière mon initiative et pour montrer que l’opinion publique nationale préfère l’entente et la réconciliation, que le peuple se lasse de ces antagonismes sans fin. Je remercie également les hommes politiques qui, en fin de  compte, ont choisi de  participer au lancement officiel de cette initiative. La présence de tous les leaders de la COD, que je remercie ici, est un bon présage pour la suite, avec l’espoir d’arriver à s’entendre, tout comme la participation de la  Majorité, notamment de l’Union pour la République, pousse à l’optimisme quant  à la  suite de ce projet que nous menons pour apaiser la  situation et amener tout le monde à œuvrer pour  la construction d’une Mauritanie forte, solidaire, démocratique et tolérante. Nous prions Allah le Tout Puissant pour que l’intérêt général prenne le dessus sur l’intérêt personnel ; parce que les ambitions personnelles trouveront leur place s’il y a la paix et la  stabilité. Tous doivent comprendre qu’il arrive des moments où la Nation a besoin de tous ses fils, de son peuple et de ses responsables. Elle a  surtout besoin de sagesse et de patience. L’estime dont je bénéficie aujourd’hui, je ne rêvais et ne voulais à aucun moment l’avoir seul, sans ceux qui ont œuvré avec moi pour le dialogue, pour l’éloignement du spectre de la division qui menance le pays. Et j’ai tout fait pour que cet honneur soit commun, en allant tous vers le dialogue et ce qui compte vraiment pour le pays. Mais la situation m’échappe et c’est Dieu qui commande.

                                         Entretien réalisé par : Sneiba Mohamed et Ahmed Salem Ould Youba Khouya

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