Mohamed SNEIBA

A la rencontre des femmes courage de la plaine de Leikleyla en Mauritanie

Femmes devant la boutique de la coopérative Leikleila d’Aleg (photo : Sneiba)

Aleg, ville du centre de la Mauritanie, est la capitale du Brakna. Beaucoup de Mauritaniens connaissent cette cité où s’est tenu, en 1958, le Congrès d’Aleg, considéré comme l’acte de naissance de la Première République. Aleg est aussi une ville où les habitants, majoritairement haratines, luttent pour leur survie.

Elles sont cent femmes haratines regroupées dans la coopérative agricole de Lekleila, du nom de la vaste plaine où l’on cultivait, jusqu’à une date récente le mil et autres céréales traditionnelles. La coopérative a démarré en 2011, grâce à l’argent procuré par une boutique communautaire que les adhérentes avaient démarré en 2006 avec une mise individuelle de 13.000 ouguiyas (36 USD).

« Notre objectif n’était pas de faire des bénéfices mais d’avoir un recours autre que celui des commerces de la ville et de favoriser un climat de vie digne », assure Khadjana Mint Mohamed M’Bareck, la présidente de la coopérative.

La boutique vue de l’intérieur (photo : Sneiba)

Sans niveau scolaire significatif, ou même sans avoir été à l’école pour la plupart, ces femmes se devaient de lutter avec acharnement pour développer leur projet. Aujourd’hui, le résultat est plus que satisfaisant : En plus de la coopérative agricole et de la boutique, elles louent du matériel de cérémonie (mariages, baptêmes, etc) et gèrent un dépôt de bonbonnes de gaz butane qui complète leur autonomie vis-à-vis des boutiques du marché d’Aleg.

« C’est une organisation complète que nous avons là, assure une femme. Le jardin nous procure les légumes dont nous avons besoin sur une période de l’année, même si les factures de la SNDE (Société nationale d’eau) sont un salées à notre goût. La dernière facture (celle du mois de novembre) est de 125000 ouguiyas », précise-t-elle.

Les femmes gèrent la boutique à tour de rôle. Les deux femmes qui assurent le « tour » ont une part du bénéfice. La clientèle est assurée essentiellement des membres de la coopérative et de leurs proches.

Henné dans le jardin de la coopérative (photo : Sneiba)

Quand on demande à ces femmes de dire en quoi réside leur fierté, elles répondent spontanément : par le fait qu’on a réussi à monter notre propre affaire, et cela presque sans l’aide de personne. Elles se ravisent pour signaler que l’Etat, à travers « la structure qui aide les esclaves » (Tadamoun, je m’empresse de préciser), leur a accordé un modeste soutien : un vulgarisateur agricole, des semences et des barbelés.

La coopération espagnole a aussi posé une seconde clôture sur les dizaines d’hectares achetés à l’un de ces anciens maîtres qui continuent toujours à assurer leur mainmise sur bonne partie de la plaine de Lekleila.

 

Laissées pour compte

 

Aleg, un spectacle de désolation (photo : Sneiba)

Le sort de ces femmes est un démenti à tous ceux qui disent que la Mauritanie se développe !  Un démenti aussi à ce que traduisent les chiffres. Les chiffres d’une économie qu’il faut cependant lire à plusieurs échelles : celles du pays, des capitales régionales, des moughataas (départements) et des zones rurales.

Des villes où il ne fait pas bon vivre, on en compte à gogo en Mauritanie. Des villes où les habitants se délassent faute de travail, où les citoyens sont pris entre le marteau des commerçants et l’enclume de l’administration. Le « développement » dont on parle, et encore, se limite aux villes de Nouakchott et de Nouadhibou qui concentrent ce que le pays compte d’unités industrielles et de centres d’intérêts.

Le reste des cités souffre, depuis l’indépendance du pays, de l’absence d’une politique de développement qui prend en compte leurs spécificités, à l’image d’Aleg, ville où les populations, essentiellement haratines, luttent pour leur survie. Aleg, une ville où il n’y ni projet agricole, ni usine, ni centre de formation est l’illustration parfaite du mal développement que connaît la Mauritanie.

A part les commerçants et les travailleurs de l’administration, tout le monde survie grâce à des activités informelles auxquelles on ne peut même pas donner de nom !

Chacun s’improvise un métier, en espérant que les autres éprouvent le besoin de faire appel à ses services : vendeuses de légumes, charretiers, boulangers, manœuvres, coiffeurs, « michelins », un nom bien de chez nous, restaurateurs, bouchers, voilà à quoi s’occupent les gens de l’intérieur. Il n’y a ni usine qui a besoin d’ouvriers, ni ferme agricole qui nécessite une main-d’œuvre, comme cela se voit partout dans le monde.

Dans les villes de l’intérieur, du sud, de l’est et du Centre, les spécificités économiques doivent être prises en compte, comme pour Zouerate et Nouadhibou, pour le développement harmonieux de l’ensemble du pays. C’est cela que le gouvernement actuel doit comprendre pour résoudre l’équation des déséquilibres entre Nouakchott et le reste de la Mauritanie.

Reportage réalisé dans le cadre du Projet : « Liberté, droit et justice : combattre l’esclavage par ascendance en Mauritanie » du Département d’Etat des Etats-Unis.

 

 


La « success story » de Mohamed Saleck dans la plaine de M’Pourié, en Mauritanie

J’étais à la quête d’un haratine « ouvrier agricole » lorsque je suis tombé par hasard sur un « propriétaire terrien ». En fait, Mohamed Saleck a été l’un avant de devenir l’autre. Par son courage et à sa persévérance.

 

Mohamed Saleck, d’ouvrier agricole à exploitant (photo : Sneiba)

Depuis dix ans, Mohamed Saleck travaille pour son propre compte sur les cinq hectares qu’il a achetés dans la plaine de M’Pourié. Une petite affaire familiale qui lui permet aujourd’hui de faire vivre sa famille et de sortir de la précarité de ses années de jeunesse.

Avec une production de 150 sacs de riz à l’hectare, quand la campagne qui dure de trois à quatre mois est bonne, Mohamed estime que l’agriculture nourrit bien son homme. Certes, les usiniers de Rosso n’achètent plus toute la production pour la revendre à la Sonimex (Société nationale d’import-export) que l’on dit au bord de la faillite, mais ils continuent toujours à proposer le même prix (100 UM au kilogramme) pour les petits producteurs de la plaine de M’Pourié. Parce que la politique du « consommer locale » a obligé l’Etat à taxer fortement le riz importé et à favoriser l’offre du riz mauritanien.

Pourtant, continuer à exploiter ces cinq hectares en réalisant des bénéfices, est loin d’être évident. Le sexagénaire me trace rapidement le topo : il faut 5 sacs d’engrais pour un hectare, 16.000 UM pour le tracteur qui doit retourner la terre et 30.000 UM de redevance eau (toujours à l’hectare) payés à l’Etat. « Cela n’aurait pas été possible si je devais, en plus de ces charges, engager des ouvriers », me dit-il. « Je m’appuie uniquement sur mes enfants ; quand l’école le permet », précise-t-il.

A M’Pourié, les étrangers sont légion. C’est encore Mohamed Saleck qui donne l’explication : les nationaux, essentiellement des haratines, ne veulent plus de ce travail harassant. Ils préfèrent travailler au marché de Rosso, au débarcadère ou dans le BTP, surtout que, contre 45.000 ouguiyas/mois, on leur demande de servir à la fois d’ouvrier agricole et de gardien, en vivant dans un abri de fortune près de la parcelle ! Seuls les travailleurs sénégalais et maliens acceptent ces conditions drastiques parce qu’ils n’ont pas d’autres choix. On parle même, à Rosso, d’une « bourse » du travail où les étrangers proposent leurs services à des agriculteurs mauritaniens fainéants.

M.D est un Sénégalais de 19 ans. Il dit être engagé pour 43.000 ouguiyas. Il se plaint de devoir vivre sur place durant la campagne et de devoir dépenser une partie de son salaire pour manger et boire. (photo : Sneiba)

 

 

Le programme « jeunes chômeurs », un désastre économique

 

L’idée d’amener les jeunes diplômés chômeurs à se tourner vers l’agriculture était bonne, mais comme tous les programmes où il y a profit, elle a été faussée, dès le départ. Des jeunes qui ne connaissent rien à la terre, qui n’avaient aucune attache avec le milieu, ont bénéficié de 10 hectares chacun, d’une aide substantielle d’installation et de trois vaches laitières pour commencer une vie d’agriculteurs. Mohamed Saleck, qui estime que cette aide aurait dû aller à des agriculteurs comme lui, affirme que sur les 125 jeunes du premier programme, il ne reste plus qu’une poignée. Les autres ont préféré vendre ou louer les parcelles que l’Etat leur a attribuées croyant bien faire.

Un abri de fortune (photo : Sneiba)

Mohamed estime que les ouvriers agricoles, essentiellement des haratines, avant l’arrivée des Sénégalais et des Maliens, pouvaient bien profiter de ce programme si la volonté d’arriver à l’autosuffisance alimentaire et de procurer du travail aux mauritaniens était bien réelle. « On n’a pas besoin de  se torturer les méninges pour comprendre que l’objectif de cette opération était autre », dit-il.  A chaque fois que le gouvernement met en place une opération, « il y a des intrus. Ici, l’agriculture a ses hommes et c’est nous. Si la CDD (Caisse des dépôts et de développement) consent à nous aider, elle ne le regrettera pas. Il y a un véritable trésor caché dans cette terre, mais il faut les moyens pour le faire sortir », conclut Mohamed.

« Tu vois, je suis seul. Aujourd’hui, les enfants ne peuvent pas m’aider parce qu’ils sont à l’école. Chaque jour, il faut se lever à quatre heures du matin pour être là avant les mange-mil (premier danger pour les parcelles de riz à un mois de sa maturation). Pour me faire aider, j’ai été cherché un travailleur étranger mais ce qu’il me demande est au-dessus de mes moyens. »

Mohamed Saleck, d’ouvrier agricole à exploitant (photo : Sneiba)

A un mois de la récolte, cet homme se bat, seul, pour entretenir une activité qui l’a aidée à sortir de la précarité. Certes, il n’est pas devenu un « propriétaire terrien », au sens où l’on comprend ce terme en Occident quand on pense aux riches hommes d’affaires mauritaniens qui ont fleuré le filon en investissant dans l’agro-business, mais, au moins, il travaille en homme libre, laissant derrière lui sa condition d’ouvrier agricole exploité, à outrance.  Un esclavage foncier que les haratines refusent de plus en plus dans la Vallée du fleuve Sénégal, et plus précisément dans la plaine de M’Pourié.

Reportage réalisé dans le cadre du Projet : « Liberté, droit et justice : combattre l’esclavage par ascendance en Mauritanie » du Département d’Etat des Etats-Unis.


Moi Tarba, j’ai décidé d’être : les misères d’une ancienne esclave à Atar, en Mauritanie

Toujours dans la série des «parcours exceptionnels », le portrait que l’on présente ici est celui de Tarba Mint M’boyrick, un autre combat pour la survie qui mérite d’être connu.

 

Tarba, ancienne esclave, dans son cadre de « vie » (photo : Sneiba)

Vous êtes prévenus : pour écouter Tarba raconter son histoire, il faut avoir de la patience. J’ai passé une journée avec elle au siège de SOS Esclaves, à Atar, et à « Netteg », le quartier pauvre où elle vit avec ses deux enfants, son mari, et son neveu « El id », qui vient de fuir ses maîtres et se démène pour faire venir sa mère et ses sœurs « de là-bas ».

Tarba parle de son « parcours » : El karkar, une localité qu’elle situe quelque part au Tagant, une région du centre de la Mauritanie. Elle dit avoir été donnée, en cadeau, par son maître, à son fils, à la naissance de celui-ci. Quand ? Elle ne sait pas. Tarba doit avoir la soixantaine. Peut-on la croire quand elle dit que sa mère a été affranchie par ses maîtres et a préféré partir loin, en Adrar, pour y finir ses jours, quand elle a été maintenue en esclavage ? Elle n’en veut pas à cette mère qui l’a abandonnée, la laissant garder les troupeaux de ses maîtres jusqu’au jour où elle décide, elle aussi, de mettre un terme à sa servitude. C’est sa maîtresse, Mariem Mint N… qui lui mit la puce à l’oreille quand elle parle de sa mère qui vit maintenant à Atar. Toute la nuit, Tarba ne dormit pas. C’est décidé, demain, en allant faire paître les animaux, elle ne reviendra pas. Elle fuira l’enfer d’El guerjam, une localité qu’elle situe dans les environs d’Achram Aftout, en Assaba, assure-t-elle.

Sa fuite la conduit à Al Ghayra et c’est un restaurateur qui la sauva, de justesse, de son maître parti à sa recherche à dos de chameau, raconte-t-elle. Ce « sauveur » la cacha le temps de trouver le moyen de l’envoyer à Nouakchott, avec comme seul bagage l’outre qui lui a permis de ne pas mourir de soif lors de sa fuite. Un membre de SOS Esclaves précise que ces événements se sont déroulés en 1992, trois ans avant la création de l’organisation qui ne sera reconnue qu’en 2007, et qui s’occupe aujourd’hui de Tarba en essayant de l’aider à « bien » finir ses jours en savourant les bienfaits de la liberté, même si elle supporte toujours le poids de la pauvreté et de l’ignorance.

A Nouakchott, Tarba retrouvera sa condition d’esclave, en vivant avec la sœur de sa maîtresse, à Lemzelga. L’esclavage urbain (le travail sans rémunération) lui paraissait pourtant plus supportable que la vie qu’elle menait dans un coin perdu de la « Mauritanie profonde ». Elle vivait avec l’espoir de pouvoir partir un jour rejoindre sa mère à Atar.

Femmes haratines encadrés par SOS Esclaves à Atar (Photo : Sneiba)

Dans la capitale de l’Adrar, en cette fin de 2017, un quart de siècle après avoir fui ses maîtres, Tarba mène un autre combat : survivre. Et aider son neveu El Id à « libérer » sa mère et ses sœurs, toujours esclaves, selon elle, malgré toutes les démarches entreprises par SOS Esclaves. En revenant de son « abri » de Netteg (je n’ose parler de « maison »), elle me montre une immense bâtisse et me chuchote : « c’est là où elles vivent » (en parlant de sa sœur et de ses filles).

Dans sa fuite, elle-même avait abandonné ses enfants (un garçon et une fille). C’est pour les libérer qu’elle avait contacté, à l’époque, SOS Esclaves. Aujourd’hui, sa fille Mbarka est mariée et son fils travaille comme  manœuvre.

 

Libre mais…

 

A Atar, Tarba s’est essayée comme bonne. Elle a aussi constitué un « semblant » de famille, dit-elle. J’ai compris que c’est elle qui est « l’homme ». Elle qui doit se démener pour faire vivre les autres.

Tarba a travaillé un temps dans le projet de vente de couscous encadré (financé) par SOS Esclaves pour des femmes haratines à Atar. De constitution fragile, elle a fini par abandonner mais continue de bénéficier du soutien de l’ONG sous une autre forme.

Car, sans moyens, les anciens esclaves sont tentés de revenir voir leurs anciens maîtres (ou les cousins de ces derniers). La sœur de Tarba lui reproche d’ailleurs d’avoir fui et résiste à la « tentation » de suivre son exemple.

Khira, une ancienne esclave à Atar (Photo : Sneiba)

Tarba suit aussi les cours d’alphabétisation de SOS Esclaves mais voudrait que l’école « vienne vers elle » ! « Les classes doivent être à côté », dit-elle.  Car ce n’est pas tous les jours qu’elle a les moyens de payer le taxi pour se rendre au siège de l’ONG, qui a ouvert deux classes pour les enfants et les adultes d’une communauté haratine dont le mal, après les affres de l’esclavage, est l’ignorance et la pauvreté.

Les boutiques financées par SOS Esclaves, sous forme d’AGR (activités génératrices de revenus) sont certes une initiative louable, mais elles ne peuvent être LA solution aux problèmes que l’Etat se doit de considérer comme l’une de ses priorités sociales et humanitaires en guise de réparation pour un préjudice moral et physique de très longue date.

Des enfants haratines aux cours de SOS Esclaves (Photo : Sneiba)

Les femmes haratines que SOS Esclaves aident s’occupent, mais surtout apprennent. Elles se réalisent aussi. Les anciennes esclaves comme Tarba et Khira Mint H… « se voient » comme les autres. Elles « se libèrent » progressivement. Par le travail et rien d’autre. En attendant que l’éducation aide leurs enfants à retrouver leur qualité d’homme.

Reportage réalisé dans le cadre du Projet : « Liberté, droit et justice : combattre l’esclavage par ascendance en Mauritanie » du Département d’Etat des Etats-Unis.


Comme des forçats dans la carrière de Néma, en Mauritanie

A Nouakchott, leur « révolte », en 2013, pour réclamer une augmentation de 1000 UM (2,5 euros) par tonne déchargée a ému tout le monde. Pourtant, ils sont considérés comme des « nantis » pour qui connait le sort des « baregniniyat » (manœuvres) et des travailleurs de la carrière de Néma. Nous vous relatons, dans les lignes qui suivent, la « vie » de ces « damnés » de l’esclavage, (ou de ses « séquelles », comme disent les autorités). Des histoires destinées à démontrer qu’en Mauritanie, les « esclaves des temps modernes » ont pour seul nom : « haratines ».

 

Mohamed Ould Hmeyda a la cinquantaine largement dépassée. Il dit être né « vers 1960 » dans les environs de Kiffa (région de l’Assaba). Il est à Néma depuis près de vingt ans et travaille dans la fameuse carrière, à près de 20 kilomètres. Il tente de me faire le topo mais je l’interromps : « Allons-y. Je veux voir ça de près. »

Extraction de gravier à Néma (photo : Sneiba)

En parcourant le chemin que j’ai pris la veille en venant de Nouakchott, je revis les difficultés qu’éprouvent Ould Hmeyda et les dizaines d’autres travailleurs de la carrière pour rejoindre le site. Il faut parcourir 17 km et quitter la route, à gauche, pénétrer dans un petit buisson avant de découvrir la carrière de Néma.

De loin, le lieu semble désert, mais en entendant le vrombissement du puissant moteur de la Mercedes 190, les hommes sortent de leurs trous, pensant à l’arrivée de providentiels acheteurs. C’est le seul moment où ils s’autorisent un répit, parce que le travail de « carriériste » est plus proche de celui des forçats : pour charger un camion de dix tonnes, ces hommes se mettent souvent à six ou sept. Mohamed m’explique que, seul, il mettrait une dizaine de jours pour arriver au même résultat. « Quand un acheteur pressé se présente, nous sommes obligés de mettre en commun notre production pour vendre. »

Sans aucune amertume, Ould Hmeyda raconte sa vie de vendeur de gravier. Comme l’écrasante majorité des haratines de son âge, il n’a pas été à l’école.

Mohamed Hmeyda (photo : Sneiba)

« Nos parents nous ont caché, près de la montagne de Diouk parce qu’ils ne voulaient pas que les méchants Français nous « enlèvent ». Par ignorance, ils ont suivi ce que leurs maîtres disaient de l’occupant. » Il est conscient du préjudice subi, mais n’en veut aucunement à un père lui aussi victime de sa condition de descendant d’ancien esclave.

A Néma, d’autres haratines ont des occupations différentes, mais ils partagent avec Mohamed Hmeyda la même condition : ils triment pour leur survie et celle de leurs familles.

Mahfoud Ould Saleck est, dans le jargon de sa ville, un « baregneny », un manœuvre qui opère plus de dix heures dans le quartier de « Del’ba ».  Il tire une certaine « fierté » de son statut de chef des manœuvres qui déchargent les camions du Commissariat à la sécurité alimentaire (CSA), à raison de 800 UM (2 euros) la tonne, alors que les autres dockers qui déchargent les marchandises des commerçants du marché de Néma n’ont que 500 ouguiyas (1,5 euro par tonne).

Mahfoud Ould Saleck (photo : Sneiba)

« Il y a des jours sans », me confie-t-il, près du restaurant Al Vowz où nous avons tenu une interview improvisée. « Tu peux passer une semaine sans avoir à décharger le moindre camion, comme en ce moment, mais il y a aussi des moments fastes, ceux des « programmes » et des « distributions gratuites » », raconte-t-il. J’eus comme l’impression que cet homme voulait se confier à quelqu’un, jouer son rôle de « chef » des manœuvres en parlant du calvaire qu’ils endurent.

Mahfoufh est un homme « instruit », me confie un manœuvre qui n’a pas eu la chance d’aller à l’école. Voulait-il me dire que le « chef Mahfoud » pouvait trouver un travail plus « convenable », s’il n’était pas haratine ?

Les haratines de diverses conditions que j’ai abordés au marché de Néma n’aiment pas parler politique. Mais ils ne peuvent cacher leur amertume quand ils évoquent les conditions de vie de cette communauté marginalisée en tout.

L’homme qui m’avait conduit à la carrière de Néma tient à aborder la situation des haratines comme découlant d’un rapport de forces qui, malgré son évidence, est l’une des questions qui fâchent en Mauritanie.

« Nous sommes majoritaires ici mais on nous refuse le poste de maire. Les seules fois où nous avons réussi à avoir ce privilège c’était en 1986, quand nous avons porté Mohamed M’Bareck Ould Abdellahi dit Be Ould Zagoura à la tête du conseil municipal, et en 2009, « notre » maire Vadhili Ould Ahmed a été « relevé » de ses fonctions parce qu’il avait refusé d’accueillir le président Aziz, qui venait de réussir un coup d’Etat contre Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdellahi. »

Cette brève incursion dans la politique prend fin quand mon interlocuteur revient sur la situation des « baregniniyat» de Néma.

« Nous ne nous plaignons plus seulement des conditions de travail et de l’exploitation que nous subissons dans notre propre pays, mais il y a aujourd’hui la concurrence que nous livre la main-d’œuvre malienne. » Joignant le geste à la parole, il me montre un tout-terrain Toyota garé devant un grand magasin et me dit : «Regardez, les hommes que vous voyez là, ce sont des Maliens. Les commerçants font appel à eux parce qu’ils acceptent sans rechigner ce qu’on leur propose. Pourtant, il est de la responsabilité de l’Etat de nous garantir les conditions, les moyens, de notre survie », conclut-il.

Travailleurs maliens (photo : Sneiba)

A la question de savoir si le travail de « baregneny » (manœuvre) est une « exclusivité » haratine, Mohamed répond : « Regardez autour de vous et posez-vous la question. Où sont les autres ? Est-ce le sort qui attend mes six enfants, même si, j’ai pris soin de les envoyer à l’école ? », me demande-t-il.

Mohamed Hmeyda saisit l’occasion pour me dire qu’en 2006, il a été engagé comme gardien par le service des Eaux et Forêts de Néma. Quatre ans plus tard, le nouveau chef l’a renvoyé, sans raison valable, reprendre le seul travail qui ne nécessite pas d’intervention : « manœuvre ».

Manoeuvres haratines (photo : Sneiba)

Reportage réalisé dans le cadre du Projet : « Liberté, droit et justice : combattre l’esclavage par ascendance en Mauritanie » du Département d’Etat des Etats-Unis.


Référendum : c’était bien « le vote des bêtes sauvages »

Des partisans du président mauritanien rassemblés durant un meeting lors de la campagne sur le projet de référendum constitutionnel, le 20 juillet 2017.
© rfi/Afp

En Mauritanie, le « oui » pour les réformes constitutionnelles proposées par le président Mohamed Ould Abdel Aziz (présentées à tort comme les résultats d’un « dialogue national »), l’a remporté largement. Avec 85%, nous dit la CENI (commission électorale nationale indépendante) qui, comme le sénat que le référendum vient d’enterrer, a aussi dépassé son mandat !
Mais l’enjeu de ce référendum que l’opposition radicale (une coalition de 8 partis, de syndicats et de personnalités indépendantes) qualifie d’illégal, était ailleurs. On se demandait qui allait voter?
La majortité présidentielle (une soixantaine de partis politiques) qui n’avait de discours et de mode d’action que celui de l’Union pour la République (UPR), parti au pouvoir, comptait sur le soutien de 14 autres formations dites de l’opposition modérée.
Le rapport des forces était donc nettement en faveur du camp présidentiel mais les résultats du vote du 05 août 2017 ont montré que la mobilisation pour la participation n’était pas comme on le laissait croire à un Ould Abdel Aziz emporté par le délire de ses ministres, des organisateurs d’initiatives en faveur du référendum et de médias qui ne faisaient entendre que ce qui allait dans le sens du « oui ».
Sur les quelque 1.300.000 mauritaniens inscrits, seuls 700.000 (53,75%) ont pris le chemin des urnes le 05 août dernier. C’est ce que disent les chiffres officiels. Mais l’opposition et bon nombre d’observateurs indépendants (pas ceux que le gouvernement a fait venir de pays africains) estiment que le taux de participation n’a pas dépassé les 30-40%. A Nouakchott, en tout cas, et dans la plupart des grandes villes du pays, les mauritaniens semblent avoir choisi le mot d’ordre lancé par l’opposition en faveur du boycott.
Dans la « Mauritanie profonde », par contre, celle sur laquelle compte tout pouvoir pour faire entériner ses choix politiques, les « bêtes sauvages » dont parlait A. Kourouma dans son livre, ont bien voté. Les scores dénotaient d’un retour aux vieilles pratiques où les tribus étaient maitresses du jeu. Chacune se devait de prouver au pouvoir son allégeance « en assurant », et les caisses remplies étaient la seule preuve qu’elles ont voté en faveur du oui. Voter, le « comment » importe peu.
Malgré cela, le président Mohamed Ould Abdel Aziz doit bien comprendre maintenant qu’il ne peut compter sur une majorité fictive pour envisager le scenario d’un troisième mandat. Car, sans l’apport des partis dits de l’opposition « modérée », comme l’Alliance populaire progressiste (APP), de l’ancien président de l’Assemblée nationale Messaoud Ould Boulkheir, et d’Al Wiam de Boidiel Ould Houmeid, la « majorité fictive » qui le soutient aujourd’hui aurait eu du mal à faire passer les amendements constitutionnels qui, osons le dire, ne font qu’enfoncer le pays dans la crise.


Mauritaniens, indignez-vous !

Aeafat, quartier de Nouakchott (Photo : Sneiba)

J’aimererai bien crier, à la face des « majoritants » et des opposants : ya ehel mouritani goulou eff e’khleytou. Expression intraduisible mais qui donnerait quelque chose comme : « mauritaniens, indignez-vous »!
Depuis cinquante-six ans, les hommes politiques vous mentent. Vous volent. Vous humilient.
Le premier de ces mensonges est de vous faire croire que vous avez acquis votre indépendance, alors que vous dépendez encore, comme tant d’autres pays africains et arabes, de vos anciens maîtres. Nous ne produisons ni ce que nous mangeons ni ce que nous portons. Je ne parle pas de nos moyens de locomotion et encore moins des armes qui permettent à nos forces de l’ordre non pas d’assurer notre sécurité mais de nous forcer à subir le joug de nos gouvernants. L’armée a pour premier rôle d’assurer la continuité du pouvoir jusqu’au jour où un militaire décide de remplacer un militaire. Ne dit-on pas chez nous « may mout sendri maaje wahed v belou » (si un soldat meurt, un autre le remplace ». Cette « mort » peut être politique, par l’effet d’un coup d’Etat que l’on perpétue aussi contre les présidents civils, même élus démocratiquement.

Putschs à répétition : 1978…1981…1984…2005…2008…20..?

Notre temps politique est rythmé par les coups d’Etat. La « pause » de 2007 a été de courte durée. Une éclaircie démocratique qui devait seulement permettre à l’auteur du putsch de 2005 de préparer une gestion durable du pouvoir. Une supercherie politco-militaire appelée « Rectfication » qui dure encore aujourd’hui. Et l’on nous parle de démocratie, dix ans après !
Avoir accepté de jouer (pour perdre ou gagner) dans un pays où la politique se pratique, comme le golf, mais sur des sables mouvants, est le propre d’une élite clochardisée par le long règne de l’armée. La démarcation entre la majorité et l’opposition est une sorte de ligne Maginot que l’on transgresse allégrement en période électorale. Le peuple, éternel dindon de la farce, est mangé à toutes les sauces. Celle de la majorité intéressée ou de l’opposition sans consistance prenant ses rêves de (con)quête du pouvoir pour la réalité. Une opposition qui confond vitesse et précipitation et tombe, très souvent, dans le piège tendu par le pouvoir.
Le président Aziz, qui était « le gardien du temple¹ » durant le long règne de Taya, a reproduit son système. Le Système. Tribus, argent et savoir. Il l’a même perfectionné en lui passant une légère couche de machiavélisme; comme s’il avait lu et assimilé Le Prince. Alors que Taya avait détruit l’armée pour gouverner avec les civils, Aziz a restauré la force pour s’assurer la loyauté de l’élite et dominer le peuple. Aujourd’hui, dans l’esprit des mauritaniens, le rais est l’homme du « ça passe ou ça casse ».

Eternel recommencement

Les réformes constitutionnelles que propose le président Aziz en cette fin de second mandat ressemblent, à s’y méprendre, à la « Rectification » par laquelle il avait justifié son usurpation du pouvoir en 2008. L’objectif étant le même : après être arrivé, il faut savoir rester. Et durer.
Celui qui prétend s’être opposé en 2008 au retour de « l’Ancien régime » (dont une bonne partie se trouve aujourd’hui de son côté) réclame plus de temps pour « parachever » SES projets ! Un troisième mandat « informel » comme celui imposé au peuple burundais par Nkurunziza et ardemment recherché en RDC par Kabila.
Parce que l’opposition veut triompher sans livrer bataille, les réformes constitutionnelles, légitimes ou pas, passeront. Les peuples indignes et sans volonté se rangent toujours du côté de la force. L’élite corrompue les aura devancés sur la voie sans embûches de l’opportunisme, pas de l’opportunité offerte, comme en 2005 et en 2008, de faire avancer la démocratie. Cela est pourtant arrivé chez nos voisins du Sénégal quand, en 2012, les électeurs ont retourné leurs « armes » (leurs bulletins) contre le président Wade qui avait des velléités de monarque.

La course aux nominations et aux privilèges devient le maître mot de tous les agissements. On entend alors toutes sortes d’incongruités. « La constitution n’est pas le Coran ». Bien sûr. Elle peut donc être changée, échangée même ! « Le peuple est souverain », oui, mais on lui impose par l’article 38, devenu subitement TOUTE la constitution, après le rejet des amendements par le sénat, d’aller dans le sens voulu par le pouvoir. Certains opposants n’ont pas le droit d’assister à des manifestations (conférence de presse) parce qu’ils appartiennent à des organisations non reconnues (IRA, FPC). Leurs droits de citoyens pouvant militer dans le parti de leur choix est ainsi bafoué. Et pourtant, ceux qui louent les amendements et magnifient les « réalisations » du président donnent libre cours à leurs facéties dans les médias publics, devenus propriété exclusive du Parti au pouvoir, et dans les salles de conférence des hôtels ou des maisons des jeunes. Les « initiatives » de soutien au président foisonnent et font le bonheur des télévisions et sites « peshmerga² ». Il s’agit souvent de jeunes loups formés à l’école de l’opportunisme politique. Des jeunes qui passent un temps à l’opposition, pour faire monter les enchères et, subitement, déclarent leur adhésion au parti au pouvoir parce qu’ils ont vu « les réalisations grandioses accomplies sous la direction éclairée du président et mises en œuvre par le Premier ministre ».
Depuis l’arrivée de l’armée au pouvoir, un 10 juillet 1978, c’est ce cycle infernal qui fonde notre « démogâchis ». Mauritaniens, « goulou eff ekhleytou » (dites « ça suffit » ou acceptez de vivre indignement. Acceptez votre déchéance.

  1. Titre d’un roman de Ch. H. Kane
  2. Nom donné à certains sites mauritaniens qui monnayent leurs services.


La France « soumise »

Statue de la liberté en pleurs (Photo google)

Les législatives françaises ont confirmé qu’il y a bien un phénomène « en marche ». Un phénomène Emmanuel Macron. Le parti LREM (la république en marche), dernier venu sur la scène politique française réalise une véritable OPA sur l’Assemblée nationale avec plus de 400 députés, selon les premières estimations du premier tour des législatives. Une vague déferlante qui renforce l’échec des partis traditionnels de gauche et de droite. C’est aussi l’antithèse « idéologique » qui s’oppose à la « France insoumise » de Jean-Luc Mélanchon, la gauche radicale qui cherchait à jouer le même sale tour aux deux grandes formations qui « occupaient » le terrain sous la Cinquième République.
Emmanuel Macron, le jeune président d’à peine 40 ans, aura donc les coudées franches pour mettre en œuvre le programme qu’il avait déroulé durant la campagne présidentielle de mai dernier. Tout échec possible durant le quinquennat qui s’annonce sera donc imputable à la majorité qui l’a intronisé comme nouveau Roi de France. Face à une opposition sans envergure, Macron et son équipe gouvernementale auront à rendre compte à cette « France soumise » qui a choisi de tester son modèle politique de ni gauche ni droite.
A l’épreuve, les idées se fanent souvent. Macron devra se battre sur plusieurs plans pour ne pas décevoir. Très engagé pour une Europe forte, et décidé à ne rien lâcher sur le Brexit, il aura fort à faire pour que la France retrouve le chemin de la sérénité après tant de bouleversements politiques. La voie est dégagée mais le voyage ne fait que commencer. Attendons voir.
Si le renouvellement politique que le président français prône depuis son « désengagement » du gouvernement sous François Hollande, a des vertus ou s’il s’agit, comme tout phénomène, d’une mode passagère.
Si l’économiste qu’il est a la solution miracle pour faire revenir la croissance et lutter contre le chômage qui a eu raison de son prédécesseur.
Si le « macronisme » est assimilable à une « monarchie » républicaine.
Si, comme le disent les perdants (PS, LR, le FN, la France insoumise », « trop de pouvoir » tue la démocratie.
Attendons voir, j’ai dit. Si, dans les faits, « trop de pouvoir tue le pouvoir ».


Au nom de l’article 38, je vous emmerde !

Art 38 : « le président peut consulter le peuple sur toute question d’intérêt national (photo : Sneiba)

Bon, je viens très en retard pour donner, moi aussi, mon humble avis sur la polémique en cours à propos des amendements constitutionnels. Un avis « inutile et incertain » certes, puisque ceux d’éminents constitutionalistes  ont été rangés dans l’escarcelle des querelles politiques en cours depuis 2008.

Ces amendements seront proposés donc au verdict des urnes le 15 juillet prochain. Le président Mohamed Ould Abdel Aziz en a décidé ainsi. Bon, pardon, le gouvernement l’a annoncé en conseil des ministres ! Le Conseil constitutionnel ne se prononcera pas sur le recours à l’article 38 qui, selon un magistrat « retraité » et disparu de la scène depuis la fin de la transition militaire 2006-2007 et la « Rectification » (putsch) qui l’a suivie, permet au président de la République de consulter le peuple « sur toute question d’intérêt national ». Aujourd’hui, c’est le référendum sur les amendements constitutionnels et demain ça peut être quoi? Le troisième mandat? Le dixième ? La présidence à vie ? La royauté ? Puisque l’article 38 est « absolu », tout est permis. Pour le juge Ould Rayess, c’est la mort de la constitution, comme Nietzsche parlait de la mort de Dieu.

Les justifications du recours à l’article 38 relèvent de l’aberration. De notre « tieb-tieb », cet affairisme qui a gagné tous les secteurs de notre vie, et que nous avons transformé en moyen de « survie ».

Je ne dis pas que le président n’a pas le droit de consulter le peuple mais il y a la forme. Pour les amendements constitutionnels, vus comme une « question d’importance », les articles 99, 100 et 101 sont un passage obligé. La « gazra » (squat) qu’on est en train de pratiquer pour passer outre est un dangereux précédent en matière de loi. L’impression qui s’en dégage est que la partie devient le tout. Que le 38 est LA Constitution. Il permet au président de dire aux sénateurs « je vous emmerde », après le refus de ses amendements. Cet article « machin » ouvre la boîte de Pandore, je vous l’ai dit. Rien ne lui résiste puisqu’il est destiné à contrer « l’esprit des lois ».

Je ne préjuge pas de la nécessité des amendements proposés mais je dis que vue la manière dont ils vont être adoptés, nous sommes en face d’une infraction grave dont le pouvoir actuel se rend coupable. Et pour laquelle il sera jugé, tôt ou tard, au tribunal de l’histoire.


Autour d’un thé : Satan rime bien avec Sultan

Mains (crédit photo : pixabay.com)

Seuls les imbéciles ne changent pas. Ni de tête. Ni d’avis. Ni d’approche. Le recyclage reste, pourtant, une vieille technique qui a fait ses preuves. Partout. Et, comme l’on dit chez nous, « Celui qui ne se fâche pas est un âne ». Quant à celui qui n’accepte pas les excuses d’autrui est un satan.

N’aurait donc que le choix d’être âne ou satan ? Poétiquement parlant, satan rime bien avec sultan. Même si la poésie est à l’origine de tous nos maux. Ô vous, chers Z’autres du pays d’un million de poètes¹, ce n’est pas en déclamant vos interminables strophes que vous ferez avancer notre développement !

C’est un peu comme l’aveugle qui n’a jamais vu qu’un rat. Du coup, le voilà à tout comparer à cette petite créature. Une montagne ? C’est quoi, par rapport au rat ? Un Boeing 737 ? C’est quoi, par rapport à un rat ? La Tour Eiffel ? C’est plus grand ou plus petit qu’un rat ? Le métro du Caire, ça ressemble à un rat.

La conscience de l’aveugle sur le rat. Notre système éducatif : les sciences, les connaissances scientifiques. Il faut construire des centres de formation pour les techniciens. Rien ne marche à cause des langues. Rien ne va à cause de la poésie. Il faut arrêter la littérature. Cessons de parler. De chanter. De versifier. Et tout ira mieux.

Les sciences et les scientifiques, comme chez les autres ! Pour revenir au pardon, peu importe d’attendre quelque temps. Laisser passer le tonnerre, puis la réalité reprend le dessus.

Si l’on retourne un peu arrière, qui a inventé le pléonasme ? Ou, si l’on remonte un peu « en haut », le fameux camion du Commissariat à la sécurité alimentaire qui est parti vers les magasins, de lui-même, sans demander à personne, avec probablement tout de même, la complicité de son chauffeur, « remplir sa tête » de riz, de dattes et autres petites choses très utiles pour le Ramadan, le voici vrombissant et fonçant vers une illustre maison, pour y décharger son contenu et revenir, comme si de rien n’était.

Un camion « traditionnel » qui accomplit, d’année en année, le même rituel. C’est en quoi que l’ancien commissaire est « en ça dans ça » ? Ô mes esclaves, j’ai interdit l’injustice sur « moi », alors, n’en usez pas entre vous. Les pays se construisent sur la mécréance, pas sur l’injustice. Il a fallu presque deux ans pour méditer tout ça.

Heureusement qu’il y a eu cette histoire d’amendements constitutionnels et de referendum, pour réparer les injustices. La seule relation qui existe, entre le Commissariat à la sécurité alimentaire et le ministère de l’Education, c’est le riz.

Comment, me dire-vous ? Tbarkallah² : Les deux institutions ont des magasins remplis de riz. Le riz de la coopération japonaise, chinoise et autres pays, comme le Qatar ou l’Arabie Saoudite. Et le riz des cantines scolaires, généralement de bonne qualité et généreusement offert, en grande quantité, par le Programme Alimentaire Mondial.

Tous les deux vont partout, tous les marchés de la Mauritanie et des pays voisins, dans toutes les marmites de tous les gros responsables nationaux voire internationaux ; sauf là où ils devraient, normalement, aller : les ventres creux des petits enfants affamés des écoles et ceux des populations misérables à qui ils sont, pourtant, théoriquement destinés.

Le Monde sait, depuis longtemps, que rien ne se jette, tout se transforme. Au point que tout se recycle. Même les ordures. Nous connaissions les repris de justice. Voici venus les repris de l’Administration. Comme ça, on rectifie tout. Jusqu’à la Rectification.

Des voleurs formellement pris une main, parfois, voire repris, les deux mains, dans le sac, sont mis au frigo ; un peu congelés, le temps d’absoudre leurs péchés, puis resservis, aplatissant leur tête comme s’ils n’étaient ceux qu’hier le Rectificateur en chef abhorrait publiquement.

Directeurs généraux, chargés de mission, conseillers présidentiels, secrétaires généraux de ministère, présidents de conseil d’administration… Suivez mon regard et ne regardez, surtout pas, autour de vous. Vous risqueriez de vous faire emporter par un torrent de paradoxes et de contradictions. Volez, pillez, saccagez : la promotion suivra. Salut.

Sneiba El Kory (Le Calame)

  1. La Mauritanie est aussi appelée « le pays du million de poètes »
  2. très bien


Mauritanie : Amendements constitutionnels sur fond de crise

Deux bandeaux rouges pour le drapeau (Caricature : Mohamed Sneiba Elkory)

Le parlement a débuté, le 22 février 2017, une session extraordinaire en vue de l’examen de plusieurs textes de lois, dont le très controversé projet de loi portant sur des réformes constitutionnelles proposées par le gouvernement mauritanien et entérinées par les assises du Dialogue National Inclusif (DNI) organisé du 29 septembre au 20 octobre 2016, avec la participation de quelques formations politiques classées dans l’opposition «modérée ».

 

Ces réformes constitutionnelles portent sur « la suppression du sénat, la création de conseils régionaux et le changement des symboles nationaux (drapeau et hymne national) ». Le point relatif à la suppression de la limitation à deux du nombre de mandat du président de la République a été écarté de ces débats. Mieux, le président Mohamed Ould Abdel Aziz a déclaré, ouvertement, ne pas être intéressé par un troisième mandat ; ce qui avait été salué à la fois par l’opposition et par la communauté internationale. Mais avec cette session extraordinaire, les divisions resurgissent, à cause de ce forcing privilégiant la voie du Congrès à celle du référendum pourtant convenue par les participants au dialogue. L’argument avancé par le gouvernement (le coût d’une consultation référendaire estimé à 4 milliards d’ouguiyas) justifie-t-il ce revirement qui annonce une nouvelle crise politique ? Le pouvoir craint-il que la mobilisation contre ses « réformes », au sein même de sa majorité, ne consacre leur rejet par des populations très souvent désabusées par leur classe politique ?

Pour un juriste de l’opposition, répondant à la question de savoir quelle est la validité de la « réforme constitutionnelle » que le pouvoir s’entête à vouloir entreprendre, la réponse est simple, claire et sans équivoque : aucune validité. Ce « Congrès » est une assemblée de parlementaires dont le mandat à pris fin pour la 2ème  Chambre (Sénat). Il s’agit d’un énorme scandale constitutionnel puisque même le conseil constitutionnel, jusqu’ici soumis au régime, avait appelé au renouvellement complet de ce « sénat » depuis plus d’un an. Sénat dont la « fronde » a montré le désarroi dans lequel se trouve le sommet de l’Etat », écrit le professeur Lô Gourmo Abdoul.

« Sur le plan juridique, en refusant d’obtempérer à l’avis de son conseil, le Président de la République, gardien de la constitution, prend un risque personnel grave : la violation pure et simple de la constitution, constitutive d’un acte de forfaiture voire de haute trahison », poursuit-il.

Beaucoup d’autres voix, y compris celles des anciens présidents Ely Ould Mohamed Vall et de Mohamed Khouna Ould Haidalla, estiment qu’il faut arrêter cette « machine infernale » et amorcer un autre dialogue national, inclusif qui sauvegarde les intérêts du pays, maintienne la paix et assure une transition apaisée. Même dans le camp du pouvoir, l’ancienne ministre Siniya Mint Sidi Haiba a dénoncé des amendements constitutionnels qui risquent de mettre en péril la quiétude des mauritaniens.

 

Envie de marquer l’histoire

Le principe même de ces amendements divise. Certains les considèrent comme « inutiles et incertains ». D’autres voient en eux une manière pour le président Mohamed Ould Abdel Aziz de chercher à « marquer » son époque, quitte à effacer les symboles ayant toujours acquis le consensus des mauritaniens (le drapeau et l’hymne). Car si la suppression du sénat, remplacé dans la constitution amendée par des conseils régionaux, dont l’efficacité est loin d’être garantie, est saluée par toute la classe politique, les autres points soumis à l’approbation du parlement ne sont pas considérés comme une « priorité ».

L’opposition considère que le président Aziz, qui doit quitter la présidence en 2019, doit œuvrer, dès à présent, pour favoriser une transition pacifique du pouvoir. Dans le contexte politique actuel, le dialogue ne doit plus rester l’affaire de la majorité et d’une partie de l’opposition (APP, Alwiam, ACD, Almostaqbal) mais impliquer le Forum National pour la Démocratie et l’Unité (FNDU), composé de 11 partis politiques, d’organisations de la société civile, de centrales syndicales et de personnalités indépendantes, ainsi que Rassemblement des Forces Démocratiques (RFD) constituant, avec l’Union Nationale pour une Alternance Démocratique (UNAD) un troisième « front » de l’opposition.

 

Une médiation européenne en cours ?

 

Comme en 2008, l’Union européenne pourrait bien tenter une conciliation entre les protagonistes de la crise politique mauritanienne. Deux députés du Parlement européen, ont été reçus, le 20 février 2017, par le président mauritanien mais aussi par les différents chefs de file de l’opposition. L’UE s’impliquerait ainsi pour qu’un dialogue plus inclusif soit engagé, au moment même où le pouvoir maintien son agenda. Seul le challenge de l’UE, s’il arrive à se matérialiser, pourrait permettre aux partenaires (opposition et pouvoir) de renouer les fils du dialogue et, partant, rétablir la confiance. En commençant par préparer des élections municipales et législatives apaisées, consensuelles, donc, et inclusives, pour déblayer, en suivant, le chemin de la présidentielle de 2019, si, bien évidemment, on ne remet pas en cause les articles de la Constitution relatifs à la limitation de l’âge des candidats, occasion, pour le pouvoir ou ses suppôts, de remettre, sur le tapis, l’article limitant, à deux, les mandats présidentiels. Un piège dont tout facilitateur doit se méfier.

Aux parlementaires de la majorité qu’il a reçus à la présidence, à la veille des discussions des amendements, le président Mohamed Ould Abdel Aziz a pourtant déclaré qu’il n’y aura pas de reprise du dialogue et encore moins d’élections générales anticipées ! Seules certitudes donc, à moins de trois ans de la fin du second mandat d’Aziz, les modifications proposées par le gouvernement seront bien entérinées puisque la voie du congrès se précise, et la majorité se met déjà en ordre de combat pour soutenir le dauphin que l’actuel président compte se choisir. On se retrouvera ainsi devant un remake de 2008. Et la seule question que la majorité présidentielle (et les mauritaniens dans leur ensemble) ont hâte de savoir est : qui sera choisi par Aziz pour assurer la continuité de son pouvoir ?