Ma vie ne regarde que moi (4)

1 octobre 2016

Ma vie ne regarde que moi (4)

ma-vie-ne-regarde-que-moiCependant, Lahi trouvait des excuses à Fatiha. Il l’aimait encore follement. Il se disait, par exemple, que le monde d’Adelaïde était moins trouble, troublé, que celui dans lequel il vit; et que les circonstances favorisaient plus les incompréhensions sentimentales. Submergée par les objets de la modernité, Fatiha avait toujours besoin d’argent. De beaucoup d’argent. Et quand Lahi ne pouvait lui donner les sommes de plus en plus importantes qu’elle réclamait pour les mariages, les baptêmes et autres rencontres mondaines entre amies, elle se rabattait sur d’autres hommes qui n’attendaient qu’un geste de sa part pour satisfaire ses désirs les plus fous. Adelaïde luttait pour la survie, Fatiha vivait pleinement et intensément, comme si elle avait rendez-vous avec la mort dans l’instant d’après.

Lahi se surprend à envier Hyppolite. Un homme qui avait été aimé pour lui-même. Désiré pour son être et non pour son avoir. Il estima moins la différence de temps et de l’espace entre lui et ce personnage de roman que la similitude de caractères entre deux hommes séparés par un siècle et des milliers de kilomètres. Il se surprend, contrairement à Emma dans Madame Bovary, en train de rêver cette vie débarrassée des aléas d’une modernité factice.

Lahi attribuait tous ses échecs au symbolisme de son nom qui signifiait en hassaniya « je vais faire ». Une multitude de projets restés à l’état de projet par le fait de ce qu’il considérait, avec forte conviction, comme une malédiction. Il voulait devenir un grand spécialiste du droit et non un professeur de français n’arrivant pas à joindre les deux bouts. Il regrette aujourd’hui d’être rentré de France après avoir eu l’occasion, à ses vingt-quatre ans, de pouvoir vivre dans ce pays dont la culture et la langue n’ont aucun secret pour lui. Il y a vingt ans, Lahi ne pensait pas devoir regretter une décision prise en toute âme et conscience, et dictée par le désir ardent de réussir sa vie dans son propre pays, pas en exilé économique.

Mais comme Emma, Lahi se surprend à rêver d’une vie autre, dans  cette France du dix-neuvième siècle merveilleusement peinte par Flaubert et Balzac. Dans son esprit frustré par tant d’échecs, sur le plan sentimental et professionnel, les traits de Fatiha deviennent ceux d’Adelaïde. D’abord flous, ils finissent par encombrer sa vue lui faisant tendre le bras pour toucher un visage qu’il voyait maintenant distinctement.

L’effet de la lecture de La Bourse sur Lahi était vraiment inattendu. Il avait lu cette nouvelle dans le but d’aiguiser sa sensibilité à l’écriture et il se retrouve, en fin de compte, à comparer son être à celui d’Hyppolite Scheinner, le héros de cette histoire sentimentale. La redécouverte de ce personnage le plonge encore plus profondément dans sa conviction que la vie ne l’a pas vraiment favorisé.

 

 

 

 

 

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