Autour d’un thé : recette pour créer un parti politique en Mauritanie

9 novembre 2013

Autour d’un thé : recette pour créer un parti politique en Mauritanie

Chefs de partis mauritaniens (crédit photo: Elhourriya.net)
Chefs de partis mauritaniens (crédit photo: Elhourriya.net)

Le ministère de l’Intérieur et de la décentralisation se démène à mettre les derniers réglages pour débloquer la coquette somme de quatre milliards, destinés à financer les élections municipales et législatives prochaines.

Ainsi, les cinquante-huit partis politiques participants auront, proportionnellement au nombre de listes présentées, quelque chose qui devrait leur servir, théoriquement, à mener campagne. Or, comme dans la presse, la politique et la société civile ont leurs peshmergas¹. Des partis et des ONG surgis de nulle part.

Bon, allons-y pour la formation d’un parti politique. Président : papa. Vice-président : maman. Secrétaire général : un voisin capable de rédiger quelque chose. Trésorier : ha, là, ce n’est pas de la farce. Comme il n’y a personne de compétent, papa va cumuler ça avec son poste de président.

Relations extérieures : une lointaine cousine qui habite loin en brousse. Affaires sociales : le domestique. La marmite : membre. Le chat : membre. Aïcha (3 ans) : membre.

Statuts et règlement intérieur copier-coller, casiers judiciaires et non-imposition pour tout le monde, enquête de moralité et CV imaginaires. Ministère de l’Intérieur, après avoir brûlé beaucoup d’étapes. Récépissé. Participation. Financement.

Il paraît que, depuis quatre mois, les autorités ont annoncé, via leurs réseaux d’information, que c’est l’Etat qui financera la campagne. Une façon de prendre les devants et de parer à toute éventualité. Comme quoi, participation ou boycott, c’est kif-kif. Il y aura bien des hommes « courageux » et des femmes « patriotes », pour « sauver » le pays.

Parti de la Dignité, parti de la Gloire, parti du Sursaut, parti du Boisseau, parti du Mange-mil, parti de la Paix, parti de la Guerre, parti de la Souffrance, parti de la Légitimité, parti du Paradis, parti du Pain, parti du Beurre… Il paraît qu’il y a même un parti de la première dame. Un parti, c’est un parti. Grand ou petit, c’est un parti. De l’opposition ou de la majorité. C’est un parti. Petit parti deviendra grand, surtout en participant.

A tout. Marche de soutien. Marche de dénonciation. Il faut être partout. Au Bureau d’études et de la documentation (BED²). A la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN). Aux états-majors généraux et particuliers. Chez les ministres. Chez les joueuses inspirées de cauris. Les guezanas. Elles jouent un grand rôle, ces joueuses, dans la vie nationale. De véritables amazones. De véritables grandes royales. De véritables soldates inconnues.

Comment seront partagés les quatre milliards ? Exactement comme l’ont été les deux cents millions de la presse. Cent mille par-ci, cent mille par-là. Trente mille à l’autre qui a juste sorti un numéro en huit ans. Et quarante mille pour ce site qui n’a pas encore d’adresse.

La prochaine Assemblée nationale sera vraiment un ramassis de vieux pachydermes en voie d’extinction et de nouveaux caïmans aux dents particulièrement trop longues, auxquels s’additionnera à une poignée de pseudo-mécontents embarqués sur le dos de partillons utérins de l’Union pour la République³, incapable de gérer ses divergences internes.

Comme au dépôt des listes, le parti au pouvoir viendra en tête, par le nombre de ses députés. Il en aura, au moins, une bonne centaine. Reste quarante-six. Une quinzaine pour Tawassoul. Reste trente-et-un. Une douzaine pour APP (Alliance populaire progressiste). Reste dix-neuf. Une dizaine pour El Wiam. Reste neuf. Quatre pour l’UDP (Union pour la démocratie et le progrès). Reste cinq.

A partager entre les cinquante-trois autres partis restants. Dans les temps, pas maintenant que l’esclavage n’existe plus, un seul esclave pouvait appartenir à plusieurs personnes.

Par transposition, un député peut appartenir, aujourd’hui, à plusieurs partis. Deux façons de faire. La tête, les pieds et les membres, pour toi. Le cou, les épaules et le dos, pour moi. Ou bien cinquante-cinquante. Un demi-député pour ce parti. Un quart d’un autre pour celui-là. Une Assemblée d’entiers et de morceaux. Les entiers, c’est bon ; les morceaux, là, on va les raccommoder. Raccommodage. Tripatouillage. Remplissage. Qu’Allah bénisse tout cela. Amine.

Sneiba El Kory (Le Calame)

1. Nom donné à la presse-cartable et aux journalistes sans formation.

2. Renseignements généraux.

3. Parti au pouvoir.

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