Marché de Poisson de Nouakchott : Excursion, survie et affaires

25 septembre 2012

Marché de Poisson de Nouakchott : Excursion, survie et affaires

Plage des Pêcheurs de Nouakchott

La plage des pêcheurs, naguère connue pour être le parcours de promenade pour tout Noukchottois féru de la mer, ou citoyen mauritanien de l’intérieur qui a longtemps entendu parler de cette immensité bleue qu’on appelle océan et qui veut la découvrir, perd son nom originel pour celui, plus commercial, de « Marché au Poisson ». Pourtant, cette infrastructure fruit de la coopération entrela Mauritanieet le Japon continue à être à la fois un haut lieu d’affaires (commerce du poisson), d’excursion (des familles continuent toujours de visiter la place) et de survie pour des milliers de mauritaniens qui exercent de petits métiers liés à la pêche.

 

En cette matinée de mardi 25 septembre 2012 où le marché ressemble plus à un chantier en pleine réfection, l’activité qui règne chaque jour autour du poisson bat son plein.

Ici, c’est véritablement une tour de Babel. Toutes les langues du pays (hassaniya, pulaar, wolof, soninké) se mélangent dans un effroyable vacarme que seuls les habitués des lieux peuvent supporter. Le summum de cette activité qui célèbre la « fête » du poisson est le débarquement des prises, entre 18 heures et 20 heures, quand les gens se bousculent pour ne pas rater une bonne affaire. C’est alors que ceux qui sont là uniquement pour acheter leur consommation hebdomadaire de poisson frais entre en compétition directe avec les marchandes qui ravitaillent les marchés de Nouakchott et les propriétaires des poissonneries et autres bureaux de mareyeurs qui achètent en gros des espèces comme le mérou, la dorade et le « thiof » pour les besoins de l’exportation vers l’extérieur, ou de l’acheminement de grandes quantités de poisson à valeur marchande moindre (courbines et sardinelles) vers certains villes de l’intérieur (Kaédi, Boghé, Bababé, Kiffa, Aleg). Plusieurs groupes se forment alors autour de camionnettes d’un autre âge qui, poussives, déversent leurs cargaisons sur une bâche ou l’on peut contempler les « prises » de la journée.

Il faut dire que les Mauritaniens ne sont plus, depuis le milieu des années 80, les premiers consommateurs de leur meilleur poisson. La découverte des marchés d’Europe, d’Asie et, dans une moindre mesure de l’Amérique, les privent de plus en plus des ressources halieutiques du pays qui, au même titre que le fer, sont devenues un produit qui alimente le marché en devises fortes (euros et dollars) nécessaires pour l’achat d’autres produits consommés à grande échelle (riz, sucre, blé, lait, huile, etc.) De telle sorte que le bon poisson est devenu un mets de luxe. On se rappelle que, au cours de la période de « Rectification », au lendemain du coup d’Etat du 6 août 2008, le ministre dela Pêcheet de l’Economie maritime de l’époque, a essayé d’inverser la tendance, quand il avait interdit l’exportation de certaines espèces de poisson à haute valeur commerciale pour permettre aux ménages mauritaniens de pouvoir les retrouver, à nouveau, dans leurs plats. Une mesure qui avait permis aux Mauritaniens de savourer à nouveau le goût du poisson de qualité. De nombreux pères de famille qui ont pris l’habitude d’aller faire eux-mêmes le « marché » du poisson, étaient alors tout heureux de le trouver à 500 ouguiyas le kilogramme. On était loin de la période où il fallait débourser 1500 ou 2000 UM, si on ne veut se rabattre sur les petites espèces (sardinelles) qui font pourtant le bonheur des ménages pauvres mauritaniens.

 

Mais la mesure a  été jugée « catastrophique » par ceux qui avaient investi d’énormes moyens dans l’exportation du congelé vers l’Europe et qui misaient, dans d’autres domaines d’activités, sur l’importance des apports en devises générés par les exportations du poisson. Il faut reconnaître également que le désir de permettre aux Mauritaniens pauvres d’avoir dans leurs plats un poisson de qualité a eu comme effet négatif de diminuer les réserves en devises du pays qui ont connu une chute vertigineuse provoquant le courroux d’opérateurs du secteur jaloux de leur autonomie commerciale.

On semble pourtant revenir aujourd’hui à une situation plus clémente. Ala Plagedes Pêcheurs (ou au Marché du Poisson, si vous préférez), le kilogramme de thiof (mérou) se négocie à des prix raisonnables. C’est ce qui fait dire à l’une des nombreuses femmes agglutinées autour d’une montagne de ce poisson destiné aux pauvres que si certains sont là pour brasser des affaires, la plupart viennent parce que la plage des pêcheurs constitue leur moyen de survie. Elle affirme qu’il y’en a qui arrivent sans le sous mais repartent quand même avec de quoi assurer le repas de demain.

Ici, tout le monde s’occupe à quelque chose. Il y a les activités liées certes au commerce du poisson mais il y a aussi celles florissantes, des services que l’on retrouve aux alentours de tout marché : vendeurs de thé, de beignets, de cartes de recharge, de « bissabe » et même de films vidéos, comme si les pêcheurs ou ceux qui survivent grâce à leur métier ont un peu de temps à accorder à la distraction.

La crise perceptible à certains niveaux de l’activité économique du pays a contribué à l’amélioration du commerce intérieur du poisson. On n’est plus au temps où les pêcheurs vous disent eux-mêmes qu’ils préfèrent traiter avec « les hommes d’affaires qui payent beaucoup mieux que les consommateurs ». Aujourd’hui, l’essentiel des prises des 3000 pirogues des alentours de la capitale ne part plus pour l’exportation car même au niveau de la pêche industrielle, le marché européen et asiatique n’est plus aussi florissant qu’il l’était entre 1985 et 2002. Dans ce qui était « l’âge d’or » de la pêche mauritanienne, les hommes d’affaires, récemment arrivés dans ce secteur, rivalisent de propositions attractives pour recruter les pêcheurs : « Venez pêcher pour moi. Si vous n’avez qu’une pirogue, je vous paye un moteur. Si vous n’avez ni l’un ni l’autre, je vous achète les deux et les équipements. Vous rembourserez petit à petit sans intérêts avec l’argent que vous gagnerez. » De bonnes dispositions qui aujourd’hui, nous dit un vieux pêcheur, relèvent de l’histoire ancienne.

 

Sneiba Mohamed

Partagez