Mauritanie: Monsieur le ministre « Lsanou khriv »

14 décembre 2015

Mauritanie: Monsieur le ministre « Lsanou khriv »

Moctar Diay, ministre des Finances
Moctar Diay, ministre des Finances

Un ministre qui transforme le désert en verdure et une crise économique en prospérité a la langue mielleuse (« Lsanou khriv »).

C’est le cas de notre ministre des Finances, le sieur Moctar Ould Diay qui vient de défendre devant nos braves « dépités » la loi de Finances 2016. Malgré la crise économique, la chute des cours du fer, de l’or et du poisson (les trois mamelles de l’économie mauritanienne), le ministre nous annonce une croissance de plus de 5% en 2016. Sans dire « inchallah » ! Donc, peut-être bien, peut-être pas.

Ould Diay qui a été décoré le 28 novembre dernier par le président de la République, semble pourtant sûr de son fait : le pays continuera à se développer parce que le gouvernement a adopté les bonnes mesures : l’investissement dans les infrastructures et l’énergie fera accourir les investisseurs ! Une logique de « samsar » (courtier) qui oublie l’essentiel : un pays qui tire la bonne part de ses ressources du fisc (210 milliards d’ouguiyas en 2015, environ 50% du budget de l’Etat) prend le risque (pas le bon) de faire fuir ces investisseurs. Il oublie aussi que, malgré les 8 points grignotés lors du dernier Doing Business, la position de la Mauritanie (168eme) reste peu avantageuse. Il oublie les tracasseries de la mine d’or de Tasiast avec la SEC (bourse américaine) avec de forts soupçons de corruption. Il oublie que la Société nationale industrielle et minière (SNIM), la vache à lait du gouvernement durant les trois dernières années, ne peut plus fournir à l’Etat le quart de son budget. Parce qu’elle fait face, elle-même, à des difficultés structurelles qui l’ont obligée à procéder à une « défilialisation » à l’allure de débandade.

Je sais qu’Ould Diay a acquis de l’expérience à la Direction générale des Impôts où il a réussi à élargir l’assiette fiscale faisant passer les contribuables de quelques centaines à des milliers. Un bon point pour ce ministre grand orateur devant l’Éternel et surtout très engagé. Les mauvaises langues diront « embarqué ». Et qui aura le réveil dur comme tout « ministré » débarqué !

Le problème d’Ould Diay se trouve être cette récession économique qui ne dit pas son nom. Les sociétés « pondeuses » (SNIM, Tasiast, MCM) ne peuvent supporter une augmentation d’impôts sur le chiffre d’affaires et de la TVA, même si ce ne sont pas elles qui payent cette dernière mais plutôt le consommateur. Ce dernier n’a aujourd’hui qu’un seul mot dans la bouche : le manque d’argent. Il fait ainsi passer l’utile (manger, boire, se soigner) avant le futile. Et même parfois ce qui est nécessaire sans relever de l’urgence, comme le logement. Le BTP se meurt parce que les particuliers n’ont pas le moyen de poursuivre des chantiers en souffrance. Un commerçant du 6eme Arrondissement chez lequel je récupère chaque fin de mois une pige venant du Maroc me montre ses marchandises devenues encombrantes : « regarde, personne ne vient acheter, et c’est comme ça depuis plusieurs mois. Qu’est-ce qui se passe dans votre pays, monsieur le journaliste ?

A cette question, je réponds invariablement : « Et pourtant, ils disent (le ministre des Finances, le ministre des Affaires économiques) que les caisses sont pleines. Crise ou pas crise, le niveau des réserves en devises du pays reste stable. Comme si le gouvernement et les hommes d’affaires ne faisaient face à aucune difficulté. Le ministre des Finances fait même montre d’assurance : le budget de l’Etat s’équilibre cette année en recettes et en dépenses à 451 milliards d’ouguiyas (environ 1,5 milliard d’USD). Avec une augmentation de près de 11 milliards d’UM (2%) par rapport à 2015 s’extasie notre brave ministre des Finances, comme s’il venait de gagner le Nobel d’économie. Alors que pour nous qui avons pris la mesure des manipulations du gouvernement, nous savons que c’est de la poudre aux yeux.

Pour ceux qui ne le savent pas, 11 milliards de nos ouguiyas, c’est seulement 36 millions de dollars US; une petite fortune à l’échelle d’un individu mais insignifiant s’agissant d’un État. Je vous l’ai dit, c’est un coup de propagande, comme cette annonce du ministre des Finances proclamant qu’aucun projet en cours ne sera arrêté en 2016 ! J’ajoute moi : incha Allah !

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