Sur les traces des Libyens de Sfax

20 juillet 2013

Sur les traces des Libyens de Sfax

Des voitures libyennes devant Le Pacha hôtel (crédit photo: Sneiba)
Des voitures libyennes devant Le Pacha hôtel (crédit photo: Sneiba)

Au départ, il s’agissait, véritablement, de ce qu’on pourrait appeler une « hypothèse de travail » : y a-t-il des Libyens à Sfax ? Une question qui n’en était pas une puisque la réponse nous était donnée à l’hôtel même où nous étions descendus. De luxueuses voitures estampillées du mot « Libya » (en arabe), garées à l’entrée de l’hôtel « Le Pacha » attestaient de la présence de Libyens dans la capitale du sud tunisien.

Et puis on se dit, Ridha et moi, que ce qui comptait, réellement, était de savoir si Sfax avait accueilli, accueillait encore, au moment de la tenue d’un Atelier de l’Institut Panos sur les faits migratoires, des Libyens arrivés massivement après la chute du régime de Mouammar Kadhafi, il y a un peu plus d’un an (20 octobre 2011). Et si ces « immigrés » d’un autre genre se soumettaient, d’eux-mêmes, à un exil provisoire ou définitif.

Tout est donc parti d’une série d’interrogations : combien sont-ils ? Comment vivent-ils ? Quel est leur profil ? Dignitaires de l’Ancien régime ou Libyens encore friqués venus en villégiature ou pour raisons de santé ? Et d’appréhensions : Où les chercher ? Comment les aborder ? Accepteront-ils de parler ? Questions qui soulèvent autant de paradoxes. Les Libyens sont bien là, et apparemment en nombre estimable ; le chiffre de 500.000 à 600.000 étant attesté par plusieurs sources comme l’UNHCR et le Centre tunisien pour la migration et l’asile (CETUMA) du chercheur Fethi Rekik mais ils donnent l’impression de « vivre cachés ». Pour vivre heureux ? Une idée du bonheur après Kadhafi, qui exigerait de camoufler une identité que ne reflète même plus l’immatriculation « Jamahiriya » badigeonnée de peinture noire sur des voitures de Libyens tiraillés entre un passé « qui refuse de mourir » et un présent plein d’incertitudes !

Ils sont là mais discrets

Liaison Tripoli-Sfax (photo: Sneiba)
Liaison Tripoli-Sfax (photo: Sneiba)

Les premières tentatives de contact avec ces Libyens donnaient déjà l’ampleur de la tâche. Il ne sera pas facile de les faire parler. Et même quand mon ami Ridha y parvient, les reconnaissant à leur accent un peu singulier, dans une clinique privée de Sfax (Salama), le motif de leur présence sera quasi invariable : raison de santé. Autant dire que c’est celui qui justifiait les séjours de cinq à dix jours dans une ville où le coût de la vie n’embarrassait nullement le Libyen moyen de l’après révolution du 15 février 2011. Une dépense « ordinaire » de 20 à 30 dinars (10 à 15 euros) par jour et par personne. Ce qui rapporté au nombre de Libyens vivant en Tunisie comme indiqué plus haut constitue tout de même entre 1,5 et 2,25 milliards de dinars par mois ! C’est une véritable manne financière pour la Tunisie qui vit encore les soubresauts de sa propre révolution – heureusement moins sanglante que celle de la Libye, du Yémen ou de la Syrie –

Chantier à Sfax (photo: Sneiba)
Chantier à Sfax (photo: Sneiba)

A Sfax, l’activité économique bat son plein. Difficile de trouver une corrélation évidente avec l’installation de Libyens qui préfèreraient la location d’appartements au séjour dans des hôtels de luxe. On voit pourtant, avec les chantiers de BTP qui poussent comme des champignons, que les Sfaxiens ne construisent pas autant de villas pour eux. Une nouvelle offre, probablement très forte, devrait favoriser le dicton qui dit que « quant le bâtiment va tout va ». sfax ne figurant pas sur la liste des villes touristiques très prisées en Tunisie (Jerba, Hammamet, Sousse, etc), le boom de l’immobilier devrait sans doute être favorisé par l’arrivée pour des séjours, plus ou moins longs, de Libyens préférant sortir mais pas loin de chez eux, en attendant que la situation revient à la normale.

C’est le vol régulier entre Tripoli et Sfax du 29 juin 2013 qui allait transformer en certitude ce qui n’était au départ qu’une supposition. L’ATR 112 de Tunis se vide de tous ses passagers (une trentaine) à Sfax avant de repartir vers Tunis avec une dizaine de nouveaux passagers dont cinq journalistes. Sfax est donc la destination privilégiée des Libyens.

Les Libyens fuient leur pays

Il est vrai que le miracle, en termes d’enquête journalistique, n’existe pas mais cela est arrivé pour une fois. Dans le Boeing 767 d’Atlantic Airways, effectuant la liaison Tunis-Casa pour le compte de la Royal Air Maroc, deux hommes assis, une rangée derrière moi, devisaient sur la situation en Libye après le « départ » du Guide. Mon arabe classique « acceptable » me permis tout de suite de suivre l’essentiel de leurs échanges dans un dialecte avec lequel je me suis déjà familiarisé à l’hôtel Le pacha, la clinique « Essalama » et certains commerces de Sfax. C’est une réponse donnée par l’un de ces libyens qui enclencha le sujet sur lequel je cherchais, depuis une semaine, à être fixé : il partait au Nigeria où il venait d’être engagée dans une compagnie pétrolière ! Son vis-à-vis ne comprenait pas comment il pouvait quitter la Libye – un pays assis sur le pétrole – pour aller offrir son expertise ailleurs. Et l’autre d’expliquer, avec une amertume non feinte, que Kadhafi n’a fait durant quarante ans que distribuer des rentes, et rien d’autre. Lui parti, on se retrouve avec rien. De 50.000 Dinars de revenu, certains Libyens sont obligés aujourd’hui de survivre avec 2000 dinars au plus ! Ou de s’exiler quand ils ont les moyens financiers ou l’expertise nécessaire pour refaire une vie ailleurs. Finalement, l’on se rend compte que la contre-révolution qui a balayé le régime de Kadhafi a certes mis fin à une dictature des plus implacable jamais connue en Afrique et dans le monde arabe mais qu’il faudra du temps aux Libyens pour voir le bout du tunnel.

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