Du rapport de la sécurité à la démocratie

Article : Du rapport de la sécurité à la démocratie
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17 novembre 2012

Du rapport de la sécurité à la démocratie

Assis, avec le turban noir, Moctar Ould Daddah, premier président mauritanien

Deux photos fixant, pour l’histoire, la prière de l’Id (fête religieuse musulmane). La première prise probablement en 1973. Cinq ans avant le premier coup d’Etat (10 juillet 1978) qui va consacrer l’immixtion de l’armée dans la vie politique mauritanienne. La seconde, actuelle, montre le président Aziz à la mosquée Ibn Abass. Deux photos qui montrent un « Avant » et un « Après ». Une absence de démocratie mais une sécurité totale. C’était l’avant. Un semblant de démocratie et un instinct sécuritaire (garde rapprochée, « gorilles », etc.) qui délimitent une sorte de ligne rouge entre le président et le peuple. Même quand il s’agit de s’adresser à Dieu.

En fait, la tendance « démocratique » de la Mauritanie peine encore à faire baisser l’arsenal sécuritaire dont s’entoure tout pouvoir depuis 1978. On a même l’impression que les gouvernants pensent la consolidation de la démocratie par le renforcement de la sécurité de celui qui détient le pouvoir. Comme si le droit avait besoin de la force pour exercer sa primauté.

Mais cette image du président feu Moctar Ould Daddah, entouré de fidèles, sans barrière de protection « visible » crée un étrange paradoxe entre hier et maintenant.

L’idée de prise de pouvoir par la force – ou d’attentat à la vie du dirigeant – n’était pas encore née en Mauritanie. L’ambition, la seule, était celle d’être là où il faut, en fonction des compétences et des pré-requis de chacun. Une sorte d’agencement, de promotion au mérite était alors établi, même si l’on savait que la représentativité tribale au sein des structures dirigeantes de l’Etat et du parti unique était encore très forte. L’ambition d’être chef à la place du chef n’était apparemment pas encore née pour devenir le jeu favori des militaires mauritaniens qui, à part deux « coups » portés à deux civils (Moctar et Sidi) avaient exercé leurs révolutions de palais entre eux. Entre frères d’armes.

Etrangement, l’avènement de la démocratie, ou de ce qui est pris pour elle, en 1991, suite à l’injonction mitterrandienne de la Baule, ne va pas adoucir les mœurs des dirigeants politiques mauritaniens. Maaouiya, l’homme fort de l’époque, se dira que la démocratie qu’on veut lui imposer a besoin de protection. Il se met à transformer le palais présidentiel en bunker et à confier sa sécurité à une garde présidentielle calquée, semble-t-il, sur celle de son mentor irakien, le défunt président Saddam Hussein. La suite de l’histoire ne lui donnera pas raison.

Mais le propos ici n’est pas de dire s’il fallait vraiment faire partir Taya ou non, s’il devait être renverser par ses propres hommes ou par des « révolutionnaires » de la même trempe que les Cavaliers du Changement qui avait tenté, en juin 2003, d’opérer une très hardie révolution de palais dans laquelle l’étranger (le Burkina Faso, Kadhafi) avait apparemment contribué.

Jour de fête: Ould Abdel Aziz à la mosquée ibn Abass (photo AMI)

C’est parce que nos dirigeants ont trop tendance à renforcer leur protection qu’ils donnent de mauvaises idées aux autres. Certes, le contexte actuel de menaces terroristes et de crise politique justifie la prudence et l’arsenal sécuritaire qui entoure le président de la République mais une trop grande expansion dans le domaine de l’application de la « muraille » sécuritaire a fini par fausser le mythe du « président des pauvres ». Même quand il ne s’agit pas d’un bain de foule auquel pourtant le président Aziz s’essayait de temps en temps, la protection qui entoure les murs de la présidence paraît plus stalinienne qu’il n’en faut. Dans certaines grandes capitales du monde, des dizaines de personnes prennent d’assaut la résidence du président pour se faire photographier en touristes. C’est l’encrage de la démocratie, évidemment, qui assure la sécurité aux occupants. Au Sénégal, pays donné en exemple en Afrique, bien avant la déclaration de la Baule, aucun coup d’Etat n’a été perpétré depuis l’accession à l’indépendance, en avril 1960. Seulement des « projets » depuis l’avènement de M. Wade qu’on soupçonnait, à tort ou à raison, de chercher à passer la main à son fils Karim. On a fini, heureusement, par  oublier ces « raccourcis » pour le faire partir par la voie des urnes. Au Mali voisin, pays qu’on croyait pourtant avoir retrouvé la sérénité depuis les soubresauts de mars 1991 ayant conduit à la chute du dictateur Moussa Traoré, une junte conduite par le capitaine Amadou Sanogo a remisé ça. Ce qui porte à trois les changements anticonstitutionnels dans ce pays, le premier ayant eu lieu le 19 novembre 1968 à la chute du premier président Modibo Keita.

C’est pour dire que l’application stricte de la démocratie devrait, sans risque de se tromper, prémunir la Mauritanie contre les appels aux coups d’Etat. C’est le seul moyen de mettre un terme aux « Rectifications » et à donner à nos dirigeants la latitude de respirer l’air pur de celui qui ne court aucun risque d’être pris pour cible parce qu’il n’a rien à se reprocher. Certes, la blessure par balle du président Aziz, par « méprise » et hors du Palais, selon la version officielle, rappelle que la sécurité à 100% relève de l’utopie. Même dans des pays comme la France et les USA (où Kennedy a été assassiné, le 22 novembre 1963, sans doute pour des considérations de politique interne, mais on retrouverait la sérénité des prières de l’Id sous Moctar Ould Daddah où l’on n’était pas obligé de séparer le président de la masse des prieurs parce qu’on craignait le geste imprévisible.

Sneiba Mohamed

 

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