Quand la religion s’en mêle

Article : Quand la religion s’en mêle
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29 octobre 2012

Quand la religion s’en mêle

Prière d’Id Al adha (crédit photo: Sahara médias.net)

L’imam de la « mosquée saoudienne » – la Grande Mosquée de Nouakchott – a, à l’occasion de la prière d’Id el Adha (fête du sacrifice) réitéré son soutien indéfectible au président Mohamed Ould Abdel Aziz et à sa politique. Il vient encore une fois d’ajouter un grain de poivre à la crise politique qui secoue le pays depuis l’élection présidentielle du 18 juillet 2009. En appelant les fidèles, dans sa khotba (prêche) à soutenir le président de la République, évacué en France après avoir été la victime d’un tir par méprise, si l’on en croit la version officielle, l’imam Ould Habibourahman, prend position, ouvertement, dans une querelle de politiciens. Certes, il ne fait que réitérer son soutien sans ambages à tout gouvernant, équivalent moderne du « waliyou el emr’ », mais il ajoute aussi à la division des Mauritaniens dont certains verront dans sa prise de position une sorte de parti pris. Sans raison.

Ce n’est pas la première fois que cet érudit mêle religion et politique. Il s’est toujours ingénié à donner son avis sur des questions politiques embarrassantes. Il l’a fait du temps de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, il le refait avec Aziz. Mais l’on peut douter que le «soutien» de l’Imam puisse avoir une quelconque influence sur les orientations politiques des Mauritaniens pourtant musulmans à 100% !

D’abord parce qu’il y a tant d’autres choses en contradiction flagrante avec l’orthodoxie musulmane qui mériteraient à être corriger. Peut-on dire que l’avis avisé de l’Imam Ould Habibourahman fustigeant la gabegie contre laquelle le président de la République affirme lutter avec l’énergie du désespoir, amènera les hauts responsables à se repentir ? Que non ! Quel est l’impact de la prise de position de cet érudit « officiel » sur la moralisation de la vie à Nouakchott où ses prêches du vendredi sont relayés par la radio et la télévision nationales ? C’est pour dire que l’appel au soutien du président Aziz est une caution religieuse, pas plus. Elle peut servir la propagande de l’Etat en avançant que les religieux, à travers l’une de leur sommité, bénissent la gestion actuel du pouvoir et discrédite une opposition qui, à leurs yeux, passe pour un empêcheur de tourner en rond. Mais est-ce qu’elle contribuera à faire affluer les citoyens hésitants ou complètement rangés dans les rangs de l’opposition, à se bousculer devant les portes du parti au pouvoir, l’Union pour la République (UPR) ? Rien n’est moins sûr.

La ligne suivie par Ould Lemrabott est la même que celle qu’il a adoptée depuis le coup d’Etat du 6 août 2008 : avec le pouvoir, qu’il soit démocratique ou pas. D’ailleurs, une telle attitude est jugée conforme à celle que prône la religion musulmane qui demande d’obéir au gouvernant (presque) en toutes circonstances. Mais sans impact réel sur le positionnement politique de la plupart des Mauritaniens, un tel prêche ne fait qu’ajouter une autre dimension à la crise politique qui secoue le pays. D’aucuns verraient dans le soutien de Lemrabott Ould Habibourahman une influence directe de la proximité connue du Cheikh Mohamed El Hacen Ould Deddew avec le président Mohamed Ould Abdel Aziz. Le Cheikh est le seul érudit à avoir été autorisé à rendre visite au rais aux premières heures de son arrivée à l’hôpital militaire blessé par balle et tout le monde se rappelle encore du rôle joué par le grand savant dans le règlement de l’affaire dite de la BCM (Banque centrale de Mauritanie) opposant l’Etat mauritanien à trois hommes d’affaires de la tribu de l’ancien président Taya chassé du pouvoir par le chef de sa garde présidentielle.

Cette sortie controversée de l’imam de la grande mosquée saoudienne rappelle celles qu’il avait faites à maintes autres occasions. En pleine crise entre partisans de la « Rectification » et opposants au coup d’Etat contre Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, il avait qualifié les manifestations dans les rues de Nouakchott d’illégales puisqu’elles contestent un pouvoir établi, dut-il l’être par la force. De même, l’imam avait qualifié les activités anti-esclavagistes de Biram Ould Abeid d’actions incitatives à la fitna (guerre civile) et donc de comportements contradictoires à l’esprit musulman qui prône la fraternité et la paix. C’est à peine si l’imam Ould Habibourahman n’a pas frappé d’apostasie les opposants au régime en place !

Alors, suivant le fil des idées de l’Imam, l’opposition n’a pas droit de cité en terre d’Islam. La logique voudrait donc que l’érudit puisse conseiller aux dirigeants du pays de mettre fin à cette « démocratie » qui permet de tels écarts contraires à la religion ! S’il ne le fait pas, on le taxera de ne pas dire toutes les vérités et de s’accommoder d’une situation pleine de paradoxes.

Du rapport de la religion avec la politique

Mais Ould Habibourahman n’est pas le seul érudit qui donne son point de vue, de par sa position d’imam de la plus grande mosquée de la capitale, sur la question très complexe des rapports entre la religion et la politique. En cela, il ne fait que suivre la voie tracée avant lui par bien d’autres (Cheikh Hamden Ould Tah, Isselmou Ould Sid’El Moustaph, Aboubecrine Ould Ahmed, etc.), tous d’anciens ministres de la République Islamique de Mauritanie.

Pourtant, le caractère hautement religieux de notre vie ne se ramène jamais, de manière explicite, à répondre à des questions du genre : la religion a-t-elle un mot à dire en politique ? Et peut-elle inspirer un projet de société ? C’est ce qui justifie d’ailleurs que, pendant longtemps, les autorités n’avaient pas voulu avaliser l’existence d’un parti islamique qui chercherait à tirer profit de ce qui est le trait commun à tous. Il a fallu attendre l’arrivée en 2007 du président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi pour autoriser Jemil Ould Mansour et ses amis à créer ce qui est aujourd’hui le parti « Tawassoul », refusé sous la transition militaire 2005-2007 par le président du CMJD, le colonel Ely Ould Mohamed Vall.

Ainsi, le religieux n’est désormais plus pensé comme le prédicat du politique puisqu’il ouvre la possibilité à un parti d’obédience islamiste de vouloir arriver au pouvoir en mobilisant sur des valeurs théoriquement partagées mais pratiquement menacées par des idées attachées à un mode de gouvernance à l’occidentale.

Sneiba Mohamed

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