La religion cheval de Troie d’un « printemps arabe » en Mauritanie ?

5 mars 2014

La religion cheval de Troie d’un « printemps arabe » en Mauritanie ?

Manifestations à Nouakchott (Photo: Saharamédias)
Manifestations à Nouakchott (Photo: Saharamédias)

Il se passe des choses en Mauritanie. L’actualité politique a cédé le pas à celle des manifestations de rue suite à la profanation présumée du Coran dans une mosquée de Nouakchott. La police anti-émeute, renforcée par des unités de la garde et de la gendarmerie nationales ont eu du mal à circonscrire les mouvements de foules déchaînées et réclamant la tête de profanateurs qui se sont volatilisés dans la nature. Une question est sur toutes les lèves : A qui profite le crime ?

Dans un pays musulman à 100 % (du moins officiellement), tout le monde s’accorde à dire que personne n’oserait un tel acte. Déchirer des exemplaires du Coran est un acte de Satan, de « mourted » (apostat), ne cessent de répéter les savants musulmans qui occupent, comme jamais auparavant, les studios des radios et télévisions mauritaniennes. Pour la députée Fatma Mint Sidi Mohamed, l’acte ne peut être commis par un Mauritanien. Ceux qui ont commis ce forfait doivent être déjà hors du territoire. Mais ici, en Mauritanie, c’est le branle-bas de la dénonciation. Les manifs drainent tout le monde. Les Mauritaniens sincèrement vexés par l’ignominie de l’acte, mais aussi de simples badauds qui ne comprennent rien à rien. Des élèves et étudiants contents d’avoir des vacances « forcées » ou même arrachées ! De retrouver cette illusion de puissance en affrontant dans les rues de Nouakchott les forces de sécurité. Gaz lacrymogènes contre pierres. Résultat : un mort (un jeune de 25 ans), des dizaines de blessés et des arrestations. Des manifestants certes, mais aussi l’imam de la mosquée – par qui l’information (ou la rumeur) a  circulé, un dirigeant de l’opposition qui aurait été vu apportant une « logistique » d’insurrection (un camion-citerne rempli d’eau) aux manifestants.

Mais ce qui a attiré mon attention, c’est la « riposte » organisée par les médias officiels : radio, télévision et agence mauritanienne d’information.

Il s’est trouvé, comme par hasard, que c’est moins de vingt-quatre heures après l’inauguration par le raïs de la chaîne « la Mahadra » (école coranique) que le fâcheux incident a éclaté ! Y a-t-il une relation de cause à effet ? Je ne sais, mais certains comme le ministre de la Communication et un jeune imam invité par la TVM ont vite franchi ce pas pour dire « oui ». Le ministre a  même déclaré que la politique est derrière cet impair religieux capable de semer la « vitna » (la  guerre civile), chose que le « printemps arabe » n’a pas réussi en Mauritanie.

Donc : tout ce que compte la Mauritanie – ou presque – de « alem » (savant) ou de « allama » (un degré plus haut, si cela a un sens chez vous autres) était de la partie pour dénoncer l’acte criminel (ce que  tout le monde a fait à juste titre), mais aussi défendre l’Etat et le président contre les manifestants ! Et oui, pourquoi manifester si cela ne plaît pas au pouvoir ? Pour plaire à Dieu ? Bien mais la parole du Prince est sacrée et s’il vous dit « ne manifestez pas, ne marchez pas sur mon palais » alors obtempérez, bande d’opposants, de manifestants.

J’ai eu comme l’impression que ce n’est pas l’islam que nos braves médias officiels voulaient défendre, mais le pouvoir. Et ils ont réussi, magistralement, à instrumentaliser ceux que le prêcheur hors pair, Ould Sidi Yahya  appelle oulémas « banava » (littéralement les savants du buffet). Tout tournait autour de ce que les exégèses musulmans appellent « fiqh essoultan » (tout ce qui entoure l’autorité du sultan et l’arrime au divin). Il fallait trouver la jonction entre le religieux et le politique pour dire que l’opposition est toujours du mauvais côté. D’accord, mais là, dans le cas de figure, on n’est pas dans l’optique d’une confrontation entre ceux qui gouvernent et ceux qui aspirent à prendre leur place. Sauf si, comme certains n’ont pas hésité à le dire, une certaine opposition pourrait bien avoir cherché à favoriser, par le biais de la religion, un « printemps arabe » que la  politique a échoué à provoquer. On ne le saura vraiment que si les services de sécurité jouent de perspicacité et arrivent à arrêter les quatre inconnus qui avaient détruit des exemplaires du Coran dans un quartier populaire de Nouakchott. Pour le moment, on tourne en rond.

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