Mauritanie : la démocratie pour les « bien-nés » et les friqués

24 novembre 2013

Mauritanie : la démocratie pour les « bien-nés » et les friqués

Kankossa, symbole de la "Mauritanie profonde" (photo: Elhourriya.net)
Kankossa, symbole de la « Mauritanie profonde » (photo : Elhourriya.net)

« Rien ne se perd, rien ne se gagne crée, tout se transforme ». C’est Antoine Lavoisier, le père de la loi de la conservation de la matière qui porte son nom, qui le dit. Et cela s’applique, parfaitement, à la politique en Mauritanie, si l’on observe de près les premières tendances des élections municipales et législatives du 23 novembre dernier.

Au Parlement sortant, il y avait l’Union pour la République (UPR), parti au pouvoir en Mauritanie depuis 2009, avec une majorité confortable. Il sera toujours là, fortement présent, avec le maintien de son hégémonie politique sur cette « Mauritanie profonde » où le vote tribal a encore de beaux jours devant lui. Il suffit tout simplement pour ce pouvoir-là, ou celui qui lui succédera dans cinq, dix ou quinze ans, de savoir qu’il y a des « lois » établies de primauté accordée à ceux que j’appellerais les « bien nés », ces fils de chefs et de cheikhs (marabouts) qui ont réussi à instaurer une succession de fait à tous les postes électifs à caractère local ou national. Cette loi non écrite a toujours permis au pouvoir de l’emporter sur l’opposition. Une cinquantaine de sièges de députés, au premier tour, sur 146 possibles, c’est déjà pas mal non ?

Il suffisait seulement que le message passe, qu’on désigne le « parti du président ». Qu’importe le nom et les époques : PPM (1960), PRDS (1992-2005), ADIL (2008), UPR (depuis 2009). Moctar, Maawiya, Sidi, Aziz.

Ces élections vont sans doute redessiner la carte politique du pays, mais pas au point d’apporter de grands changements dans le rapport de force entre majorité et opposition. Ce sera au niveau de la « cuisine interne » à chaque camp. Côté majorité, l’UPR n’aura plus comme  seconds, des partis comme l’Union pour la démocratie et le progrès (UDP) de l’ancienne chef de la diplomatie mauritanienne, Naha Mint Mouknass ou le PRDR, « héritier » sans héritage du PRDS, mais le Sursaut national pour la patrie, formation de création récente inspirée, disent ses dirigeants, par l’appel depuis Nouadhibou, du président Mohamed Ould Abdel Aziz pour le renouvellement de la classe politique. On peut le croire quand on voit la présidente de ce parti des jeunes portée à la tête du ministère de la Culture, de la Jeunesse et des Sports et le nombre de listes (plus de 90) que  le Sursaut a réussi à engager dans la bataille des élections, servant, le plus souvent, de parti refuge à tous les mécontents de l’UPR. La campagne électorale de quinze jours et le probables second tour entre ces deux formations de la majorité donnent une idée de l’enjeu, énorme, que constitue cette « querelle des anciens et des modernes ». Le pouvoir (le président Aziz, pour être plus précis) a intérêt à s’en tenir à son rôle d’arbitre entre ses deux principaux soutiens. Et de se dire qu’en fin de compte, il aura une majorité confortable quoiqu’il advienne. L’ami de mon ami…restera mon ami. En ballotage favorable dans plusieurs circonscriptions électorales, l’UPR – ou le Sursaut – sauront s’épauler pour barrer la route aux partis d’opposition les plus entreprenants (Tawassoul et Al Wiam). Même si au premier tour ils ne s’étaient pas faits de cadeaux du tout.

La « nouvelle » opposition

Du côté de la nouvelle opposition parlementaire, il faut attendre la fin du dépouillement des votes pour savoir qui de « Tawassoul », (islamistes modérés), d’Al Wiam, parti comptant dans ses rangs de nombreux barons du régime de l’ancien président Taya ou de l’Alliance populaire progressiste (APP), du président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir, héritera du statut de chef de file de l’opposition, que le Rassemblement des forces démocratiques (RFD) d’Ahmed Ould Daddah aura perdu à l’issue de ces élections qu’il a choisi de boycotter avec une dizaine d’autres formations de l’opposition. D’ores et déjà, l’APP semble hors course. Tout le monde le constate, mais personne ne se demande pourquoi. Pourquoi l’APP a perdu deux importantes citadelles, à savoir la cité minière de Zouerate, d’où la Mauritanie exporte 14 millions de tonnes de minerai de fer par an, et qui tombera le 7 décembre dans l’escarcelle de l’UPR ou du Sursaut, et Nouadhibou, la capitale économique où elle risque de ne même pas avoir l’un des trois sièges de députés ?

Le parti de Messaoud, on l’oublie trop vite, a été saigné à blanc deux fois. Le parti, « Al mostaqbal » né après la rupture entre le vieux leader haratine et l’ancien maire d’El Mina et ancien ministre de la Jeunesse, Mohamed Ould Borboss, a sans doute eu des conséquences sur la présence de l’APP à Nouakchott. Le départ du secrétaire général de la Confédération libre des travailleurs de Mauritanie (CLTM), Samory Ould Bèye, l’alter ego d’Ould Borboss, explique, en partie, l’échec de l’APP à Zouerate et à Nouadhibou, deux villes où les activités de mines et de pêche attirent des dizaines de milliers de travailleurs mauritaniens.

Messaoud est aussi victime du syndrome de « Hah Mbareck » (pauvre M’Bareck). Cet esclave – ou hartani, je ne sais – qui aidait tous les nobles du campement dans toutes sortes de travaux et ne recevait en retour que des compliments de circonstances. Le jour où le « vrig » devait changer de place à la recherche d’un meilleur pâturage, il décide de s’assurer si les gens auxquels il faisait du bien sont capables de le lui rendre. Il feint d’être malade et se coucha en travers de la route. Le voyant dans cet état déplorable, chacun s’arrêta, le temps de s’informer, et continua son chemin, après avoir jeté, comme signe de compassion un « hah M’Bareck » et se précipite pour ne pas laisser s’éloigner les autres. M’Bareck laissa passer le dernier homme de la caravane, se leva et continua lui aussi son chemin méditant son sort et l’ingratitude des hommes.

Messaoud « le nationaliste, le bon patriote, l’homme qui a sauvé la Mauritanie, en faisant tout pour qu’elle ne soit pas entraînée dans le sillage du « printemps arabe », a sans doute été lâché par une bonne partie d’un électorat qui a préféré voter, comme toujours, pour la tribu ou le cousin. Il a aussi manqué de cet argent dont on dit qu’il est le nerf de la guerre, comme l’atteste ce message pathétique du candidat de son parti à la  députation à Rosso, adressé à ses soutiens sur sa page Facebook :  « Chers frères et sœurs, les tendances dont nous disposons, mon parti et moi, indiquent que l’argent a eu le dessus sur mon engagement ferme en faveur du développement de notre Rosso. Mais ceci n’est qu’une étape. Le plus important reste à venir. Je refuse de baisser les bras, ce n’est pas parce qu’on n’est pas riche qu’on ne doit pas avoir des ambitions quelles que soient les compétences dont on dispose. Je le concède, j’ai perdu un combat, mais pas la guerre. Cinq ans, c’est déjà demain… » Cette belle consolation sera-t-elle entendue par les partis de la Coordination de l’opposition démocratique (COD) qui ont refusé, disent-ils, d’être les dindons d’une nouvelle farce électorale ?

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