Tribus, ethnies et pouvoir en Mauritanie de Philippe Marchesin en arabe

12 janvier 2014

Tribus, ethnies et pouvoir en Mauritanie de Philippe Marchesin en arabe

Traduit par Mohamed OuldBouleiba

Couverture du livre de F. Marchesin traduit en arabe (photo: M. Bouleiba)
Couverture du livre de P. Marchesin traduit en arabe (photo: M. Bouleiba)

Après  la traduction des  textes des explorateurs : Mage, Doulse et Vincent, et Voyage à l’intérieur de l’Afrique de Mongo Park,  Pierre Bonte, l’Emirat de l’Adrar, de l’ouvrage de F. de Chassey la Mauritanie 1900 – 1975 », vient le livre de Philippe Marchesin  Tribus, Ethnies et Pouvoir en Mauritanie (janvier 2014). Son tirage a bénéficié du soutien du Service de Coopération et d’Action Culturelle de l’Ambassade de France en Mauritanie, l’Université de Nouakchott, et la CNAM dans le cadre du projet initié par Pierre Bonte et Mohamed Ould Bouleiba en 2009 sur « L’islamisation et arabisation de l’ouest-saharien, anthropologie, littérature et histoire les récits d’origine ».

Le choix des trois auteurs universitaires concernés se justifie d’abord par les citations de leurs travaux dans la littérature scientifique concernant la Mauritanie.  La référence à ces ouvrages s’explique, par la synthèse qu’ils présentent, dans des disciplines diverses et s’agissant de périodes différentes, des données concernant l’ensemble de la Mauritanie ou d’une partie significative des recherches concernant ce pays. L’intérêt de la traduction de ces ouvrages réside donc d’abord dans la complétude des informations qu’iles sont susceptibles de fournir sur les recherches en sciences humaines et sociales aux chercheurs mauritaniens arabophones et aux étudiants intéressés par les recherches sur leur pays et soucieux de contribuer à leur développement.

Le choix de ces trois auteurs se justifie aussi par la diversité des travaux  qu’ils ont menés. Ils illustrent trois approches disciplinaires différentes quoique complémentaires.

Pierre Bonte est un anthropologue qui a consacré de longues études aux structures sociales et politiques héritées de la période précoloniale et coloniale. Son travail sur l’émirat de l’Adrar se situe au confluent de l’anthropologie et de l’histoire et, tout en ayant une forme monographique, aborde la plupart des grandes questions intéressant la société Bidhân, dans ses héritages et ses mutations présentes.

Francis de Chassey est un sociologue qui s’intéresse au système éducatif et à la formation des « élites » dans la Mauritanie de la décennie suivant l’indépendance. Son ouvrage dresse un tableau d’ensemble des travaux sociologiques, encore réduits il est vrai, en cette période suivant immédiatement l’indépendance, et il porte un regard nouveau sur un pays qui n’était connu que par les travaux, eux aussi réduits, publiés durant la période coloniale.

Philippe Marchesin est un politologue qui développe la première synthèse concernant la vie politique mauritanienne après l’indépendance. Celle-ci n’est plus appréciée du simple point de vue des institutions ou de l’histoire politique, mais dans son inscription dans la société, en pleine mutation, issue de l’indépendance. Le poids des structures « traditionnelles » est considéré dans la perspective de l’ordre politique moderne et des difficiles fondations d’une unité nationale.

Recherches de terrain

Ces trois ouvrages ont en commun de s’appuyer sur des recherches de terrain approfondies qui illustrent par ailleurs les problématiques, épistémologiques et méthodologiques, de quelques-unes des disciplines principales des sciences humaines et sociales, sans perdre de vue la perspective pluridisciplinaire qui reste l’objectif globalisant des recherches en ce domaine.

Une part importante de la littérature dans le domaine des sciences sociales et humaines a été publié en français – dans une moindre mesure en anglais – par des auteurs étrangers qui ont, depuis l’indépendance, consacré de longues recherches à la Mauritanie et contribué à la définition des problématiques scientifiques dans les domaines les plus divers. L’enseignement qui, dans ce pays, est pratiqué de plus en plus prioritairement en arabe, y compris à l’université, rend difficile l’accès des chercheurs nationaux à des travaux qui ont pourtant fortement concouru à l’élaboration des paradigmes sur lesquels s’appuient pour une part leurs propres recherches. De manière plus générale, les outils éditoriaux manquent encore en langue arabe qui leur facilite l’usage des concepts et des méthodes dans les disciplines des sciences sociales et humaines. Ce constat est à l’origine du projet de traduction d’ouvrages en français, portant sur la Mauritanie, qui favoriserait cette accessibilité linguistique et le développement des recherches nationales en ces domaines.

Mohamed Bouleiba, critique littéraire mauritanien
Mohamed Bouleiba, critique littéraire mauritanien

La traduction de ces ouvrages écrits par d’éminents universitaires et chercheurs français ayant vécu  longtemps parmi nous et, surtout, ayant exploré un immense trésor de documentation d’origines et d’approches  variées a le mérite de mettre à la porté  du lecteur arabophone mauritanien  des études  aussi riches que variées sur son pays. Ecrits par des étrangers,  sous forme d’études et  de recherches sur la société mauritanienne, ces  livres ont l’avantage aussi de briser certains tabous souvent embarrassant pour les chercheurs et les écrivains mauritaniens.

        Malgré l’effort  louable, le niveau des analyses, la richesse de la documentation, certaines  lacunes peuvent paraitre ça et là pour un lecteur averti, doté d’un esprit  critique, d’une connaissance de la société  et de son histoire. Cela nous donne, nous mauritaniens, l’occasion et l’impulsion pour réécrire notre histoire et étudier notre société. La publication de ces traductions et éventuellement d’autres en perspective, s’inscrit dans le cadre d’un projet qui vise, entre autres objectifs, de doter nos chercheurs arabophones d’une documentation de référence. La traduction du livre de Marchesin « tribus ethnies et pouvoir en Mauritanie»  est d’une importance capitale car, « un rapide survol de la bibliographie révèle la carence d’approches synthétiques sur les phénomènes du pouvoir en Mauritanie jusqu’au début des années soixante-dix ».

Présentation des livres

Reparti sur onze  chapitres et divisé en trois parties  le livre de Philippe Marchesin  retrace l’histoire politique de la Mauritanie en analysant les rapports entre tribus, ethnie et pouvoir. La première partie est intitulée société et  pouvoirs traditionnels et comporte trois chapitres. Dans cette partie, l’auteur  présente les sociétés traditionnelles maure et négro-africaine dans le but  de jeter la lumière sur les racines de la société et de l’Etat mauritanien. Il consacre le premier chapitre à  l’étude de l’ensemble maure, son histoire, l’influence de l’environnement et ses conséquences économico-sociales, la stratification sociale et le pouvoir politique, l’islam comme fondement des valeurs sociales.

Dans le deuxième chapitre consacré au « pays des noirs » il est question des données économiques, de la stratification sociale, du pouvoir politique et de l’islam et de l’impact  de la colonisation. Quant au troisième chapitre, il est axé sur une comparaison entre les sociétés traditionnelles maure et negro- africaine, une comparaison qui fait ressortir les traits communs mais aussi les différences, les rivalités et la complémentarité.

La deuxième partie du livre est intitulée la genèse de l’Etat, un Etat à polarisation variable.  Dans cette partie il est question des élections de 1946, des élections de 1951, de la création de l’Etat (1956 -1961) , des menaces extérieures : le projet de l’OCRS, le «  grand Maroc », le régime de Moctar Ould Dadah, du processus de concentration du pouvoir, le conflit sur la forme de l’Etat, le parti Etat, la primauté du parti sur l’Etat, la tension ethnique et la liquidation de « la tentative de l’Etat national, le conflit social et sa récupération, de la guerre du Sahara et ses conséquences, de l’effritement des soutiens de Moctar et le coups d’état du 10 juillet 1978.

         A partir de 1978, « coups d’Etat, révolutions de palais, tentatives de putsch se succèdent à un rythme élevé ». C’est une période d’instabilité politique, « quelques années suffisent aux militaires mauritaniens pour établir un des plus fameux records d’instabilité de l’histoire mouvementée des régimes politiques africains contemporains » : Moustapha Ould  Mohamed Salek, Ahmed Ould Bouceif, Mohamed Khona Ould Haidala, Maaouya Ould Taya. En  plus de cette instabilité, cette période a connu un regain du fait tribal. « A dire vrai, le tribalisme étant une donnée permanente de la vie politique mauritanienne, il s’agit plus de l’accentuation de certaines pratiques tribales depuis 1978 que de la soudaine résurgence de comportement de type traditionnel. Le fait tribal a toujours existé sous le régime de Moctar Ould Dadah mais ses manifestations étaient relativement discrètes. »

Le dernier chapitre de cette deuxième partie est consacré à la nature de l’Etat. Ici, l’auteur s’attache  à  établir la prépondérance  et l’actualité du fait tribal  dans la vie politique mauritanienne en s’appuyant sur les données statistiques.

Dans la troisième partie intitulée «  positions de pouvoir », P. Marchesin consacre le  chapitre aux acteurs de la domination dans lequel il parle de la bureaucratie, les milieux d’affaires, de la nature de « la classe dominante » et des scenarios de la recherche hégémonique. Le deuxième chapitre de cette partie est consacré  aux modes d’exercices de la domination où il est question de la coercition, des biens symboliques ou la légitimité, des biens et services matériels.  Le troisième chapitre de cette partie brosse un tableau des groupes et mouvements politiques que la Mauritanie a connus depuis son ouverture sur la vie politique moderne jusqu’au milieu des années 90.

Quant au dernier chapitre, il est consacré aux modes populaires d’action politiques qui traduisent « la revanche  » de la société sur l’Etat  à travers les mouvements de contestation. Dans ce chapitre, l’auteur analyse aussi les tactiques populaires avant de passer à la conclusion. « L e premier élément de conclusion qui s’en dégage  a trait, outre l’importance plus que jamais cruciale du facteur ethnique, à la « réhabilitation du fait tribal  ».

Philippe Marchesin est un spécialiste des relations Nord-Sud, tout particulièrement des questions de coopération et de développement. L’originalité de son approche est de mêler réflexion théorique et longs séjours de terrain. Il a ainsi enseigné pendant une dizaine d’années en Mauritanie (ENA et faculté de droit de Nouakchott), Turquie (Université de Galatasaray) et Biélorussie (faculté franco-biélorusse de science politique).

      Maitre de conférences au département de science  politique de la Sorbonne (Paris1),  Philipe Marchesin  est un ancien professeur de l’ENA de Nouakchott  de 1983 à 1987, durant son séjour en Mauritanie son travail de thèse s’est appuyé sur la fréquentation assidue des archives où il s’est rendu quasi quotidiennement pendant deux ans. La thèse était également basée sur une enquête concernant les catégories dirigeantes pour laquelle le concours d’étudiants de l’ENA et  de l’université (notamment Diop Mamoudou, Ba Yacouba Aboubacry et tout particulièrement Abdel Nasser Ould Ethmane Sid Ahmed Yessa) a été déterminant. Il s’est également entretenu avec plusieurs scientifiques (entre autres Mohamed Ould Sidia) et acteurs politiques mauritaniens.

Son séjour s’est terminé un peu plus tôt que prévu après la soutenance du mémoire d’Abdel Nasser Yessa sur l’opposition politique en Mauritanie. Les autorités mauritaniennes et françaises lui ont reproché d’avoir dirigé un travail qui comportait en annexe des tracts de certains mouvements politiques interdits (notamment le manifeste du négro-mauritanien opprimé). Ce texte avait conduit les personnes qui le possédaient en prison. On lui a donc trouvé très rapidement un billet d’avion pour quitter la Mauritanie et, le jour de son départ, l’ambassadeur de France est venu à l’aéroport constater qu’il quittait bien le pays.

C’était une période très intéressante pour Marchesin où l’on sentait les prémices de ce qui allait devenir le printemps démocratique africain à partir du discours de la Baule et des conférences nationales. Son intention était de s’inscrire dans ce mouvement et surtout de contribuer à libérer la parole et exposer la réalité des choses. Sur le plan anecdotique, Monsieur Marchesin se souvient avoir reçu quantité de témoignages positifs dans la rue juste après cette affaire. Il sentait bien que les gens étaient demandeurs de plus de transparence et de participation.

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