Mauritanie: La presse « pressée »

Article : Mauritanie: La presse « pressée »
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24 octobre 2012

Mauritanie: La presse « pressée »

La presse – la presse indépendante – a, dans ses rapports avec la société mauritanienne actuelle – le beau rôle ! N’allez pas croire que je considère que tirer sur tout ce qui bouge est un motif de fierté, mais user aussi du pouvoir discrétionnaire que confèrent les mots au supposé journaliste que je suis pour distinguer ce qui va de ce qui ne va pas, sans que cela s’applique d’abord à la presse elle-même, pose le problème de conformité de la praxis journalistique avec ses principes et ses bases.

Le rôle véritable de toute presse qui se respecte se résume, d’abord, en mon sens, en trois mots : informer, éveiller et éduquer.

La presse indépendante, dans notre pays, est née à la suite de l’avènement de la démocratie, ou, si vous voulez, de ce qui en tenait lieu maintenant que nous venons d’éprouver notre système à travers une « transition » militaire 2005-2007 dont tout le monde ne disait que du bien et d’une « Rectification »-coup d’état dont les répercussions sont vécus encore aujourd’hui sous forme de crise politique profonde. Cette presse-là a réalisé, à ses débuts, le seul « succès » de ce nouveau mode de gouvernement, que les faits et les mentalités n’ont pas tardé à transformer en « démo-gâchis » : la libre expression dans les limites d’une législation sourcilleuse.

Je pense donc que si la presse ne veut pas perdre le peu de crédit qu’elle s’est forgée en s’éreintant, elle doit balayer, comme on dit, devant sa porte. Une presse critique, même envers elle-même, est la meilleure des choses qui puisse nous arriver aujourd’hui !

Jusque-là, la presse « indépendante » – conservons-lui ce nom commode – s’est contentée de décerner des satisfecit aux personnalités du monde de la politique ou des affaires, promptes à faire un « geste », tout en « chargeant », celles qui prennent le risque de s’attirer ses foudres. Disons-le tout de suite, il y a eu, il y a aujourd’hui, des journaux « convenables », quand on les juge à l’aune de la déontologie, mais ils se comptent sur les doigts d’une seule main !ils sont constitués, essentiellement, par ce que j’appellerais sans hésiter, « la presse du cœur », à l’esprit partisan des premières heures du combat démocratique dans notre pays, mais qui a eu le mérite d’avoir initié une « culture informative », même si l’objectivité n’était pas souvent au rendez-vous.

Les journaux reflétaient la vie des parti(e)s et le journaliste était d’abord un militant qui défend les siens « contre vents et marées », au prix de son style et de ses idées. Ces journalistes-politiciens – pouvaient-ils ne pas l’être ? – maniaient à merveille la langue de Molière. L’écriture qu’ils avaient dans le sang était l’arme de leur combat. Les attaques qu’ils subissaient donc ne portaient que sur les idées « reçues » (de mauvais goût pour certains),  et leur manque d’objectivité. Les (d)ébats que cette presse suscitait étaient pleins d’animosité calquée sur celle qu’entretenaient les partis politiques, les personnalités d’envergures et les journalistes eux-mêmes.

Le malaise de la presse indépendante d’aujourd’hui est né de l’euphorie journalistique qu’ont connue les premières années de notre démogâchis. La liberté de créer et d’entreprendre, reconnue dans les limites confuses, à certains égards, d’une législation libérale tout en étant liberticide, a vite gagné le monde des ONG-machin et de la presse. Chacun y est allé de son titre pompeux mais sans consistance. Les publications que certains appellent – par animosité aussi ? – des « feuilles de chou » poussent comme des champignons. On a atteint, à un certain moment le chiffre record de six cents récépissés délivrés par le ministère de l’Intérieur !

Cette « inflation » de titres, non d’idées novatrices, a fait craindre qu’il y ait bientôt autant de journaux que de Mauritaniens. Le pays du « million de poètes » était en train de se transformer en pays du million de « journulistes » ! Le phénomène était déjà visible dans d’autres domaines où pourtant il faut de réelles capacités pour percer. Les Mauritaniens sont de grands multiplicateurs. Ça marche chez toi, alors j’essaie à mon tour !

La presse donc, « pressée » par des gens dont certains n’ont jamais réussi à aligner trois mots, perd sa quintessence. L’Etat n’a pas pensé à mettre des garde-fous à l’entrée de ce sanctuaire, contribuant ainsi à la mort insoutenable de ce contre-pouvoir destiné, dans toute démocratie qui se respecte, à prémunir contre les abus du pouvoir.

Le phénomène que j’ai tenté de décrire ne rend compte en fait que de la partie visible de l’iceberg. Derrière le foisonnement de titres, il y a le plus souvent le désir de profiter de ce moyen pour avoir ses entrées partout. Vendre ou ne pas vendre, qu’importe ! Seuls comptaient le soutien des amis ainsi que les « pubs » gracieuses qu’on peut arracher par-ci et par-là.

La vie d’un journal, on sait, par avance, qu’elle sera courte, puisqu’un seul « numéro » peut suffire pour établir le passe-droit du nouveau « journuliste ». Même après cent ans, le « journul » continuera quand même à exister, par la force du « pershmerguisme », cette pratique bien mauritanienne qui pousse les « gens de la presse » à quémander comme le feraient les mendiants de Nouakchott. Il y’en a qui jettent l’éponge au bout de quelques mois, voire de quelques années, mais d’autres surgissent du néant. Ils ont envie de venir, de voir et d’essayer. L’échec appelle l’échec et nous ne sommes pas prêts, je crois, à sortir du provisoire.

Sneiba Mohamed

 

 

 

 

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