Insécurité : Nouakchott glisse dangereusement

Article : Insécurité : Nouakchott glisse dangereusement
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24 février 2013

Insécurité : Nouakchott glisse dangereusement

Manif contre l'insécurité à Nouakchott (crédit photo: alakhbar.net)
Manif contre l’insécurité à Nouakchott (crédit photo: alakhbar.net)

C’est l’Union des forces de Progrès qui a tiré la sonnette  d’alarme sur ce que  les citoyens savaient déjà mais ne pouvaient pas dénoncer ouvertement, préférant  le murmurer entre eux : Nouakchott est en train de devenir une capitale du crime. Pas  un seul jour où la presse ne rapporte un cas de meurtre, souvent commis par  un jeune adolescent, de vols ou de viols. Certes, Nouakchott est encore très loin (heureusement) de Bogota (Colombie), Ciudad Juarez  (Mexique), où les gangs de la drogue sont rois et la violence liée aux stupéfiants prend des proportions extrêmes,  Rio de Janeiro (Brésil), célèbre pour son carnaval mais aussi pour ses nombreux criminels sans scrupules, mais à l’échelle des capitales africaines et arabes nous creusons l’écart.

Nonobstant le caractère éminemment politique de l’alerte de l’UFP, il est évident que la situation à Nouakchott inquiète : Dans la nuit du samedi, un nouveau meurtre a été signalé à la police dans la moughataa de Toujounine. Il s’agit d’un jeune qui a  poignardé son cousin, Ammy Ould Mahfoud, natif de la ville de M’Bout, au  Gorgol, suite à une dispute apparemment anodine sur un téléphone portable. Le 15 février dernier, la tranquillité des habitants d’un quartier d’Arafat est troublée par un échange de tirs entre une patrouille de la gendarmerie et une bande dirigée par un ancien caporal de l’armée surprise en train de  « se servir » dans une boutique du programme d’urgence « Emel » mis en place par le gouvernement pour vendre aux populations pauvres des denrées de première nécessité à des prix réduits.  Le 10 février dernier, El Moctar Ould Hemed,  agressé  près du marché « Marché de bétail » alors qu’il faisait ses ablutions pour la prière de l’aube, a succombé à ses blessures après une semaine passé entre la vie et la mort à l’hôpital. Et la liste est longue. Elle corrobore les accusations de l’UFP portées contre un pouvoir qui dit pourtant avoir fait de la sécurité des citoyens la priorité des priorités.

A son arrivée, le président Ould Abdel Aziz a cité, parmi les raisons de sa « Rectification » (un euphémisme pour ne pas parler de coup d’Etat contre le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallhi) l’absence de sécurité  tant à l’intérieur que sur les frontières où Al Qaeda au  Maghreb Islamique (AQMI) avait fait des incursions meurtrières en Mauritanie. A lemghayti, en 2005, sous Taya, avec la mort de 15 soldats mauritaniens, à Ghallawiya, en 2007,  juste après l’élection de Sidioca, où trois militaires avaient été tués puis à Tourine, en 2008, alors  que le  général Mohamed Ould Abdel Aziz venait de « putscher » celui que les Mauritaniens avaient élu, il y a à peine 15 mois, avec 52% des voix. Conscients de la difficulté qu’il aurait à faire accepter sa « rectification » à une communauté internationale qui ne tarissait pas d’éloges sur la démocratie mauritanienne, le Haut Conseil d’Etat d’alors avait beaucoup misé sur la lutte contre le terrorisme  pour faire revenir les Occidentaux (notamment la France et les USA) à de meilleurs sentiments. Une approche qui a bien réussi aux généraux de Nouakchott puisque la communauté internationale  a fini par fermer les yeux sur ce que d’aucuns considéraient pourtant comme le « coup d’état de trop » et avait même agi intensément en faveur d’une rapide sortie de crise qui s’était concrétisée avec l’Accord de Dakar.

« L’intérieur oublié »

Incontestablement, en matière de lutte contre le terrorisme, le  pouvoir actuel a fait de grands progrès. On peut même dire qu’il a réussi, en 2010-2011, avec l’aide de la France, à porter de rudes coups à AQMI, en plein territoire malien, avec ce que les médias nationaux et internationaux avaient appelé les « opérations préventives » de l’armée mauritanienne. Pour  réussir son pari de mutation  profonde des forces armées et de sécurité, le président Ould Abdel Aziz n’a  pas hésité à  utiliser 50 millions de dollars US, don de l’Arabie saoudite, sous Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, sans passer par le Parlement ! Une « entorse » à la loi que l’opposition a  très souvent évoquée, dans sa  guerre contre le régime en place, et utilisée comme preuve de la gestion peu orthodoxe des biens de l’Etat. Mais ce qui compte, c’est le résultat. Pour la rue mauritanienne, Aziz a réussi dans sa lutte contre le terrorisme mais échoué à lutter contre la criminalité à Nouakchott et dans les grandes villes du pays. Et si l’opposition lui fait porter la responsabilité de la dégradation de la sécurité dans les quartiers populaires de la Capitale, c’est sans doute parce qu’une action de sape a été entreprise contre la police nationale qui n’est plus aujourd’hui que l’ombre d’elle-même. Dépossédée d’une partie de sa mission (le contrôle de la circulation routière) au profit du Groupement général de la sécurité routière (GGRS), elle perd aussi sa motivation puisque tout le monde sait que le contrôle « paye » !

Certains observateurs expliquent ce désaveu de la police par le fait que le président Aziz ne lui  accorde pas sa confiance, elle qui est restée deux décennies durant, sous les ordres du colonel Ely Ould Mohamed Vall, président de la transition militaire de 2005-2007, cousin et ennemi juré de l’actuel Raïs qui l’avait ridiculisé lors de l’élection présidentielle de  juillet 2009 où il n’a récolté que 3% des voix. Or, malgré tous les reproches qu’on lui fait, la police avait tout de même une énorme qualité : Celle de savoir lutter contre le crime.  L’UFP, dans sa sortie très remarquée contre le gouvernement, pense que  la police a été dessaisie de sa mission première au profit des unités dites de sécurité routière à la faveur d’un partage des pouvoirs entre les plus gradés. Ce parti d’opposition appelle donc « les citoyens à s’organiser pour défendre leurs quartiers dans la cadre de la loi et du droit légitime à l’autodéfense ». Une sortie différemment appréciée par les citoyens mais qui a eu le mérite de pousser les autorités à renforcer le dispositif de contrôle et de sécurité de la gendarmerie, de la police et de la garde dans les zones à haut risque de la capitale.

 

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