Mauritanie : comment se prépare le grand cirque des élections

28 octobre 2013

Mauritanie : comment se prépare le grand cirque des élections

Généraux mauritaniens (Crédit photo : Noorinfo)
Généraux mauritaniens (Crédit photo : Noorinfo)

Les Mauritaniens aiment le jeu. En politique. Tout le monde triche, accepte des règles de jeu aux contours flous. Autant dire une absence de règles. Un jeu à quitte ou double. Depuis que les Mauritaniens ont découvert les subtilités de la démocratie qu’ils ont très vite assimilée à un « jeu de Blancs », donc n’engageant personne de façon sérieuse. Ce qui compte, c’est d’avoir les moyens de sa politique. Etre le plus fort. Ou le plus rusé.

A ce jeu-là, seul le président Aziz a, jusque-là, gagné toutes ses parties. Contre toutes les adversaires en présence. Y compris son propre camp qui ne parvient pas encore à comprendre ses vrais désirs et volontés.

Il avait commencé, en 2005, par décréter la mort du Père. Le coup d’Etat contre Taya avait été présenté non pas comme une énième révolution de palais qui consacre la Mauritanie comme le pays le plus capé en la matière sur le continent africain, mais plus qu’un « redressement », plus qu’un « salut » : une rédemption. Aziz « se lave » ainsi de la vingtaine d’années passées aux côtés du dictateur Taya en tant qu’aide de camp ou commandant de la Garde présidentielle (Basep).

Les Mauritaniens n’étaient pas dupes, mais ils aimaient le jeu, je vous l’ai dit. Depuis trente ans, ils accompagnent tout changement de régime par des marches de soutien « spontanées » qui traduisent parfaitement le souci de continuité du système. « Le roi est mort, vive le roi ». Ou plutôt : le président est parti, vive le président ! Personne ne s’étonne que les premiers à sortir dans les « marches de soutien » au nouveau pouvoir soient ceux-là mêmes qui juraient fidélité à celui qu’il venait de déloger. Ce n’était qu’un jeu, je vous le répète. Il reprend avec de nouveaux acteurs, c’est tout. Le décor ne change pas. Les spectateurs – le peuple – acceptent de rester encore pour suivre cette nouvelle partie. Les paris sont relancés. Les militaires s’installent ; il en est ainsi depuis 1978. Ils assurent. Et rassurent. La politique reprend ses droits. On rejoue. Transition. Concertation. Elections. Jeu. A quitte ou double. Trichez, c’est permis, Messieurs.

Les militaires font semblant d’organiser des élections « libres et transparentes » avant de regagner leurs casernes. Mais sous la table, ils manoeuvrent pour garder la main. Par « président qui rassure¹ » interposé. Des civils mis au parfum de cette combine politico-militaire, acceptent de jouer le jeu. De toutes les façons, Daddah ou Sidioca, « mbourou fof ko farine² », comme disent nos frères pulaar. Ils sont tous deux de la « génération des indépendances ». Ils ont pratiquement le même âge. Ils furent ministres dans les années 60-70. Ils appartiennent à des familles maraboutiques du centre du pays. Mais le plus important est que celui qui allait gagner les élections de 2007 avait peu de chances de se représenter en 2012. Un argument qui a pesé lourd dans la balance pour que les hommes politiques à l’ambition débordante acceptent de jouer le jeu des militaires. Sans avoir le choix des armes.

C’est tout cela qui explique l’anarchie politique que nous observons aujourd’hui, sans savoir qui est qui ou qui fait quoi. Le changement, en fait, c’est ce « désordre constructif » qui accompagnera, inéluctablement, les futures élections municipales et législatives. Plus qu’en 2006, les pouvoirs qui comptent seront, dans l’ordre, l’Armée, la tribu, l’argent et le savoir.

Le rôle de l’armée dans la gestion du pouvoir est de plus en plus évident. Comment comprendre, sans cela, que le nombre de généraux passe de deux, en 2007, à près de vingt aujourd’hui ! La « généralisation » de l’armée, comme je l’ai appelé dans un billet précédent, est une sorte de prime au mérité donnée par le président Aziz à ses anciens compagnons du Haut Conseil d’Etat (HCE) qui ont accompagné ses plans de reconquête du pouvoir après le putsch de 2005. A part l’ancien chef du HCE, le colonel Ely Ould Mohamed Vall, auquel on prêtait l’intention d’avoir cherché à revenir au pouvoir à la ATT³, et le chef d’état-major de la Transition militaire 2005-2007, le colonel Abdarrahman Ould Boubacar, tous deux rangés aujourd’hui au sein de la Coordination de l’opposition démocratique.

Rebelote

La COD, sans les Islamistes, opte pour le boycott (photo: Elhourriya.net)
La COD, sans les islamistes, opte pour le boycott (photo : Elhourriya.net)

Je ne reviendrai pas ici sur les péripéties de la « Rectification » de 2008. C’est déjà trop loin. Et puis, la situation politique en Mauritanie a beaucoup changé. Beaucoup d’acteurs de la crise de 2008 ont déserté leurs positions. D’opposants à « souteneurs » du pouvoir ou vice versa. Le jeu est ainsi devenu très sophistiqué. Plus risqué aussi. Les militaires n’ont pas déposé les armes, ils les ont seulement camouflées pour jouer plus librement à la politique avec des civils qui se croyaient plus intelligents. Oubliant que la politique est avant tout affaire de stratégie. De jeu.

Depuis la destitution de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi et l’élection présidentielle rendue possible par l’accord de Dakar, les forces en présence manquent de visibilité. De lisibilité.

La soixante de partis, sinon plus, qui déclarent soutenir le président de la République et œuvrer pour la réalisation de son programme politique ne participent pas, réellement, à la gestion du pouvoir. De sorte qu’il m’est arrivé de me poser cette question : Aziz peut-il gouverner sans majorité ? Celle-ci est-elle suffisante sans être nécessaire ?

L’importance de la majorité actuelle est qu’elle sert de « faire-valoir ». Elle justifie une politique économique et sociale à laquelle elle ne prend part que de loin. Tout se conçoit à la présidence et descend vers les « ministrés » pour sa mise en œuvre. Comment imaginer un ministre qui ne conçoit pas la politique de son département ? Si l’on prend la question par l’autre bout, l’on se rend compte également que le Parlement joue le même rôle. Il continue de servir de chambre d’enregistrement. Les projets de loi sont très souvent adoptés sans être adaptés. Au Niveau de l’Union pour la République (UPR), parti au pouvoir, pas un mot plus haut que l’autre tant que le président de la République ne s’est pas prononcé. Même sur des questions de cinquième degré, comme un possible report des élections ou la possibilité de dialoguer avec la Coordination de l’opposition démocratique (COD). C’est toujours des approximations, si ce n’est le silence des cimetières tant que l’avis de la Présidence n’a pas été clairement exprimé. La discipline ici est celle qui dit que « le chef a toujours raison ». Aziz qui n’est pas en théorie le président de l’UPR est, dans la pratique, celui qui lui dicte ses choix politiques comme il est encore le chef du gouvernement, bien que la Constitution amendée ait considérablement valorisé le rôle du premier ministre, donnant obligation de le choisir désormais dans le parti majoritaire et le rendant responsable devant le Parlement. Ce serait vraiment une avancée démocratique si les élus perçoivent la portée de ces amendements constitutionnels qui constituent, pour eux, un contrepoids contre un gouvernement pas souvent bien inspiré dans ses choix économiques et sociaux.

Des élections sans « indépendants » mais…

Devant un bureau de vote (photo: Magharabia)
Devant un bureau de vote (pho to: Magharabia)

Depuis 2011, le pouvoir manœuvre pour avoir des élections à sa mesure. Pour conserver une majorité parlementaire confortable. Celle dont il dispose depuis 2006 est un « ramassis » de tout : anciens du parti au pouvoir, Adil, lui-même avatar du défunt PRDS de Taya, des « indépendants » dépendants de la junte qui ont été remobilisés pour assurer la victoire de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi avant de mener la fronde contre lui, et des transfuges de l’opposition, notamment du Rassemblement des forces démocratiques (RFD) d’Ahmed Ould Daddah. L’interdiction des candidatures indépendantes, vue par les partis comme une manière de se prémunir contre la « rébellion politique » se révèle aujourd’hui être un couteau à double tranchant. Les chefs tribaux, les hommes d’affaires « bolleticiens » et une partie des membres de l’élite non cooptés par le parti au pouvoir pour devenir maires ou députés, se tournent vers d’autres formations politiques de la majorité ou, rarement, de l’opposition ! L’essentiel pour eux est de montrer au pouvoir qu’il faut compter avec eux dans une « Mauritanie profonde » où l’allégeance à la tribu et aux marabouts est encore plus forte que celle qu’on voue au parti-Etat et au pouvoir. Ce dernier pense pourtant avoir trouvé la parade : des partis refuges qui, tout en affaiblissant la formation au pouvoir, permettent quand même au président Aziz de conserver son « troupeau » d’élus intact. Et c’est ce qui compte pour rempiler en 2014. Tout le reste n’est que jeu.

 1. Slogan de campagne de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi (SIDIOCA), en 2007.

2. Toutes sortes de pain est à base de farine (c’est du pareil au même).

3. Amadou Toumani Touré (ATT), ancien président malien revenu au pouvoir par la voie des urnes, le 8 juin 2002, après avoir organisé un putsch en mars 1991. Il est chassé du pouvoir par le capitaine Sanogo, en mars 2012.

Partagez