Peshmerga : La pratique mauritanienne du journalisme « alimentaire »

31 mars 2015

Peshmerga : La pratique mauritanienne du journalisme « alimentaire »

Corruption (Photo: google)
Corruption (Photo: google)

En Mauritanie, le phénomène fait tâche d’huile : les journalistes peshmerga ! Ceux que j’ai pour habitude aussi d’appeler les « journulistes », nom qui, j’avoue, est loin de rendre compte de tous les aspects que revêt cette pratique du journalisme alimentaire.

L’appellation « peshmerga » (en référence aux combattants kurdes) vient sans doute de cette absence de règle. Absence de formation aussi. On peut être manœuvre, boucher, ou chamelier et décider, sans crier gare, de devenir « journaliste ». Cela ne demande rien du tout: constituer un statut d’entreprise de presse, le faire légaliser et nous voilà dans un monde sans foi ni loi où tout ce qui compte c’est le profit. Un journaliste peshmerga ne refuse rien. Ne recule devant rien. Il a le courage – la témérité plutôt – de dire « merde » à la déontologie ou à toutes règles qui se dressent entre lui et le gain. Je vous l’ai déjà dit, il ne refuse rien. Il vous laissera tranquille si vous lui filez 2000 UM (5 euros) mais pas quand vous lui promettez 100000 UM. Il sait, par expérience, que la promesse d’un responsable mauritanien n’est pas une dette, mais une manière de se tirer des griffes d’un peshmerga.

D’aucuns pensent, à tort ou à raison, que les peshmerga sont une création de l’État. Le fait d’autoriser n’importe qui à devenir « journuliste », au temps du président Taya, était une manière de décrédibiliser la presse. Pour ceux qui voient les agissements des peshmerga lors des déplacements du président à l’intérieur du pays ou à l’occasion de l’organisation d’un séminaire, c’est ça le vrai visage de la presse. Les journaux et sites sont un moyen non une fin.

Les peshmerga s’organisent en groupe, quand il y a opportunité de passer à l’action, désignent un chef qui parlera en leur nom et servira de trésorier. Le partage peut se faire après chaque « donation » ou attendre la fin de la « mission ». Avec le risque de voir le chef disparaître avec le pactole. Pourtant, les peshmerga sont connus pour être très solidaires. Attaquez l’un d’eux et vous les aurez tous sur le dos. Ils ont l’avantage de pouvoir dire ce qu’ils pensent. Et même de le présenter comme la vérité. Leur Vérité. Celle qui fait de la presse le reflet de la société. Puisqu’il y a de faux docteurs ès n’importe quoi, eux incarneront cette presse qui ose. Cette presse qui demande aux voleurs de la République sa part du gâteau. De crainte de provoquer un scandale, le responsable sollicité est souvent obligé de se soumettre à leur injonction : « libérez-nous ». Le verbe « libérer » est même devenu le plus usité dans la terminologie peshmerga. Vous les entendrez souvent dire: Le port « li-beu-re » (le port a libéré. Entendez: a distribué des abonnements). Toutes les administrations, publiques ou privées, y passent. Les ministres, les hommes d’affaires, les directeurs, les chefs de projets subissent le diktat des journalistes peshmerga. Une loi non écrite qu’on a même essayé d’appliquer à certaines chancelleries étrangères mais avec moins de réussite. Le harcèlement, individuel ou par groupe, n’épargne aucun lieu: bureau, domicile et même mosquée! J’ai même été témoin une fois, et malgré moi, d’une scène de filature. Un très haut responsable militaire poursuivi de l’État-major à son domicile, « coincé » juste à la descente de sa voiture et obligé de donner numéro de téléphone et rendez-vous. C’est ce jour là que j’ai compris que pour être un journaliste connu, il ne suffit pas de signer dans les plus grands journaux de la place mais  de se mettre à l’école du « peshmerguisme ».

PS : Il faut tout de même souligner que des journalistes « respectables » s’adonnent, à leur manière, au « peshmerguisme ». Ils le font seulement avec art et finesse.

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