Agriculture : l’Afrique revendique toujours son « droit à la paresse »

18 juin 2016

Agriculture : l’Afrique revendique toujours son « droit à la paresse »

Vue de l'atelier d'Abidjan sur l'agriculture (photo : AMI)
Vue de l’atelier d’Abidjan sur l’agriculture (photo : AMI)

À Abidjan, l’African Media Initiative (AMI) et la Banque mondiale avaient réuni, du 12 au 16 juin 2016, une cinquantaine de journalistes et de blogueurs venant d’une vingtaine de pays. Le thème choisi, l’agriculture, parait ordinaire, mais la problématique abordée l’était moins : renforcer les capacités et la couverture des secteurs de l’agriculture et de l’alimentation en Afrique subsaharienne.

A l’arrivée, j’avais certaines appréhensions : que va-t-on (encore) dire ? On restera sans doute dans une logique « banque-mondialiste » de perspectives et de stratégies, d’adoption et non d’adaptation, de similitudes débouchant, invariablement, à des simulations. En fait, une Afrique qui se cherche, soixante ans après l’indépendance de la plupart de ses États.

Pourtant cet atelier avait sa particularité. Le diagnostic des secteurs de l’agriculture et de l’alimentation en Afrique avait valeur d’autocritique pour ne pas dire d’autoflagellation. Critiques envers les dirigeants qui ont échoué à faire décoller les économies de leurs pays. Critiques envers les experts nationaux et internationaux qui pensent et repensent des politiques ne tenant souvent pas compte de « l’existant ». Enfin, critiques envers les journalistes africains, « coupables » de n’accorder à ce secteur vital que 10% de leur couverture médiatique. C’était d’ailleurs là la raison d’être de cet atelier qui se voulait être un « éveil » à l’agriculture. Et le choix de la Côte d’Ivoire, en ce sens, était loin d’être innocent.

Visite de terrain pour les journalistes (photo : Sneiba)
Visite de terrain pour les journalistes (photo : Sneiba)

Après deux journées sur le terrain, les journalistes ont découvert, après deux journées de réflexion intenses, qu’il y avait bien des choix économiques stratégiques possibles.

Pour un pays comme la Côte d’Ivoire, ce choix était de miser, pratiquement TOUT, sur le secteur agricole. Certes, au début de l’indépendance, le président Houphouët-Boigny avait fait sienne cette orientation, malheureusement elle n’avait pas suffisamment bénéficié de la « vulgarisation » médiatique nécessaire. Se faisant comme en vase clos, sa portée d’exemple pour le reste de l’Afrique était très limitée. Pour un pays dont l’agriculture constitue 47% des exportations et près de 30% du PIB, c’était comme une sorte de négligence coupable.
Certains pays, ceux qui ont les mêmes potentialités que la Côte d’Ivoire, devraient être en mesure de « copier » l’exemple ivoirien. Mais il faut d’abord que cette expérience soit connue et reconnue. Éric Chinje, PDG de l’African Media Initiative (AMI), insiste sur cet aspect de la question : les journalistes africains doivent désormais s’impliquer totalement dans les questions de développement du continent. Ils doivent comprendre que ce n’est pas seulement une affaire de politiques et d’experts, qui les place, eux, dans la position statique de « l’attente du communiqué de presse ».

L’atelier d’Abidjan doit être le point de départ de cette nouvelle perception qui fait qu’aucun développement n’est possible sans une couverture médiatique pertinente des questions essentielles (comme, par exemple, les choix économiques stratégique, dont fait partie l’agriculture). Fournir des éléments essentiels pour forcer la décision dans les domaines fondamentaux. Laisser de côté les « bavardages » sur les stars et les personnalités politiques, dira un intervenant de la Banque mondiale. Mener un travail avec les institutions sur des questions comme celle de l’agriculture (qui représente près de 50% du PIB) et celle de la création de l’emploi. L’agriculture est vraiment un secteur dominant, bien que les gouvernements ne lui allouent qu’entre 3% et 10% de leur budget, cela représente une grande part de leurs ressources !

Les Africains dépensent 37 milliards de dollars US pour importer ce qu’ils consomment alors que les 2/3 des terres arables du continent sont inutilisées ! Ce ratio révèle les paradoxes d’une Afrique potentiellement riche mais qui peine à « transformer ses défis en masse d’opportunités », dira l’un des intervenants de la première journée.

Pour cela, les Africains doivent cesser de réclamer leur « droit à la paresse ». L’émergence ne se décrète pas, elle est acte ! Action ! Parmi les 3 milliards de personnes (petits producteurs) qui vivent de l’agriculture et produisent 70% de ce que nous consommons, la part de l’Afrique est moindre. Et si en 2016, le nombre d’obèses (2 milliards) dépasse, pour la première fois,  le nombre des personnes qui ont faim, les 2/3 de ces « sur-nourris » vivent dans les pays développés. Les Africains ne doivent plus attendre que le riz qu’ils mangent leur arrive de Thaïlande ou que le blé leur soit acheminé de Russie ou des USA. Comment l’Afrique doit-elle faire alors pour fausser les prévisions dans le bon sens ? Ne pas attendre, par exemple, 2030, pour produire SEULEMENT 35% de sa consommation. C’est maintenant aux journalistes de s’impliquer davantage, pour pousser dans ce sens.

Sneiba Mohamed

« Le Droit à la paresse » : ouvrage de Paul Lafargue, paru en 1880.

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