Je prendrai la place de Sidaty et j’attendrai la prochaine balle

13 août 2015

Je prendrai la place de Sidaty et j’attendrai la prochaine balle

Le tireur et la victime après la réconciliation à coup de millions d'UM.
Le tireur et la victime après la réconciliation à coup de millions d’UM.

« Je prendrai la place de Sidaty et j’attendrai la prochaine balle ». Cette phrase entendue hier dans un taxi m’a donné froid au dos. Plus que les débats houleux sur les réseaux sociaux, après l’incident de Chinguitti Market, elle donne l’ampleur d’une dérive sociétale où les rapports entre riches et pauvres sont désormais régis par la loi du compromis.

Rappel des faits : vendredi 7 août 2015, une altercation entre Ely Ould Jeireb, cousin du président Mohamed Ould Abdel Aziz, du côté de sa mère, et Sidaty Ould Matallaa, un employé de l’épicerie Chinguitty Market, tourne au drame. Parce que l’employé a osé demander au client de faire peser d’abord les fruits achetés, le client retourne vers sa voiture, revient avec un fusil de chasse et tire. Sidaty est blessé au bras droit et doit être soigné d’urgence dans un hôpital de la place. Ely se rend à la police et avoue son forfait. Jusque-là, rien d’anormal. Mais très vite, les réseaux sociaux s’emparent de ce fait divers qui devient « la guerre de la mandarine ». Il s’agit tout de même du cousin du président et ce genre d’incident n’est pas une première en Mauritanie.

Il y a un mois, Bazra Ould Mohamed Khouna Ould Haidalla, fils d’un ancien président mauritanien, avait tiré en l’air pour effrayer des éléments du GGRS (Groupement général de la sécurité des routes), coupables d’avoir mis sa voiture en fourrière. Conduit devant le juge, il se voit condamné à deux ans de prison ferme.

Les opposants au pouvoir en place s’emparent de cette affaire pour dénoncer une justice… injuste : il y a deux ans, Bedr, fils aîné du président Aziz, avait blessé par balle une fille devenue, depuis, handicapée à vie. L’affaire avait été réglée à l’amiable : Raja avait été soignée au Maroc et son père a empoché, selon la presse, un chèque de 35 millions d’UM (environ 100 000 euros).

C’est cette justice parallèle, mettant à l’œuvre tribus et personnalités influentes, qui vient également de sauver le cousin du président de la prison. Sa famille aurait versé à l’employé de Chinguitty Market la somme de 12 millions d’UM (35 000 euros) pour son bras endommagé par un fusil de chasse. De quoi ouvrir son propre commerce et laisser un travail pour lequel il était sans doute payé moins de 50 000 UM/mois (135 euros).

Je crains maintenant que les pauvres ne se mettent à la chasse des riches. Oui, si à chaque fois qu’il y a un incident de ce genre, la tribu s’en mêle pour contourner la justice, il faut croire que les brouilles avec les  fils à papa (et pas seulement avec les proches du président) vont devenir un business florissant. On guettera leurs voitures pour se jeter devant, on attendra leur venue dans un commerce pour les provoquer, dans l’espoir de prendre une balle non mortelle afin de pouvoir profiter de la compensation financière. Le jeune homme dans le taxi exprime ce que je considère comme une probabilité très forte.

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