Autour d’un thé : Chronique de mon frère

7 juin 2013

Autour d’un thé : Chronique de mon frère

Crédit photo: Cridem.org
Crédit photo: Cridem.org

La Mauritanie n’a pas perdu le Nord. Heureusement. Vous savez, le diable est dans le Nord. Regardez autour de vous. Autour de nous. La semaine dernière, tous les walis étaient au Nord. Le ministre de l’Intérieur et de la décentralisation aussi était au Nord.

Il est allé plus au Nord de façon impromptue. Il faut bien gagner le Nord. Perdre le Nord n’est pas de bon augure. Le Sahara est au Nord. Les trois-quarts des putschistes sont du Nord. La nouvelle zone franche est au Nord. La nouvelle zone franche, vous savez, les conventions de pêche, surtout la plus controversée, celle avec les Chinois.

Enfin, le poisson, c’est là où je voulais en venir, ce n’est quasiment que le Nord. Le wali qui est devenu un ‘’œil blanc’’* et dont on n’a plus parlé, ça, c’est une histoire qui s’est passée au Nord.

Les événements de 1966 au cours desquels l’armée a tiré, à balles réelles, sur les gens, c’était au Nord. Même les incendies. Y en a eu plus d’une dizaine cette année, à Nouadhibou. C’est encore le Nord. Le feu, quand ça brûle, « ça ne bon pas », comme dirait un acteur de la série « Ma famille ».

Qu’Allah nous préserve du Nord et du Sud. Chaque fois que je discute avec un ami de la majorité sur un problème, c’est toujours, selon lui, cette affaire de « Tarakoumatt » (accumulations). Le problème des journaliers de Nouadhibou et de Zouérate. Ça, ce n’est pas nouveau. C’est depuis la MIFERMA. Vos présidents, civils ou militaires, d’avant la « révolution » du 6 août n’ont jamais rien fait pour le régler. Même pas une promesse non tenue. Ça, c’est nous. Le BASEP, c’est nous, comme a dit l’autre, le soir du 3 août 2005.

Mais, entre dire et ne pas faire et ne pas dire et ne pas faire, il n’y a que la différence entre le mensonge et la vérité. La révolte des journaliers du Nord, surtout ceux de Zouérate, remet, sur la table, au moins deux problématiques importantes.

La nouvelle forme d’esclavage moderne que l’Etat adopte, à travers son silence, complice, vis-à-vis du système, très répandu, du tâcheronnat qui prévaut dans toutes les grandes sociétés minières (SNIM, MCM, Tasiast…) et autres établissements comme le Port de Nouakchott où le Bureau d’Embauche de la Main d’Oeuvre Portuaire (BEMOP) sous-traite et maltraite plusieurs milliers d’hommes, suivant les formes les plus abjectes de l’exploitation de l’homme par l’homme.

Ces organisations influentes ont leur bureau d’embauche pour recruter « leurs » travailleurs. De véritables comptoirs ou maisons des esclaves, envoyés vers les mines, en lieu et place des plantations de sucre ou de riz. Un secret de Polichinelle. Une véritable filière d’exploitation et d’arnaque. A remonter modérément, puisqu’elle peut vous amener loin, très loin même.

Mohamed Ould Nahah, le porte-parole des grévistes remontés de Zouérate, a confirmé une radio nationale indiquant qu’il avait été convoqué par les militaires proposant l’engagement immédiat de négociations contre l’arrêt du mouvement. Wilaya, moughataa, inspection du Travail, représentations locales de toutes les centrales syndicales nationales, sociétés intermédiaires employant les journaliers au profit de la SNIM. Initiative militaire.

Quant les étudiants manifestent, quand les dockers marchent, remuant la terre et le ciel. Ce sont les bons offices des officiers qui permettent de régler les problèmes. Mêmes les querelles internes de l’UPR sont gérées, du coin de l’œil, par les militaires.

C’est eux, selon les insinuations, on ne peut plus claires, du Président, qui serviront, à travers régions militaires, directions régionales de la Sûreté et compagnies de gendarmerie, de canaux spéciaux pour évaluer le poids électoral aux postulants upéeristes à la présentation aux prochaines élections législatives et municipales.

Aïoun : rudes confrontations entre transporteurs et policiers, nombreuses blessures et arrestations.

Nouadhibou et Zouérate : Les journaliers très en colère cassent et brûlent tout sur leur passage.

Aleg : cinq villages de l’arrondissement de Dar El Barka organisent un sit-in pour protester contre la soif.

Kiffa : un homme essaie de mettre le feu à la direction régionale des Affaires sociales et de la santé. Pas de crise, ni politique, ni sociale. Juste un excès de chaleur. Le thermo affiche parfois 48° à l’ombre. Normal alors que les têtes chauffent. Mais plus que les militaires, faudrait donc déployer les pompiers… On ne sait jamais.

Sneiba El Kowri

Le Calame (Mauritanie)

*Traduction littérale du hassaniya « aïn beïdha » (oeil blanc », signifiant « qui a disparu », qu’on n »a plus revu ».

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