Mauritanie : ni « printemps arabe » ni « printemps africain »

2 avril 2015

Mauritanie : ni « printemps arabe » ni « printemps africain »

Grève des travailleurs de la SNIM (Crédit photo: medseib)
Grève des travailleurs de la SNIM (Crédit photo: medseib)

Je commence à croire sérieusement que le pouvoir a mille et une raisons de dire que la Mauritanie n’est ni la Tunisie ni la Libye. J’ajouterai moi : ni le Burkina ! Elle n’est même pas ce « trait d’union » entre le monde arabe et le monde noir. Elle n’est qu’elle-même : une terre de frustrations tues, un vrai « bilad esseyba » (jungle), terre d’hypocrisie et de faiblesse. Elle peut être gouvernée par Aziz comme elle l’a été par Sidi, Ely, Maaouiya, Haidalla ou Moctar. Rien n’arrivera. De mieux ou de pire. Même quand on acceptera de porter au pouvoir Samba ou Demba¹. Ou Messaoud² ! Des types de Mauritaniens qu’on tient encore à l’écart de la présidence. Au motif fallacieux qu’il faut « donner le temps au temps ».

Pourtant, la Mauritanie n’est pas plus conservatrice que les Etats-Unis d’Amérique où Barack Obama, issu d’une communauté noire d’à peine 15 % de la population américaine, a été élu à la tête de la première puissance du monde et même, réélu ! Je vous le dis, n’importe quel bougre, de n’importe quelle tribu, ou région, peut nous gouverner.

Aucune bête ne donnera des coups de corne à une autre pour cela. Nous sommes un peuple de soumis, de commis, de ni… ni. Nous sommes forts en paroles, nuls en actes. On veut changer le monde alors qu’on est incapable de changer notre pays ! Une année de présidence de l’Union africaine est vue par les thuriféraires du régime en place comme le retour à « l’âge d’or » de la diplomatie mauritanienne, au temps du « Père fondateur », Moktar Ould Daddah. Une escapade présidentielle de dix jours à l’intérieur du pays, qui a eu pour effet de vider la capitale de sa population et d’enclencher la touche « pause » de l’administration, est présentée comme une « première » parce qu’Aziz n’a pas été chanté comme Taya dans des soirées sous la tente. Le président l’a dit, lors de sa fameuse conférence de presse, et ses soutiens « engagés » l’ont répété jusqu’à en faire l’attitude qui changera la face de la Mauritanie ! Ce ne sera ni « printemps arabe » ni « printemps africain ».

Nous, on n’est pas de cette étoffe, je vous l’ai dit. Chacun vous dira que la tranquillité n’a pas de prix. Certes, mais il s’agit ici, sans qu’on se le dise, de la tranquillité de chacun, car les bobos que rencontrent autrui ne comptent pas. C’est une hypocrisie de dire que c’est au nom de « l’unité nationale », de « la paix et de la stabilité » du pays, de la « cohésion sociale », de ceci ou de cela.

Que l’Etat affame plus de 3 000 travailleurs et leurs familles, cela ne regarde personne. Pourquoi, diable, sont-ils allés en grève. « Au mauvais moment », à dit notre raïs ; les prix du fer passant de 172 USD à seulement 55 USD. Reprenez vos postes et on verra après, quand le cours du minerai remontera. Demain ou dans dix ans. L’opposition dénonce, mollement, cette attitude désinvolte du pouvoir, la majorité applaudit. Comme d’habitude. Le Chef a toujours raison, surtout quand il s’agit d’un général reconverti par accident en politique.

Que l’Etat jette en prison des militants de droits de l’homme, comme ceux d’IRA, c’est chose ordinaire. Très ordinaire même puisque dans la conférence de presse devenue « historique », le président Aziz a dit qu’il s’agit d’une affaire de justice ! Oui, oui, ils ont marché, sur plus de deux cents kilomètres, pacifiquement, pour dénoncer l’esclavage foncier, et ont été arrêtés aux portes de la ville frontalière de Rosso, « pour manifestation non autorisée » et « résistance aux forces de l’ordre », ou quelque chose de ce genre. La même stratégie qui a été adoptée pour freiner l’élan des « marcheurs de Boghé », accueillis, au carrefour Madrid, par des policiers, gardes et gendarmes déchaînés, et accusés d’avoir été manipulés par l’opposition.

Qu’un jeune homme soit tué par balle, à Maghama, parce qu’il manifestait, avec plusieurs autres, contre des pratiques scélérates qui divisent les citoyens en Mauritaniens et mauritaniens, cela ne sort pas de l’ordinaire. Je vous l’ai dit, la Mauritanie n’est pas la Tunisie et Lamine Mangane n’est pas Bouazizi. On est seulement réconforté qu’il soit Ould Ahmed Machdhouf, tué à Akjoujt par des éléments de la garde nationale, lors d’une manifestation des travailleurs de la MCM. Dans de telles bavures, les citoyens sont au moins égaux. Que la victime soit blanche ou noire, l’auteur de la bavure sera toujours absous. Le pouvoir a toujours raison. Même quand il décidera de nous entraîner dans un suicide collectif. Car il semble avoir fait sienne cette sentence : « Après moi, le déluge ».

1. Prénoms généralement négro-africains.

2. Messaoud, nom du leader haratine, président de l’Alliance populaire progressiste (APP), ancien président de l’Assemblée nationale et actuel président du Conseil économique et social.

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