Elections en Mauritanie : « Bolletiguement » correct

16 octobre 2013

Elections en Mauritanie : « Bolletiguement » correct

Meeting de l'opposition mauritanienne (photo: Afp)
Meeting de l’opposition mauritanienne (photo: Afp)

Bon on peut maintenant le dire avec 70% de certitude : Les élections municipales et législatives auront bien lieu le 23 novembre 2013. Pourquoi une conviction de 70% ? Tout simplement pour ne pas déroger à la « règle » depuis que le gouvernement et le parti au pouvoir en Mauritanie ont déclaré, en cette fin de mandat du président Mohamed Ould Abdel Aziz que son programme électoral (en fait ses promesses) est accompli à ce seuil très respectable de 70% !

Ma conviction à moi a d’autres raisons « suffisantes » mais non nécessaires :

1 – On ne peut prolonger indéfiniment le mandat d’un parlement et de conseils municipaux qui vivent – survivent – depuis deux ans grâce à des « accommodements » constitutionnels émanant d’un dialogue entre le pouvoir et une partie de l’opposition.

2 – Le parti au pouvoir, l’Union pour la République (UPR) estime sans doute être fin prêt pour descendre dans l’areine des élections. Il est le seul à avoir présenté 218 listes dans les 218 communes du pays.

3 – Le spectre du boycott de ces élections par la totalité de la Coordination de l’opposition démocratique (COD) a finalement été évité. Certes le parti islamiste « Tawassoul » est le seul à avoir décidé de participer mais c’est une formation qui compte. D’aucuns considèrent même que c’est le seul parti des dix qui composent la COD à disposer de chances réelles pour venir bousculer les certitudes du parti au pouvoir et de ses alliés au sein de la majorité présidentielle.

4 – Enfin, la pression des partenaires au développement de la Mauritanie, notamment de l’Union européenne a joué grandement dans le « dénouement » des aspects de la crise liés aux élections. Certains médias locaux ont parlé de milliards d’euros qui attendent l’organisation des élections pour venir renflouer les caisses de l’Etat.

Ceci dit, revenons à l’aspect le plus important de cette nouvelle-ancienne situation politique en Mauritanie : Pourquoi des élections « bolletiguement » correct ?

Pour ceux qui ne le savent pas « bolletig » c’est la politique à la mauritanienne. Mais attention, le terme a un sens tout autre ; il signifie « ruser », « tromper », « user de moyens souvent peu orthodoxes pour arriver à ses fins ». « Metbolteg » qui devrait correspondre, en bon français, à « politisé » a plutôt le sens de « truand » ! C’est la fin qui justifie (tous) les moyens : mentir, trahir, aller (vers la majorité), revenir (à l’opposition), corrompre, se laisser corrompre, applaudir des mains et des pieds, vendre son âme au diable, crier plus fort que les autres…

C’est ce qui explique aujourd’hui l’état de pagaille généralisée que connait la classe politique mauritanienne. Mais aussi ses incertitudes…

…Au sein de la majorité.

On a voulu faire croire aux mauritaniens (et au reste du monde) que le changement de régime en 2005 était une « révolution », que rien ne sera plus comme avant. Moi j’avais pensé cela en termes de mise à l’écart de la tribu, non pas en tant qu’entité sociale nécessaire mais comme instrument pour régenter la vie politique de ses membres. J’avais cru également qu’il y aurait plus de justice sociale, de justice tout court. Que les hommes d’affaires ne vont plus continuer à jouir de passe-droits dans une sorte de combine avec ceux qui président à nos destinées. En fait c’était une somme d’illusions vite démenties par la réalité : pour faire élire Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, les militaires avaient recouru à la tribu et aux anciens barons du système Taya. Certes, ils ne pouvaient pas « reconduire » le PRDS mais ils avaient trouvé la parade : les « indépendants » ! Quand ils ont fini par nous jouer le tour, ils ont ordonné à ces « bolleticiens » de se regrouper à nouveau. Adil était né pour servir de parti au pouvoir sous Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi. C’était déjà la remise en cause de cette « révolution » que les soutiens de l’actuel président s’accordent pourtant à présenter comme le prélude au « printemps arabe » qui allait secouer, quatre ans plus tard, la Tunisie, l’Egypte, la Libye, Le Yémen et la Syrie. Pour récompenser les « héros » de la fronde contre Sidi, la « bolletig » avait encore pleinement joué : Les anciens ministres de Taya avaient été placés – déplacés – dans des postes d’ambassadeurs ou de présidents de conseils d’administration ! Discrétion oblige pour tromper le petit peuple qui croyait au « changement constructif ».

…l’opposition aussi

 La « bolletig » comme avatar de la politique n’est pas l’apanage du seul pouvoir mauritanien. L’opposition – ou les oppositions – la manie aussi avec l’art consommé de celui qui veut jouer sur plusieurs cordes à la fois. Tous les mauvais choix de la COD viennent de son ambivalence. Son ambiguïté. Quand elle refuse le coup d’Etat contre Sidi, en août 2008, et va à Dakar pour dialoguer. D’abord c’était pour le retour à l’ordre constitutionnel, le retour du président « démocratiquement élu » par les militaires et débarqué par eux quand il ne se soumettait plus à leurs ordres, ensuite pour convenir avec le général Aziz des conditions d’organisation de nouvelles élections. Sans Sidi dont la « défense » aura donc servi seulement à mettre la pression sur les généraux pour tenter de leur arracher le pouvoir.

Les partis d’opposition étaient ensemble contre le pouvoir du président Aziz mais se regardaient eux-mêmes en chiens de faïence. Chaque parti manoeuvrait pour que  son chef écarte de la voie vers la présidence  ses « alliés » de circonstance et œuvre pour être président à la place du président. Les islamistes n’ont-ils pas avoué qu’au moment où la COD, dont ils sont membres, s’acheminait inéluctablement vers le boycott eux préparaient, dans le secret le plus total, les élections ? Parfaite illustration ici de la « bolletig » comme perfidie. De même, les partis de la Coalition pour une Alternance Pacifique (CAP) qui ont fait le choix de la participation crient aujourd’hui à la manipulation et à la «soumission » de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) à des ordres venus d’en-haut ! Pourquoi aller donc à la boucherie électorale comme le faisait l’opposition du temps de la « démogâchis » de Taya ? Le boycott est certes un mauvais choix mais quand on décide d’y aller, il faut y aller. A nos risques et périls.

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