Lettre à mon double

8 avril 2015

Lettre à mon double

Moi (Crédit photo: Sneiba)
Moi (Crédit photo: Sneiba)

C’est ta faute si je ne suis rien aujourd’hui. Rien ? Pas tout à fait. Peut-être que j’exagère un peu. Disons que je pouvais être « quelque chose », comme disait un vieux griot de chez moi, au temps du président Taya. Ministre, pourquoi pas ? En tant que hartani, j’ai besoin d’être seulement un grand « safagh », un applaudisseur « déchaîné », comme on en voit à toutes sorties du président. C’est l’unique voie aujourd’hui. Le grand militant qui s’impose par son combat, cela ne court plus les rues. Malheureusement. Les Messaoud et autres Biram, il n’y en a pas mille.

Donc « safagh » c’était ma voie toute tracée pour réussir mais toi, mon cher double, tu m’en as empêché. Je n’avais pas besoin d’un grand diplôme pour être ce que je ne suis pas aujourd’hui. Un DEUG ou une licence, même usurpés, même cachetés avec le fond d’un verre à thé, auraient suffit.

Je n’aurais pas également besoin d’être né fils d’une « grande tente ». Pourtant, l’honorable Boydiel nous dit qu’il en existe – aussi – parmi les « hratin » alors qu’on pensait que c’était un label « beydan » (blanc) ou propre à la noblesse négro-africaine. Dans ce dernier cas, je devais parler plutôt de fils de « grande case » car mes frères noirs ne veulent pas être assimilés par mes anciens maîtres blancs. Mais ceci est une autre histoire.

Je disais donc que j’ai raté une belle carrière de « safagh » (applaudisseur) et que c’est ta faute à toi mon cher double. Je me rappelle encore les propos de ce très haut responsable qui me disait : je peux te nommer à n’importe quel poste mais tu ne m’inspires pas confiance ! Je n’ai pas répliqué parce que je saisissais parfaitement le sens de ce propos. Je suis probablement un piètre « safagh » mais pas un lâche. Je dis ce que je pense. Très haut et tout de go.

Le reproche que me fait cette personnalité très importante du régime actuel en Mauritanie est pour toi. Toi qui es un autre moi-même, incapable de se taire quand il faut dénoncer. Alors que moi, je veux être normal. Prendre les choses comme elles se présentent. continuer à dire « non », quand il le faut, mais dire « oui » quand c’est nécessaire.

Il me rappelle aussi ce que me disait un ami, ayant réussi lui à grimper les plus hautes marches du Makhzen : « il y a deux personnes en toi. Une, raisonnable, sympa et tout, et une autre qu’on pourrait qualifier de « casse-carrière ». Eh oui, cet ami voulait me dire que je ne fais aucun effort pour intégrer la classe très prisée des « gens du pouvoir », ces hommes et femmes qui passent du jour au lendemain de rien à « responsable » de quelque chose. En voyant ces « moudir » (directeurs), ces vizirs, ces « dibites » (députés) et ces « oumda » (maires), je me dis que rien n’est impossible dans la « Mauritanie Nouvelle ». La plupart n’étaient rien, avant la « Rectification » de 2008, ils sont devenus « quelque chose » aujourd’hui. Ils ont compris qu’il suffit seulement de savoir jouer le jeu. Être ce que vous n’êtes pas.

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